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rende les méchants, sur la scène, aussi odieux qu'ils peuvent l'être.

Mais les caractères auxquels on veut concilier la bienveillance et la commisération, doivent avoir un fond de bonté qui nous attache. Ils peuvent être criminels, jamais vicieux ni méchants.

Il faut donc bien discerner entre les inclinations habituelles et les affections accidentelles du cœur humain, celles qui se concilient avec la bonté d'ame, celles dont le personnage intéressant peut s'applaudir, celles qu'il peut se pardonner, celles qu'il doit désavouer et se reprocher à lui-même car c'est surtout à l'équité du juge intérieur que l'on reconnaît la bonté morale.

Ainsi les qualités essentielles du caractère intéressant sont la droiture, la sensibilité, la candeur, la noblesse, et mieux encore la grandeur d'ame. Si la passion qui le domine le rend injuste, il doit s'en accuser; s'il dissimule, ce ne doit être que malgré lui et en rougissant; s'il est forcé de paraître ingrat, il doit en avoir honte et s'en faire un crime. Son caractère actuel peut être la faiblesse, jamais la fausseté; l'ambition, jamais l'envie: la haine, jamais la calomnie, et encore moins la trahison; le ressentiment, la vengeance, jamais la dureté, la lâcheté, ni la noirceur; la violence, l'emportement, jamais la cruauté froide, tranquille, et réfléchie. Sa colère ne doit être qu'une sensibilité révoltée par l'ex

cès de l'injure; qu'une fierté blessée par l'indignité de l'offense; qu'un vif ressentiment du mal fait à lui-même ou à ce qu'il a de plus cher ; qu'un mouvement d'indignation contre l'orgueil qui l'humilie, l'ingratitude qui l'aigrit, la force injuste qui l'opprime, le crime, en un mot, qui l'irrite, ou le vice impudent qui lui est odieux; les fureurs de sa jalousie ne doivent être que les transports d'un amour violent qui se croit outragé. Ainsi toutes ses passions doivent porter avec elles une sorte d'excuse et d'apologie, qui le fasse plaindre d'en être la victime, et qui empêche de le haïr.

C'est en cela qu'on nous accuse de rendre les passions aimables; et il est vrai que nous les parons, mais comme des victimes, pour apprendre à les immoler. Il ne s'agit pas de les faire haïr, mais de les faire craindre; c'est l'attrait qui en fait le danger; pour en prévenir la séduction, il faut donc les peindre avec tous leurs charmes. On tenterait en vain de rendre odieux des sentiments dont un bon naturel est bien souvent la cause. Le ressentiment des injures, la colère, l'ambition, l'amour, les faiblesses du sang, le désir de la gloire, peuvent être funestes dans leurs effets, quoique intéressants dans leur cause. C'est avec ce mélange de bien et de mal qu'il faut qu'on les voie sur le théâtre; car c'est ainsi qu'on les verra dans la nature; et ce n'est que par la ressemblance que l'exemple en est effrayant.

Plus le personnage est intéressant, plus son malheur sera terrible; sa bonté, ses vertus ellesmêmes n'en feront que mieux sentir le danger de la passion qui l'a perdu; et plus la cause de son malheur est excusable par notre faiblesse, plus nous voyons de près le bord du précipice où il est tombé.

Cette constitution de la fable, du côté des mœurs, est à la fois si utile et si intéressante, si analogue à la nature et à tous les principes de l'art, qu'elle semble avoir dû se présenter d'abord aux inventeurs de la tragédie; et ceux qui entendent citer depuis si long-temps les anciens comme nos modèles, doivent trouver bien étrange ce que j'ai osé avancer, que le théâtre des Grecs ne fut jamais celui des passions.

On s'autorise de leur exemple pour nous reprocher d'avoir fait de l'amour la passion dominante de la scène tragique. Croit-on de bonne foi qu'un caractère comme celui d'Hermione n'eût pas été beau à Athènes comme à Paris? Mais qui l'aurait joué? qui l'aurait entendu? Ce flux et ce reflux de passions contraires, le dépit, la fierté, l'amour, la jalousie, et la vengeance, leurs accents, leurs traits, leur langage, tout serait perdu sous le masque ou dans l'éloignement. Voilà pourquoi la peinture de l'amour et des passions qu'il engendre leur était interdite; et s'ils n'en ont pas fait usage, il n'en est pas moins vrai, comme je l'ai prouvé dans l'article MOEURS, que,

de toutes les passions actives, l'amour est la plus théâtrale, la plus intéressante, la plus féconde en tableaux pathétiques, la plus utile à voir dans ses redoutables excès.

Il faut convenir qu'en peignant l'amour avec tous ses dangers, on le peint avec tous ses charmes; et c'est par là qu'on rend les malheureux qu'il a séduits plus dignes de pitié que de haine; mais c'est aussi par là qu'on rend cette passion redoutable, autant qu'elle est intéressante. Il faut que l'homme sache, non-seulement qu'elle l'égare, mais par quels détours elle peut l'égarer: c'est aux fleurs qui couvrent le piége qu'il doit le reconnaître ; l'attrait l'avertit du danger.

Si l'homme passionné qui fait lui-même son malheur peut être intéressant, à plus forte raison l'homme vertueux. Mais si la vertu même est cause du malheur, quel intérêt peut-il en naître? 1o L'intérêt de la bienveillance et de l'admiration, quand le malheur est absolument volontaire, comme celui de Décius ; mais j'avoue que de tels sujets ne seraient pas assez tragiques. 2o L'intérêt de la pitié mêlée d'admiration et d'amour, quand l'homme de bien, malheureux par son choix, n'a pu se dispenser de l'être, comme Brutus, Régulus, et Caton. Et si l'alternative est telle que', sans honte, l'homme n'ait pu éviter son malheur, il est, pour la vertu, dans l'ordre des maux nécessaires; telle est la situation de Rodrigue, et c'est par là qu'elle est si touchante.

Le pathétique des mœurs, chez les anciens, consistait, non pas dans les passions actives, causes du crime et du malheur, mais dans des affections qui rendaient le crime involontaire plus horrible pour celui qui l'avait commis, et le malheur plus accablant. Ces sentiments, que j'appellerai passifs, sont ceux de l'humanité, de l'amitié, de la nature. Les anciens les ont exprimés avec beaucoup de force, de chaleur, et de vérité, parce qu'ils en étaient remplis. Le nom de piété, qu'ils leur donnaient, exprime l'idée de sainteté qu'ils y avaient attachée. On ne lit pas sans émotion ce que disait l'un de leurs plus grands hommes, Épaminondas, que de toutes ses prospérités, celle qui lui avait donné le plus de joie, était d'avoir gagné la bataille de Leuctre du vivant de ses père et mère. L'héroïsme de l'amitié et de la pitié filiale était familier parmi eux. L'amour paternel et maternel n'était pas moins passionné. C'étaient les trésors de leur théâtre. Les modernes, chose étonnante, les avaient négligés, ces trésors précieux, jusqu'à Voltaire : c'est lui qui le premier a répandu dans la tragédie cet intérêt si doux de la touchante humanité ; c'est lui qui, sur la scène, a fait un sentiment religieux de la bienfaisance universelle ; c'est lui qui a mis dans les sujets modernes toutes les tendresses du sang`; et quel pathétique il en a tiré! Mérope et Jocaste, il est vrai, comme Andromaque, Hécube et Clytemnestre, sont prises

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