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gue. Pour la décence, elle est indispensable, dans quelque langue qu'on écrive. Rien de plus choquant, par exemple, que de voir le plus grave et le plus noble des historiens, traduit en proverbes des halles. Mais jusque-là il n'est pas difficile de réussir, surtout dans notre langue, qui est naturellement claire et noble. Un homme médiocre a traduit l'Essai sur l'entendement humain, et l'a traduit assez bien pour nous, et au gré de Locke lui-même.

Mais si un ouvrage profondément pensé est écrit avec énergie, la difficulté de le bien rendre commence à se faire sentir on chercherait inutilement, dans la prose si travaillée de d'Ablancourt, la force et la vigueur du style de Tacite.

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Quoique la brièveté donne toujours, sinon plus de force, au moins plus de vivacité à la pensée, on ne l'exige de la langue du traducteur qu'autant qu'elle en est susceptible; et quoique le français ne puisse atteindre à la concision du latin de Salluste, il n'est pas impossible de le traduire avec succès. Mais l'énergie est un caractère de l'expression si adhérent à la pensée, que ce sera un prodige dans notre langue, diffuse et faible comme elle est en comparaison du latin, si Tacite est jamais traduit.

Ainsi à mesure que, dans un ouvrage, le caractère de la pensée tient plus à l'expression, la traduction devient plus épineuse. Or les modes que la pensée reçoit de l'expression sont la force,

comme je l'ai dit, la noblesse, l'élévation, la facilité, l'élégance, la grâce, la naïveté, la délicatesse, la finesse, la simplicité, la douceur, la légèreté, la gravité; enfin le tour, le mouvement, le coloris et l'harmonie ; et de tout cela, ce qu'il y a de plus difficile à imiter n'est pas ce qui semble exiger le plus d'effort: par exemple, dans toutes les langues, le style noble, élevé, se traduit; et le délicat, le léger, le simple, le naïf, est presque intraduisible. Dans toutes les langues, on réussira mille fois mieux à traduire Cinna qu'une fable de La Fontaine ou qu'une épître de Voltaire, par la raison que toutes les langues ont les couleurs entières de l'expression, et n'ont pas les mêmes nuances. Ces nuances appartiennent surtout au langage de la société ; et rien n'est plus difficile à imiter, d'une langue à une autre, que le familier noble. Or c'est ce naturel exquis et pur qui fait le charme de ce qu'on appelle les ouvrages d'agrément. C'est là que le travail est plus précieux que la matière.

L'abondance et la richesse ne sont pas les mêmes dans toutes les langues. La nôtre, dans l'expression du sentiment et de la passion, est l'une des plus riches, et ne l'est pas encore assez. Dans les détails physiques, soit de la nature ou des arts, elle est plus pauvre et manque à tout moment, non pas de mots, mais de mots ennoblis. Cela vient de ce que nos poètes célèbres se sont plus exercés dans la poésie dramatique que dans la poésie descriptive. Aussi les combats d'Homère

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sont-ils plus difficiles à traduire dans notre langue que les belles scènes de Sophocle et d'Euripide; les Métamorphoses d'Ovide, plus difficiles que

Élégies; les Géorgiques de Virgile, plus difficiles que l'Énéide; et, dans celle-ci, les jeux célébrés aux funérailles d'Anchise, plus difficiles à bien rendre que les amours de Didon. A l'égard des Géorgiques, M. l'abbé Delille a vaincu la difficulté ; et c'est un coup de maître dans l'art d'écrire.

Dans le genre noble, dès que le mot d'usage, le terme propre n'est pas ennobli, le traducteur n'a de ressource que dans la métaphore ou dans la périphrase: et quelle fatigue pour lui de suivre mille détours, à travers les ronces d'une lanbarbare, un écrivain qui, dans la sienne, marche dans un chemin droit, uni, parsemé de fleurs!

par

gue

On peut voir, à l'art. MOUVEMENts du Style, ce que j'entends par là. Ces mouvements peuvent s'imiter dans toutes les langues, mais le tour de l'expression les rend plus ou moins vifs et plus ou moins rapides. Or la différence des tours est extrême d'une langue à une autre; et surtout des langues où l'inversion est libre, à celles où les mots suivent timidement l'ordre naturel des idées.

On a dit tout ce qu'on a voulu sur l'inversion des langues anciennes ; on a cherché, on a trouvé des phrases où les mots transposés avaient par

là même plus d'analogie avec le trouble et le désordre de la pensée; je le veux bien. Mais en général l'intérêt seul de flatter l'oreille ou de suspendre l'attention, décidait de la place que l'on donnait aux mots. Prenez des cartes numérotées, mêlez le jeu, et donnez-le-moi à rétablir dans l'ordre indiqué par les chiffres; voilà l'image très fidèle du mélange des mots dans la construction des anciens. Or, quelle assimilation peut-il y avoir entre une langue dans laquelle, pour donner plus de grâce, plus de finesse, ou plus de force au tour de l'expression, il est permis de transposer tous les mots d'une phrase, de les combiner à son gré, et une langue où, dans le même ordre que les idées se présentent naturellement à l'esprit, les mots doivent être rangés? Les ouvrages où la clarté fait le mérite essentiel et presque unique de l'expression, ne perdront rien, gagneront même à ce rétablissement de l'ordre naturel : mais lorsqu'il s'agit d'agacer la curiosité du lecteur, d'exciter son impatience, de lui ménager la surprise, l'étonnement et le plaisir que doit lui causer la pensée, ou de séduire son oreille par les modulations d'un style harmonieux; quelle comparaison, entre la ligne droite de la phrase française, et l'espèce de labyrinthe de la période des anciens!

Le coloris de l'expression tient à la richesse du langage métaphorique, et à cet égard chaque langue a ses, ressources particulières. La diffé

rence tient encore plus à l'imagination de l'écrivain qu'au caractère de la langue; et comme, pour imiter avec chaleur les mouvements de l'éloquence, il faut participer au talent de l'orateur, de même, et plus encore, pour imiter le coloris de la poésie, il faut participer au talent du poète. Mais, à l'égard de l'harmonie, ce n'est pas seulement une oreille juste et délicate qui la donne, elle doit être une des facultés de la langue dans laquelle on écrit. Les Italiens se vantent d'avoir d'excellentes traductions de Lucrèce et de Virgile; les Anglais se vantent d'avoir une excellente traduction d'Homère : quoi qu'il en soit du coloris, les Italiens peuvent-ils se dissimuler combien, du côté de l'harmonie, leurs faibles traducteurs sont loin de ressembler et à Lucrèce et à Virgile? Pope lui-même, tout élégant et orné qu'il est, peut-il donner la plus faible idée de l'harmonie des vers d'Homère, s'il est vrai que les vers d'Homère soient au moins aussi harmonieux que les vers de Virgile? Qu'a de commun le vers rhythmique des Italiens et des Anglais avec l'hexamètre ancien; avec ce vers dont le mouvement est si régulier, si sensible, si varié, si analogue à l'image ou au sentiment; avec ce vers qui est le prodige de l'harmonie de la parole?

Il n'y a pour les modernes, il le faut avouer, aucune espérance d'approcher jamais des anciens dans cette partie de l'expression, soit poétique,

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