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Non quia vexari quemquam est jucunda voluptas,

Sed quibus ipse malis careas quia cernere suave est (1)..“

on croit avoir trouvé dans le cœur humain le principe de la tragédie; mais on se trompe. Il est bien vrai que l'homme se plaît naturellement à s'effrayer d'un danger qui n'est pas le sien, et à s'affliger en simple spectateur sur le malheur de ses semblables. Il est vrai aussi que la joie secrète d'être à l'abri des maux dont il est témoin, peut contribuer par réflexion au plaisir que lui cause le spectacle de l'infortune. Mais d'abord les enfants, qui ne font certainement pas cette réflexion, ont un plaisir très vif à être émus de crainte et de pitié par des récits terribles et touchants; ce plaisir n'est donc pas, dans la simple nature, l'effet d'un retour sur soi-même. De plus, si la vue du danger ou du malheur d'autrui nous était agréable, comme le dit Lucrèce, par la comparaison de nous-même avec celui que nous voyons dans le péril ou la souffrance, plus sa situation serait affreuse, plus nous aurions de plaisir à n'y être pas; la réalité nous en serait encore plus agréable que l'image; et dans l'image, plus l'illusion serait forte, plus le spectacle nous

(1) « Lorsque les vents sculèvent la vaste mer, il est doux de contempler du rivage le travail et le danger d'autrui : non que ce soit un plaisir de voir son semblable dans la souffrance; mais parce qu'il est doux de se dire à soimême : Voilà des maux dont je suis exempt.

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serait doux. Or il arrive au contraire que, si l'image est trop ressemblante et le spectacle trop horrible, l'ame y répugne, et ne peut le soulfrir. (Voyez ILLUSION.) Enfin si la joie de se voir exempt des maux auxquels on s'intéresse faisait le charme de la compassion, plus le péril serait loin de nous, plus le plaisir serait plus le plaisir serait pur et sensible; rien de plus rassurant en effet que la différence de celui qui souffre, avec celui qui voit souffrir; rien de plus effrayant au contraire que les rapports d'âge, de condition, de caractère de l'un à l'autre : et cependant il est certain que plus l'exemple nous touche de près, par les rapports du malheureux avec nous-même, plus l'intérêt qui nous y attache a pour nous de force et d'attrait. Ce n'est donc pas, comme le dit Lucrèce, par réflexion sur nous-même que nous aimons à nous effrayer, à nous affliger sur autrui.

Principe de la tragédie. Le vrai plaisir de l'ame, dans ses émotions, est essentiellement le plaisir d'être émue, de l'être vivement, sans aucun des périls dont nous avertit la douleur. Ainsi la sûreté personnelle, tui sine parte pericli, est bien une condition sans laquelle le spectacle tragique ne serait pas un plaisir; mais ce n'est pas la cause du plaisir qu'on y éprouve : il naît de l'attrait naturel qui nous porte à exercer toutes nos facultés et du corps et de l'ame, c'est-à-dire à nous éprouver vivants, intelligents, agissants, et sensibles. C'est cet exercice modéré de la sensibilité

naturelle, qui rend les enfants si avides du merveilleux qui les effraie; c'est ce qui fait courir une populace grossière au lieu du supplice des criminels; c'est ce qui fait chérir à quelques nations les combats d'animaux et de gladiateurs, ou des spectacles horriblement tragiques; c'est ce qui entraîne des nations plus douces, plus sensibles, ou, si l'on veut, plus faibles, au théâtre des passions ; c'est, en un mot, ce qui fait le charme de la poésie de sentiment.

Mais peu de sentiments sont assez pathétiques pour animer un long poème. La joie ou la volupté peut animer une chanson; la tendresse peut animer une idylle ou une élégie; l'indignation, une satire; l'enthousiasme, une ode; l'admiration par intervalles, peut suppléer, dans l'épopée et même dans la tragédie, à un intérêt plus pressant. Mais le vrai, le grand pathétique est celui de la terreur et de la pitié : ces deux sentiments ont sur tous les autres l'avantage de suivre le progrès des événements, de croître à mesure que le péril augmente, de presser l'ame par dégré, jusqu'au terme de l'action au lieu que, par exemple, l'admiration et la joie naissent dans toute leur force, et s'affaiblissent presque en naissant.

Essence de la tragédie. Le double intérêt de la terreur et de la pitié doit donc être l'ame de la tragédie. Pour cela, il est de l'essence de ce spectacle, 1o de nous présenter nos semblables dans le péril et dans le malheur, 2° de nous les pré

senter dans un péril qui nous effraie, et dans un malheur qui nous touche; 3° de donner à cette imitation une apparence de vérité qui nous séduise et nous persuade assez pour être émus comme nous nous plaisons à l'être, jusqu'à la douleur exclusivement. De là toutes les règles sur le choix du sujet, sur les mœurs et les caractères, sur la composition de la fable, et sur toutes les vraisemblances du langage et de l'action.

Du sujet. L'homme tombe dans le péril et dans le malheur par une cause qui est hors de lui, ou en lui-même. Hors de lui, c'est sa destinée, sa situation, ses devoirs, ses liens, tous les accidents de la vie, et l'action qu'exercent sur lui les dieux, la nature, les hommes de ces causes, les plus tragiques sont celles que le malheureux chérit, et dont il n'avait lieu d'attendre que du bien. En lui-même, c'est sa faiblesse, son imprudence, ses penchants, ses passions, ses vices, quelquefois ses vertus de ces causes, la plus féconde, la plus pathétique, et la plus morale, c'est la passion combinée avec la bonté naturelle.

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Deux systèmes de tragédie. Cette distinction des causes du malheur, ou hors de nous, ou en nous-même, fait le partage des deux systèmes de tragédie, ancien et moderne; et d'un coup d'œil, on y peut voir les caractères de l'un et de l'autre, leurs différences, leurs rapports, les genres propres à chacun d'eux, et tous les genres mitoyens qui résultent de leur mélange.

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Système ancien. Sur le théâtre ancien, le malheur du personnage intéressant était presque toujours l'effet d'une cause étrangère ; et lorsqu'il y avait de sa faute par imprudence, faiblesse, ou passion, comme dans OEdipe, Hécube, Phèdre, etc., le poète avait soin de donner à cette cause une cause première, comme la destinée, la colère des dieux ou leur volonté sans motif, en un mot la fatalité; et cela, dans les sujets même qui semblent les plus naturels. Par exemple, si Agamemnon était assassiné en arrivant dans son palais, un dieu l'avait prédit, et le poète ne manquait pas de faire annoncer par Cassandre que telle était la destinée de ce malheureux fils d'Atrée et de Tantale de même si les fils d'OEdipe se déclaraient une guerre impie, c'était l'effet inévitable des imprécations de leur père; et les poètes avaient grand soin d'en avertir les spectateurs.

Dans les sujets tirés du théâtre des Grecs ou de leur histoire fabuleuse, ce même dogme a été reçu sur tous les théâtres du monde. Oreste, condamné par un dieu à tuer sa mère, et, pour ce crime inévitable, tourmenté par les Euménides, n'est guère moins intéressant pour nous que pour les Athéniens; car la vraisemblance et l'effet théâtral n'exigent pas que l'on croie à la fiction, mais qu'on y adhère : et c'est à quoi se sont mépris les spéculateurs, qui, de leur cabinet, ont voulu régler le théâtre.

Les poètes ont mieux jugé du pouvoir de l'il

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