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soit oratoire. La prose de Tourreil, de d'Olivet, celle de Bossuet lui-même, s'il avait traduit ses rivaux, n'aurait pas plus d'analogie avec celle de Démosthène et de Cicéron, que les vers de Corneille et de Racine avec les vers de Virgile et d'Homère.

Quelle est donc alors la ressource du traducteur? De supposer, comme on l'a dit, que ces poètes, ces orateurs eussent écrit en francais, qu'ils eussent dit les mêmes choses; et, soit en prose, soit en vers, de tâcher d'atteindre, dans notre langue, au degré d'harmonie, qu'avec une oreille excellente et beaucoup de peine et de soin ils auraient donné à leur style.

C'est ici le moment de voir s'il est essentiel aux poètes d'être traduits en vers; et la question, ce me semble, n'est pas difficile à résoudre.

Entre la prose poétique et les vers, nulle différence, que celle de l'harmonie. La hardiesse des tours et des figures, la chaleur, la rapidité des mouvements, tout leur est commun. C'est donc à l'harmonie que la question se réduit. Or, quel est, dans notre langue, l'équivalent des vers anciens le plus consolant pour l'oreille? N'est-ce pas le vers tel qu'il est ? Oui, sans doute; et quoique la prose ait son harmonie, elle nous dédommage moins. Il y a donc, tout le reste égal, de l'avantage à traduire en vers, des vers même d'une mesure et d'un rhythme tout différent. Mais cette différence de rhythmne et l'extrême

que

difficulté de suivre son modèle à pas inégaux et contraints, cette difficulté d'être en même temps fidèle à la pensée et à la mesure, rend le succès si pénible et si rare, qu'on pourrait assurer que, dans tous les temps, il y aura plus de bons poètes de bons traducteurs en vers. Cependant le moyen, dit-on, de supporter la traduction d'un poète en prose? Eh quoi! seraitce donc une chose si rebutante que de lire en prose harmonieuse un ouvrage plein de génie, d'imagination, et d'intérêt, qui serait un tissu d'événements, de situations, de tableaux touchants ou terribles, où la nature serait peinte, et dans les hommes et dans les choses, avec ses plus vives couleurs? Je ne veux pas disputer à nos vers les charmes qu'ils ont pour l'oreille; mais sans ce nombre de syllabes périodiquement égal, ces repos et ces consonnances, l'expression noble, vive, et juste de la pensée et du sentiment ne peut-elle plus nous frapper d'admiration et de plaisir?

que

Parlons vrai; il est des poèmes dont le mérite éminent est dans la mélodie; ceux-là tombent, si le prestige du vers ne les soutient; car dès l'âme est oisive, l'oreille veut être charmée. Mais prenez les morceaux touchants ou sublimes des anciens, et traduisez-les seulement, comme a fait Brumoi, en prose simple et décente; ils produiront leur effet. Je prends cet exemple dans le dramatique; et c'est réellement le genre qui

se passe le mieux du prestige des vers, parce qu'il est intéressant et d'une chaleur continue. Mais, par la raison contraire, on doit désirer que l'épopée et le poème didactique soient traduits en vers. Les scènes touchantes de l'Iliade se soutiennent dans la prose même de madame Dacier; mais les descriptions, les combats auraient besoin, dans notre langue, d'être traduits, comme en Anglais, par un Pope, ou par un Voltaire,

En général, le succès de la traduction tient à l'analogie des deux langues, et plus encore à celle des génies de l'auteur et du traducteur. Boileau disait de Dacier, Il fuit les grâces, et les graces le fuient. Quel malheur pour Horace d'avoir eu pour traducteur le plus lourd de nos écrivains! La prose de Mirabeau, toute froide qu'elle est, n'a pu éteindre le génie du Tasse ; mais elle a émoussé la gaîté piquante de l'Arioste, elle a terni toutes les fleurs de cette brillante imagination. C'était à La Fontaine ou à Voltaire de traduire le poème de Roland furieux.

Tout homme qui croit savoir deux langues, se croit en état de traduire. Mais savoir deux langues assez bien pour traduire de l'une à l'autre, ce serait être en état d'en saisir tous les rapports, d'en sentir toutes les finesses, d'en apprécier tous les équivalents; et cela même ne suffit pas il faut avoir acquis par l'habitude la facilité de plier à son gré celle dans laquelle on écrit ;

a

il faut avoir le don de l'enrichir soi-même, en créant, au besoin, des tours et des expressions nouvelles; il faut avoir surtout une sagacité, une force, une chaleur de conception presque égale à celle du génie dont on se pénètre, pour ne faire qu'un avec lui, en sorte que le don de la création soit le seul avantage qui le distingue et dans la foule innombrable des traducteurs, il y en a bien peu, il faut l'avouer, qui fussent dignes d'entrer en société de pensée et de sentiment avec un homme de génie. Madame La Fayette comparait un sot traducteur à un laquais que sa maîtresse envoie faire un compliment à quelqu'un. Plus le compliment est délicat, disaitelle, plus on est sûr que le laquais s'en tire mal. Presque toute l'antiquité a eu de pareils interprètes mais c'est encore plus sur les poètes que le malheur est tombé, par la raison que les finesses, les délicatesses, les grâces d'une langue sont ce qu'il y a de plus difficile à rendre ; et que, par une singularité remarquable, presque tout ce qui nous reste en prose de l'antiquité se réduit à l'éloquence et au raisonnement, deux genres d'écrire sérieux et graves, dont les beautés solides peuvent passer dans toutes les langues sans trop souffrir d'altération, comme ces liqueurs pleines de force qui se transportent d'un monde à l'autre sans perdre de leur qualité, tandis que des vins délicats et fins ne peuvent changer de climat.

Mais une image plus analogue fera mieux sentir ma pensée. On a dit de la traduction qu'elle était comme l'envers de la tapisserie; cela suppose une industrie bien grossière et bien maladroite. Faisons plus d'honneur au copiste, et accordons-lui en même temps l'adresse de bien saisir le trait et de bien placer les couleurs ; s'il a le même assortiment de nuances que l'artiste original, il fera une copie exacte, à laquelle on ne désirera que le premier feu du génie; mais s'il manque de demi-teintes, ou s'il ne sait pas les former du mélange de ses couleurs, il ne donnera qu'une esquisse, d'autant plus éloignée de la beauté du tableau, que celui-ci sera mieux peint et plus fini. Or la palette de l'orateur, de l'historien, du philosophe, n'a guère, si j'ose le des couleurs entières, qui se retrouvent partout: celle du poète est plus riche en nuances; et ces nuances, le plus souvent, sont exclusivement données à la langue dans laquelle il a composé: j'ai presque dit, avec laquelle il a pensé ; car l'idée, en naissant, cherche le mot qui doit la rendre ; et s'il lui manque, elle s'éteint.

dire, que

TRAGÉDIE. Lorsqu'on a lu ces beaux vers de Lucrèce :'

mari

turbantibus magno,

ventis,

Suave,
equora
E terra magnum alterius spectare laborem;

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