Obrazy na stronie
PDF
ePub
[blocks in formation]

Vultum verba decent ; iratum, plena minarum ;
Ludentem, lasciva; severum seria dictu.

{HORAT.)

Ces règles de convenances ne se bornent pas aux sujets que l'on traite, elles s'étendent jusqu'aux personnes qu'on a dessein d'intéresser ou de persuader en écrivant; et c'est dans ces rapports que les bienséances du style sont ce que l'art d'écrire a de plus difficile et de plus essentiel : Caput artis decere, (CIC.)

nage,

Dans le même sens, le langage de la société a son bon ton et son mauvais ton. Le naturel dans la politesse, la délicatesse dans la louange, la finesse dans la raillerie, la légèreté dans le badila noblesse et la grâce dans la galanterie, une liberté mesurée et décente dans le langage et les manières, et par-dessus tout une attention imperceptible de distribuer à chacun ce qui lui est dû de distinctions et d'égards; c'est là, par tout pays, ce que l'on peut appeler le bon ton : le mauvais ton est tout le contraire; et jusquelà le bon ton n'est autre chose que le bon goût mis en pratique. S'il est donc vrai qu'il y ait un bon goût reconnu par toutes les nations cultivées, il semblerait que, pour s'assurer d'avoir le bon ton, il suffirait d'acquérir le bon goût. Mais malheureusement il n'en est pas ainsi; et il y a des temps où le bon ton n'a presque rien de commun avec le bon goût.

Les bienséances, qui sont les premières règles

du bon goût, ne sont pas toujours celles du bon ton. Il y a des indécences dont la tournure est du meilleur ton dans le monde, comme il y a des politesses du ton le plus provincial.

Le bon ton, dans ce qui s'appelle la bonne compagnie, est un système de convenances, qu'elle s'est fait à elle-même et qui lui est particulier. Il interdit en général une familiarité déplacée, et par conséquent tous les mots, tous les tours de phrase qui supposent, dans celui qui parle, la négligence des égards qu'il doit à la société. Rien n'est plus juste que cette loi, lorsqu'elle n'est pas trop sévère; mais quelquefois elle est minutieuse, et se ressent de la petitesse et de la vanité de l'esprit qui l'a faite. D'un autre côté, il consiste dans une aisance noble, qui marque, dans celui qui parle, un usage fréquent du monde ; et cette aisance a ses degrés de réserve, de modestie, de liberté, de familiarité, qui distinguent, par des nuances, le bon ton de l'inférieur, du supérieur, et de l'égal. Je me contenterai d'en indiquer quelques exemples.

Lorsqu'un inférieur parle à un homme qualifié, ce n'est point par son nom, c'est par sa qualité que l'usage veut qu'il l'appelle : et au contraire, lorsque les gens de qualité parlent entre eux, c'est rarement par leur qualité qu'ils s'appellent, c'est par leur nom; ils trouveraient trop d'affectalion à se renvoyer mutuellement leurs titres. Dans le style même de la tragédie, rien de

1

plus en usage que de dire en parlant aux personnages les plus élevés, Votre père, votre fils, votre sœur, votre mère : et dans le monde, rien n'est de plus mauvais ton. Si vous parlez d'une mère à sa fille, ou d'un fils à son père, ou d'un frère à sa sœur, le bon ton veut que vous disiez : Monsieur un tel, madame une telle, comme s'ils ne leur étaient rien.

L'on voit même des gens qui ne veulent pas être appelés mon père et ma mère par leurs en

:

fants monsieur et madame leur semblent moins ignobles, plus distingués. Mais y a-t-il rien de plus commun, de plus avili que ces appellations? et les substituer aux noms sacrés de la nature, n'est-ce pas la plus ridicule des inventions de la vanité?

Le bon ton du supérieur est de questionner souvent. Le bon ton de l'inférieur est de ne questionner jamais, ou le plus rarement possible.

Le privilége de l'égalité, de la familiarité, de la supériorité, est de parler à la seconde personne; la déférence, le respect, la grande politesse veulent qu'on parle à la troisième. C'est un usage qui nous est venu d'Italie, avec l'excellence, l'éminence, et l'altesse. En Allemagne, on a renchéri sur cette formule de politesse, en ajoutant le pluriel à la tierce personne, quoiqu'on ne parle qu'à un seul. Que veulent-ils? Qu'ordonnent-elles?

Parmi les gens qui ne sont pas très familiers

ensemble, la politesse la plus commune défend d'appeler par son nom celui à qui on adresse la parole directement et sans équivoque ; mais on affecte de nommer celui à qui l'on veut faire sentir sa supériorité: cela est du bon ton.

Si dans le monde on vous demande des nouvelles de votre femme, de vos enfants, de votre père; si l'on vous parle de votre procès, de la perte que vous avez faite au jeu, de l'incendie de votre maison; il est du bon ton de répondre froidement, légèrement, et en peu de mots. Rien de plus ennuyeux pour les autres que de les occuper de soi. Toutes les questions qu'on vous fait sur vos intérêts personnels, sont des formules de politesse dont vous devez savoir ne jamais abuser mais si l'on veut savoir la nouvelle du jour, ou une aventure plaisante, ou une anecdote scandaleuse; étendez-vous tout à votre aise : les détails sont permis, ils sont même importants; mais ayez soin de les choisir. Rien de commun, rien d'insipide, rien de triste et de languissant. La grâce, la gaieté, la finesse piquante, le sel de l'enjouement, le sel plus vif encore d'un sérieux malin; et, soit dans vos récits, soit dans vos entretiens, une attention délicate à ne pas ́abuser de celle qu'on vous donne, et à ne l'occuper qu'autant que vous pouvez l'intéresser : ce sont là quelques-unes des règles du bon ton.

Depuis la cour jusqu'à la coterie la plus bourgeoise, la prétention du bon ton s'étend. Tout le

monde, il est vrai, convient que la cour en est le modèle, mais, de proche en proche, on se flatte d'avoir pris le langage et les manières de ce grand monde. C'est le ridicule que Molière a joué tant de fois, sans avoir pu le corriger. Tel homme nous parle sans cesse du ton de la bonne compagnie, qui passe sa vie dans la mauvaise; telle femme se croit l'arbitre des bienséances, avec qui jamais une femme décente n'a osé paraître en public.

Mais la cour elle-même est-elle toujours un juge infaillible, un modèle des convenances du langage? Elle a un ton qui la distingue, et qui est comme son symbole; mais son ton est aussi changeant que son esprit et que ses mœurs. Le ton d'une cour galante et voluptueuse n'est pas le ton d'une cour guerrière ou dévote. Le ton de la cour de Henri III n'était pas le ton de la cour de Henri IV; et, à bien des égards, le ton de la cour de Louis XIV sous madame de Montespan n'était pas le même que sous madame de Maintenon. Ce règne cependant avait pris un caractère de dignité qui se soutint, et qui fut véritablement un modèle de bienséance.

Louis XIV, naturellement porté, par l'élévation de son ame, à tout ce qui était noble et décent, avait perfectionné ce goût naturel dnns la société des Mortemart, qui était l'école de l'esprit le plus épuré, le plus délicat, le plus aimable. De là cette politesse exquise, cette galanterie ingénieuse,

« PoprzedniaDalej »