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dont il donna le ton à sa cour; et ce ton, une fois donné, fut bientôt celui de la ville. Ninon Lenclos l'avait reçu de ses amants, madame de Maintenon l'avait pris dans le monde et chez Ninon même. Il s'altéra sous la régence; encore le retrouvait-on dans la liberté même des soupers du régent; et le tour d'esprit de ce prince en était un précieux reste: mais les jolies femmes, qui égayaient ses soupers, ne laissaient pas d'être d'assez mauvais modèles des bienséances du lan

gage; et ce n'était pas dans leur société que Fontenelle en prenait des leçons.

Dans une cour polie, éclairée, élégante, le bon ton sera comme la quintescence du bon goût; mais pour le rendre inaltérable, il faut, au centre même de cette cour, une société spirituelle et dominante, qui serve de modèle et qui donne l'exemple. Alors le soin de plaire et le désir de ressembler engagera le reste du grand monde à se former sur ce modèle ; et le ton général de la cour sera bon. Mais à moins d'un foyer où le goût s'épure et se conserve comme le feu sacré d'où il se répande et se communique, il n'est pas sûr de regarder le ton même de la cour comme une règle constamment bonne à suivre : car il peut arriver que la cour soit diversement composée ; et si le bon esprit et le bon goût n'y font la loi, il est possible que le bon ton n'y soit qu'une mode fantasque et passagère, qu'un caprice aura établie, et qu'un caprice fera changer.

Dans les états républicains, le mot de bon ton est inconnu. Le ton dominant, bon ou mauvais, est celui du grand nombre : il est l'expression du caractère national. De même, dans les monarchies où il n'y a d'autre cour que ce qu'exige à la rigueur la dignité du souverain et le service de sa personne, on ne s'aperçoit presque pas de la différence de ton entre la cour et le public. C'est lorsque, pour le délassement et l'amusement des princes, il se forme autour d'eux une société nombreuse et agréablement oisive; c'est alors, dis-je, que la cour se fait à elle-même un langage plus châtié, plus élégant, et plus exquis, ou seulement plus recherché. Il y avait vraisemblablement un bon ton à la cour d'Auguste, aux soupers de Mécène; mais le bon ton de la cour d'Alexandre était le sien et celui de ses lieutenants. César avait formé son goût, son esprit, son langage à l'école des orateurs; Alcibiade, à celle de Socrate et de Périclès son tuteur. On peut remarquer même qu'à mesure qu'une cour est plus inoccupée, et a plus de loisir de se livrer à la recherche des objets d'agrément, son goût, plus cultivé, donne à son ton plus d'élégance et de délicatesse.

ཝཱ

En général, on doit s'attendre que lors même que le grand monde n'aura pas, du côté de l'esprit et du goût, assez d'avantages pour se distinguer par des agréments qui ne soient qu'à lui seul, il ne laissera pas de vouloir se faire un lan

gage qui lui soit propre; et ce langage sera, comme sès livrées, une chose de fantaisie. De là toutes les singularités minutieuses et bizarres qu'on a vu érigées en lois du bel usage et en maximes du bon ton.

Quel sera donc, au milieu de tant de variations et d'incertitudes, la règle du bon ton pour un homme de lettres? La même que celle du goût, l'exemple des hommes qui, de l'aveu de tout un siècle de lumiere, ont le mieux observé en écrivant les bienséances du langage. Ce n'était point une commère bel-esprit que Racine consultait sur son style; c'était Boileau, c'étaient les écrivains de Port-Royal. Malheur à lui,s'il eût pris le ton des précieuses de Rambouillet, toutes persuadées qu'elles étaient de leur suffisance infaillible!

Les vrais modèles du bon ton, c'est-à-dire des grâces nobles, de l'élégance, de l'urbanité du langage, c'est Racine lui-même, c'est madame de Sévigné, c'est madame de Maintenon, c'est Hamilton, c'est La Bruyère, c'est Voltaire, dans ce qu'il a écrit à Paris avant sa vieillesse ; et si jamais leur ton cessait d'être celui du monde et de la cour, il faudrait encore avoir le courage de

s'en tenir à ces modèles.

Lorsqu'un écrivain fait parler des personnages dont le ton est connu et distinctement décidé, il doit imiter leur langage : les originaux de Molière avaient droit de juger s'il les avait bien co

piés. Mais hors de là, l'homme de lettres a luimême le droit d'examiner si le ton de son siècle et du monde où il vit, est un bon modèle pour lui. C'est pour n'avoir pas eu cette attention ou ce discernement, que Voiture a gâté son style: c'est pour avoir eu le courage opposé à la complaisance de Voiture, que Pascal a donné au sien une bonté inaltérable : son secret fut d'éviter toute manière, et de donner toujours la préférence à l'expression la plus simple et au tour le plus naturel.

TRADUCTION. Les opinions ne s'accordent pas sur l'espèce de tâche que s'impose le traducteur, ni sur l'espèce de mérite que doit avoir la traduction. Les uns pensent que c'est une folie de vouloir assimiler deux langues dont le génie est différent; que le devoir du traducteur est de se mettre à la place de son auteur autant qu'il est possible, de se remplir de son esprit, et de le faire s'exprimer dans la langue adoptive, comme il se fût exprimé lui-même s'il eût écrit dans cette langue. Les autres pensent que ce n'est pas assez : ils veulent retrouver dans la traduction, non-seulement le caractère de l'écrivain original, mais le génie de sa langue, et, s'il est permis de le dire, l'air du climat et le goût du terroir.

Ceux-là semblent ne demander qu'un ouvrage utile ou agréable; ceux-ci, plus curieux, demandent la production d'un tel pays et le monument

d'un tel âge. La première de ces opinions est communément celle des gens du monde; la seconde est celle des savants. La délicatesse des uns, ne cherchant que des jouissances, non-seulement permet que le traducteur efface les taches de l'original, qu'il le corrige et l'embellisse, mais elle lui reproche, comme une négligence, d'y laisser des incorrections: au lieu que la sévérité des autres lui fait un crime de n'avoir pas respecté ces fautes précieuses, qu'ils se rappellent d'avoir vues, et qu'ils aiment à retrouver. Vous copiez un vase étrusque, et vous lui donnez l'élégance grecque; ce n'est point là ce qu'on vous demande et ce que l'on attend de vous.

Chacun a raison dans son sens. Il s'agit, pour le traducteur, de se consulter, et de voir auquel des deux goûts il défère. S'il s'éloigne trop de l'original, il ne traduit plus, il imite; s'il le copie trop servilement, il fait une version, et n'est que translateur. N'y aurait-il pas un milieu à prendre?

Le premier et le plus indispensable des devoirs du traducteur, est de rendre la pensée; et les ouvrages qui ne sont que pensés sont aisés à traduire dans toutes les langues. La clarté, la propriété, la justesse, la précision, la décence font alors tout le mérite de la traduction, comme du style original: et si quelques-unes de ces qualités manquent à celui-ci, on sait gré au copiste d'y avoir suppléé. Si au contraire il est moins clair ou moins précis, on l'en accuse, lui ou sa lan

Élém. de Littér. IV,

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