Obrazy na stronie
PDF
ePub

heur, et quelle qu'en fût la victime, l'un et l'autre étaient sous l'empire de l'inflexible nécessité. Par là l'objet poétique était rempli car la terreur nous vient, dit Aristote, de la possibilité que nous voyons à ce qu'un malheur semblable nous ar rive; et la pitié nous vient de l'indignité de ce malheur, qui nous semble peu mérité. Mais où était le but moral? où était le fruit de l'exemple? De ce qu'OEdipe a tué son père sans le savoir, et qu'il a épousé sa mère, quelle conséquence tirer? que c'est un crime horrible d'exposer ses enfants? Mais avant que Jocaste eût exposé le sien, son sort lui avait été prédit. Dans cet exemple, le malheur n'est donc pas la suite du crime. OEdipe a été imprudent: un homme, dit-on, menacé de tuer son père et d'épouser sa mère, aurait dû ne pas voyager, n'avoir de querelle avec personne, et ne se marier jamais. Mais ceux qui raisonnent si bien ont oublié dans le système des Grecs, la destinée était inévitable, et qu'il était dans celle d'OEdipe de faire tout ce qu'il a fait.

que,

Il est donc vrai, comme l'a reconnu Marc-Aurèle, que le but moral, religieux, et politique de la tragédie ancienne, était de frapper les esprits de l'ascendant de la destinée, afin d'accoutumer les hommes aux événements de la vie, de les y résigner d'avance, et de les rendre patients, cou rageux et déterminés. Cette habitude, donnée à un peuple, de tout voir sans étonnement et de

tout souffrir sans faiblesse, était favorable aux mœurs publiques; et quant à ce qui pouvait résulter, dans le détail des mœurs privées, du système de la nécessité, les poètes s'en inquiétaient peu : c'était aux lois à y pourvoir.

A l'avantage de former, dans un état républicain exposé aux plus grands revers, une masse d'hommes préparés à tout et résolus à tout, se joignait celui de leur faire voir que tous les hommes étaient égaux sous l'empire de la destinée; que les plus élevés étaient sujets à l'imprudence et à l'erreur; que, les dieux se jouaient des rois ; que tout ce qui flatte l'orgueil était fragile et périssable; et que les plus grandes calamités et les plus grands crimes étant réservés aux souverains, il était également insensé d'aspirer à l'être, et de souffrir qu'il y en eût. C'est ce qu'il était important d'inculquer à des peuples libres,

Voilà les raisons de préférence qui avaient décidé les anciens en faveur du système de la fatalité; mais puisque ce système avait tant d'avantages, pourquoi nous en être éloignés? Est-ce pour écarter l'idée d'une destinée injuste, d'une aveugle nécessité? Nullement; et l'on voit assez que, tant que les modernes ont pu tirer de ce système des spectacles intéressants, ils ne s'en sont pas fait scrupule. Est-ce que, l'opinion ayant changé, la vraisemblance et l'intérêt des anciennes fables seraient perdus pour nous? Encore moins : l'illusion supplée à la croyance. Les

sujets les plus pathétiques de notre théâtre sont pris du théâtre des Grecs. L'OEdipe, l'Oreste, la Phèdre, les deux Iphigénie, la Mérope, le Philoctète, etc., réussiront dans tous les temps et chez tous les peuples du monde.

Mais si ce n'a pas été pour rendre la tragédie plus morale ou plus intéressante qu'on en a fait un nouveau système, qu'est-ce donc qui l'a introduit? Le cours naturel des choses, un nouvel ordre de circonstances, la difficulté qu'éprouvait l'art à s'accommoder des anciens sujets, leur épuisement, des avantages d'une autre espèce que l'on croyait trouver dans le système des pas

sions.

Avantages du nouveau système. Voyez d'abord dans l'article POÉSIE, combien l'histoire fabuleuse des Grecs, leur religion, et leurs mœurs, étaient favorables à leur système, et combien ce qui leur était propre est étranger partout ailleurs.

Les spectateurs, comme je l'ai dit, se dépaysent aisément; mais l'illusion qui les entraîne tient elle-même aux convenances, et ce système religieux des Grecs ne peut convenir qu'aux sujets qu'il a consacrés. Il n'eût donc jamais fallu sortir de leur histoire fabuleuse; et dans ce cercle, le génie tragique se fût trouvé trop à l'étroit.

Il est bien vrai que, dans tous les temps et chez tous les peuples du monde, on semble reconnaître dans la fortune, et dans ce qu'on appelle le hasard des événements, une espèce de

fatalité, et que par conséquent il était possible d'inventer des sujets où tout fût conduit par le sort ou par des causes inévitables; mais des accidents sans rapports, sans liaison de l'un à l'autre, aussi dénués de vraisemblance que de vérité, n'ayant pour eux ni l'opinion réelle ni la tradition fabuleuse, auraient manqué de consistance et d'autorité sur la scène, et n'auraient pas été assez évidemment l'effet d'une puissance tyrannique, attachée à rendre les hommes ou coupables ou malheureux, pour que de ces spectacles du malheur et du crime, on reçût la même impression de terreur dont les Grecs se sentaient frappés, et dont leur système religieux nous frappe encore nous-mêmes dans les sujets où il est empreint.

Cet amas d'incidents fortuits, dont il n'y a rien à conclure, ont pu occuper nos aïeux à la renaissance des lettres; et quand ni l'esprit, ni le goût, ni le jugement même, n'étaient formés, on en faisait sur tous les théâtres de l'Europe des comédies sans comique, des tragédies sans intérêt. La curiosité, la surprise, étaient les seules émotions qu'on éprouvait à ces spectacles; mais ne connaissant rien de mieux, on croyait voir le mieux possible.

Enfin Corneille ayant découvert, au milieu de ce chaos, une nouvelle source d'événements tragiques aussi intéressants dans leurs causes que terribles dans leurs effets, ce fut un cri univer

sel; et l'Europe moderne reconnut la tragédie

qui lui était propre.

L'homme libre sous un dieu juste, qui permettait le mal sans en être la cause, l'homme en proie à ses passions, en butte à celles de ses semblables, et rendu malheureux par lui-même ou par eux, devint l'objet de la tragédie et le nouveau spectacle affligeant et terrible dont elle frappa les esprits.

Or les avantages de ce nouveau système sont d'être plus fécond, plus universel, plus moral, plus propre à la forme et à l'étendue de nos théâtres, plus susceptible de tout le charme de la représentation.

1° Plus fécond, parce qu'il met en jeu tous les ressorts du cœur humain, qu'il en fait les mobiles de l'action théâtrale, qu'il donne lieu aux développements de toutes les passions actives, que de leur mélange il compose des caractères pleins d'énergie et de chaleur, que de leurs contrastes il tire des situations variées à l'infini, que de leurs combats il fait naître une foule de mouvements qui étaient inconnus aux anciens.

Non-seulement la passion agite l'ame, mais elle altère la raison, la séduit, la trompe, l'égare et la range de son parti de là tout l'artifice qu'elle emploie pour en imposer à celui qu'elle obsède et à tous ceux qu'elle a intérêt de persuader et d'émouvoir; de là l'éloquence de deux passions contraires, pour se vaincre mutuelle

« PoprzedniaDalej »