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rable condition de l'homme, que l'OEdipe français expose en si beaux vers:

Misérable vertu, don stérile et funeste,

Toi, par qui j'ai tissu des jours que je déteste,

A mon noir ascendant tu n'as pu résister.

Je tombais dans le piége en voulant l'éviter.

Un dieu plus fort que moi m'entraînait dans le crime;
Sous mes pas fugitifs il creusait un abîme;

Et j'étais, malgré moi, dans mon aveuglement,
D'un pouvoir inconnu l'esclave et l'instrument.
Voilà tous mes forfaits: je n'en connais point d'autres,
Impitoyables dieux, mes crimes sont les vôtres ;
Et vous m'en punissez !

Ainsi l'innocence, confondue avec le crime par le caprice aveugle et tyrannique de l'inflexible destinée, est sans cesse exposée sur le théâtre ancien à la compassion des hommes asservis sous la même loi. L'antre de Polyphème, où Ulysse et ses compagnons voyaient tous les jours dévorer quelqu'un de leurs amis, et attendaient leur tour en frémissant, est le symbole du théâtre d'Athènes. C'est là sans doute le tragique le plus fort, le plus terrible, le plus déchirant, et celui qui, dans tous les temps, fera verser le plus de larmes.

2o Il était plus facile à manier. Les dieux agissent comme bon leur semble; la destinée est impénétrable et ne rend point compte de ses décrets: au lieu que la nature en action est soumise à ses propres lois, et que ces lois nous sont con

nues. La balance de la volonté a ses poids et ses contre-poids : le flux et le reflux des passions, leurs accès, leurs relâches et leurs révolutions, leur choc et le degré de force qui décide de l'ascendant, tout a sa règle au-dedans de nous-mêmes; et un coup d'œil sur les combinaisons que je viens d'indiquer en parlant des mœurs, fera sentir la difficulté de mettre chaque pièce de cette machine à sa place, et de lui donner le degré de ressort et d'activité qu'elle doit avoir. Que l'on compare le mécanisme de l'OEdipe de Sophocle ou de l'Oreste d'Euripide, avec celui de Polyeucte, de Britannicus, ou d'Alzire ; et l'on verra combien les Grecs devaient être à leur aise avec la destinée et la fatalité.

Rien de plus tragique sans doute que de voir un ami, sans le savoir, tuer son ami; un fils, son père; une mère, son fils; un fils, sa mère : j'en conviens avec Aristote. Rien de plus effrayant que la situation du malheureux, qui, par erreur, va répandre un sang qui lui est cher. Corneille ne voyait rien de pathétique dans la situation de Mérope et d'Iphigénie, l'une allant immoler son fils, l'autre, son frère ; et Corneille était dans l'erreur. « Ce frère, disait-il, et ce fils leur étant inconnus, ils ne peuvent être pour elles qu'ennemis ou indifférents. » Mais si Mérope ou Iphigénie ne connaissent pas le crime qu'elles vont commettre, le spectateur en est instruit; et, par un pressentiment du désespoir où serait une mère

qui aurait immolé son fils, une sœur qui aurait tué son frère, on frémit pour elle de son erreur et du coup qu'elle va frapper.

A plus forte raison, rien de plus intéressant que la situation d'un tel personnage, si le crime n'est reconnu qu'après qu'il est commis. ›

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Mais à la place d'une erreur involontaire ou d'une nécessité inévitable, que l'on mette la passion; quel art ne faut-il pas alors pour concilier l'intérêt avec des crimes bien moins horribles, pour faire plaindre, par exemple, le meurtrier de Zaïre,' ou l'indigne fils de Brutus? Il est des crimes que, dans l'emportement, un homme naturellement bon peut commettre; chacun de nous, dans un accès de passion, en est capable; et c'est ce qui nous fait chérir encore et plaindre ceux qui les ont commis. Mais si le crime révolte la nature, la passion même la plus violente ne suffit pas pour l'excuser: un parricide n'est pas seulement un homme passionné, c'est un monstre; ce monstre ne peut nous toucher. Il y a plus: on ne pardonne à la passion la simple cruauté que dans un mouvement soudain, rapide, involontaire; la cruauté préméditée rend le criminel odieux, quelque passionné qu'il soit. Nulle difficulté au contraire dans les sujets où la fatalité domine: Her cule, rendu furieux par la haine de Junon, tue ses enfants et sa femme; Oreste, forcé d'obéir à un dieu, assassine sa mère, et pour ce crime iné, vitable il est livré aux Euménides : Hercule et

Oreste sont intéressants, et d'autant plus que leur action est plus atroce. Il en est de même de l'erreur d'OEdipe. Toute l'indignation se rejette sur les dieux, la compassion reste aux homme. Le pathétique de l'action ne se réduit pas à la catastrophe: le crime peut être annoncé ; et si l'on voit de loin l'inexorable destinée se complaire à dresser les piéges, à creuser, à cacher l'abîme où le malheureux doit tomber, l'y attirer ou l'y conduire, l'y pousser elle-même et l'y précipiter; plus ce prodige de méchanceté nous est odieux, et plus nous devient cher celui qui en est la victime. Voilà pourquoi, entre tous les sujets, Aristote préfère ceux où le crime serait le plus atroce, s'il était volontaire et libre.

3° Le système des anciens était plus favorable à la grandeur de leurs théâtres et à la pompe solennelle des spectacles qu'on y donnait. Ces spectacles faisaient partie des fêtes où toute la Grèce accourait; il fallait donc que l'amphithéâtre pût contenir une multitude assemblée, et que le théâtre fût proportionné à ce cercle immense de spectateurs. Mais une scène spacieuse demandait une action grande et forte, où tout fût peint comme dans un tableau destiné à être vu de loin : et c'est à quoi le système de la fatalité s'accommodait mieux que le nôtre; car en faisant venir du dehors les événements tragiques, il simplifiait tout, et ne laissait à l'action théâtrale que des masses à présenter. La peinture des passions, dont

tous les détails nous enchantent, n'aurait eu là aucun relief ces touches délicates, ces reflets, ces nuances, ces développements, si précieux pour nous, auraient été perdus; et au contraire, des traits de force, qui, vus de près, feraient sur nous des impressions trop douloureuses, adoucis par la perspective, n'avaient de pathétique que ce qu'il en fallait pour l'âme des Athéniens. C'est sur leur théâtre que Philoctète devait paraître couvert de lambeaux, se traînant, se roulant par terre, et rugissant de douleur ; c'est là qu'OEdipe devait paraître, les yeux crevés, versant sur ses enfants des gouttes de sang au lieu de larmes ; qu'Oreste, poursuivi par les Furies, devait tomber dans les convulsions, et demander à sa sœur Electre qu'elle essuyât l'écume de ses lèvres ; c'est

là que le supplice de Prométhée, les tourments d'Hercule, et les fureurs d'Ajax étaient en proportion avec la grandeur du spectacle.

4° Ce système remplissait mieux l'objet reli gieux, politique, et moral que l'on se proposait alors. Il est évident, quoi qu'en dise Aristote, que le caractère de l'action tragique prenait trop sur la liberté; et soit que le personnage intéressant ressemblât par son caractère à l'agneau docile et timide qui se laisse mener à l'autel, ou au taureau fougueux qui se débat sous le couteau du sacrificateur, l'événement n'en était pas moins l'accomplissement d'un décret qui décidait du sort de l'homme ; et quel que fût l'instrument du mal

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