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ment; de là les changements rapides d'opinion, de sentiments, et de langage, dans le même homme, soit que deux passions le tourmentent et le dominent tour-à-tour, soit qu'une seule passion ait à combattre en lui la bonté naturelle, à triompher de l'innocence, à vaincre un reste de pudeur, à faire taire le devoir, à surmonter la vertu même, à se délivrer de la honte, et à s'affranchir du remords. Voilà ce qui ouvre à notre théâtre un champ si vaste et si fécond.

Quand l'homme agit par une impulsion étrangère et irrésistible, il n'y a pas à balancer; mais quand il doit se décider par les mouvements de son cœur, et que ces mouvements, comme celui des flots, sont tumultueux et rapides, qu'il est tour-à-tour entraîné en sens contraires avec la même violence; que presqu'au même instant que le désir l'emporte, la honte le repousse, et qu'au moment où l'espérance commence à l'élever, il se sent abattu par la crainte et par la douleur; c'est là qu'un naturel sensible, ardent, impétueux, se montre sous toutes les faces et dans toutes les attitudes; c'est là que le génie a de quoi s'exercer dans l'art d'imiter et de peindre. Le système moderne, osons le dire, est le seul où le cœur humain ait été pris par tous les côtés sensibles, et savamment approfondi.

2o Plus universel. Le système ancien est fondé sur une opinion locale. Il est vrai que cette opinion sera reçue partout comme hypothèse;

mais il ne sera permis d'y adapter que l'histoire des temps et des lieux où elle a régné. Au contraire, le système des passions est de tous les pays et de tous les siècles: partout l'homme a été conduit par les mouvements de son cœur; partout il s'est rendu coupable et malheureux par ses passions. Notre théâtre est le tableau du monde.

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3o Plus moral. C'est une chose utile sans doute que d'habituer l'homme au malheur, puisqu'il y est exposé sans cesse ; mais, d'un côté, l'indignation, l'impiété, le désespoir; de l'autre, le découragement, l'abattement, l'abandon de soimême, sont les écueils d'une ame ou forte ou faible, qui s'est laissé frapper de l'ascendant de la destinée, de la nécessité d'en subir les décrets: au lieu qu'il est d'une utilité absolue d'apprendre à l'homme à se craindre lui-même, à être sans cesse en garde contre les ennemis qu'il recèle au fond de son cœur.

Dans un État exposé à de grands périls, sujet à de grandes révolutions, où tout homme devait être déterminé à tout risquer, à tout souffrir, peut-être cet abandon de soi-même aux décrets de la destinée était-il la vertu de premier besoin, et devait-il former le caractère national; mais dans une monarchie vaste et tranquille, où une partie des forces de la nation suffit à sa défense, le bonheur public tient essentiellement à des mœurs tempérées. La tragédie, qui réprime les

Élém. de Littér. IV.

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mouvements de l'ame, est donc une leçon politique, en même temps qu'une leçon de mœurs. La haine, la colère, la vengeance, l'ambition, la noire envie, et surtout l'amour, étendent leur ravage dans tous les états, dans tous les ordres de la société. Ce sont là les vrais ennemis domestiques, et ceux qu'il est le plus essentiel de nous faire craindre, par la peinture des malheurs où ils peuvent nous entraîner, puisqu'ils y ont entraîné des hommes souvent moins faibles, plus sages et plus vertueux que nous; et c'est à quoi les Grecs n'ont pas même pensé. Si, dans la tragédie ancienne, la passion est quelquefois la cause ou l'instrument du malheur, ce malheur ne tombe pas sur l'homme passionné, mais sur quelque victime innocente. Or pour réprimer en nous la passion, il ne s'agit pas de nous faire voir qu'elle est funeste aux autres, mais à nousmême. On dirait que les Grecs évitaient à dessein le but moral que nous cherchons, car ils n'ont pu le méconnaître. Quoi de plus simple en effet pour guérir les hommes de leurs passions, que de leur en montrer les victimes? quoi de plus terrible que l'exemple d'un homme à qui la nature et la fortune avaient tout accordé pour être heureux, et en qui une seule passion, la même dont chacun de nous porte le germe dans son sein, a tout ravagé, tout détruit? C'est ce rapport, cette induction qui rend l'exemple salutaire; et Aristote lui-même l'a reconnu, mais

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dans sa rhétorique. « L'orateur, dit-il, pour im. primer la crainte à ses auditeurs, doit leur faire voir qu'ils sont en péril; et pour cela mettre sous leurs yeux l'exemple de ceux qui sont tombés dans les malheurs dont il les menace. »> Mais l'orateur ne leur dit point: Si vous disputez le

pas

à un inconnu, comme fit OEdipe, ou si vous étes curieux comme lui, vous tuerez votre père, vous épouserez votre mère, vous vous arracherez les yeux. Il leur dit : Si vous vous livrez à vos passions, vous en serez les victimes; si vous calomniez le juste, si vous opprimez l'innocent, le Ciel, qui les aime, les vengera. S'il nous présente un ravisseur horriblement puni, comme Thyeste, il ne nous fera pas voir à côté un monstre execrable, comme Atrée, jouissant de sa vengeance et du jour qu'il a fait pâlir; mais il opposera l'innocent au coupable, et nous montrera celui-ci plus malheureux dans ses succès que l'autre au comble de l'infortune, l'enfer dans l'ame d'Anitus, le ciel dans l'ame de Socrate. Enfin, s'il nous met sous les yeux des exemples de la peine attachée au crime, ce crime ne sera pas l'effet de l'erreur, car de l'erreur il n'y a rien à conclure; mais de la faiblesse, de l'imprudence, ou de la passion, car on peut y remédier. Il est donc évident que le dessein qu'Aristotè attribue à l'orateur et celui qu'il attribue au poète ne sont pas les mêmes. Le but de l'orateur, dans son sens, est de rendre les hommes justes et sages

par crainte; et le but du poète est de les guérir de la crainte, en les habituant au malheur.

Or cette disparate n'existe plus entre la morale de l'éloquence et celle de la tragédie; et dans le système moderne, le but du poète est le même que celui de l'orateur.

4o Ce système est encore plus propre à la forme de nos théâtres j'en ai déjà indiqué la raison. Le théâtre a sa perspective: le nôtre est nécessairement moins vaste que celui des Grecs; le spectacle, qui chez eux était une solennité, n'est chez nous qu'un amusement; au lieu d'une na: tion assemblée, c'est un petit nombre de citoyens; au lieu d'un grand cirque en plein ciel, c'est une assez petite salle. L'avantage du théâtre ancien était donc dans la pantomime et dans la force des tableaux ; l'avantage du nôtre est dans l'éloquence et dans la beauté des détails. On a dit cent fois que les Grecs avaient dédaigné de mettre l'amour sur leur théâtre : on n'a pas vu qu'il leur eût été impossible de l'y peindre comme nos poètes l'ont peint; que ces détails, ces gradations, ces nuances si délicates, qui en font la décence et le charme, répugnent à la seule idée du mannequin, du casque, du porte-voix d'un homme jouant Ariane, et reprochant au parjure Thésée le crime de l'abandonner : on n'a pas vu que la même cause avait exclu de leur théâtre presque toutes les passions actives, et que, si quelquefois ils les y ont employées, ce n'a été que par esquisses, en les

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