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ment fixe, sans aucun point de ralliement, aucun objet public d'émulation et d'enthousiasme, aucun théâtre élevé à sa gloire, aucune fête, aucun spectacle où elle pût se signaler, abandonna sa nouvelle patrie à la fin du treizième siècle; et en passant en Italie, où commençaient à renaître les arts, elle y porta l'usage de la rime et les écrits des troubadours, premiers modèles des Italiens.

Des universités sans nombre, fondées dans toute l'Europe, l'étude des langues grecque et latine mise en vigueur, les récompenses des souverains et les dignités de l'église accordées aux hommes célèbres par leur savoir et leurs talents, plus que tout cela l'invention de l'imprimerie, annonçaient la renaissance des lettres en Europe ; et quoique les premiers rayons de cette aurore eussent éclairé la France, ce fut vraiment en Italie que la lumière se répandit: soit à la faveur du commerce de l'Orient et du voisinage de la Grèce, d'où les arts et les lettres passèrent à Venise, et de Venise à Rome et à Florence; soit à cause de la considération plus singulière que l'Italie accordait aux muses, et du triomphe poétique rétabli dans Rome, où, depuis Théodose, il était aboli; soit par l'inestimable facilité qu'eurent bientôt les talents de puiser dans les sources de l'antiquité, dont les précieux restes avaient été recueillis et déposés dans les bibliothèques de Florence et de Rome; soit, enfin, grâce à l'amour

éclairé, sincère, et généreux, dont Léon X et les ducs de Florence, les Médécis, honoraient les lettres.

Mais quoique l'Italie moderne fût à quelques égards plus favorable à la poésie que l'ancienne Rome, par la jalousie et la rivalité des petits états qui la composaient, par la diversité et la singularité des mœurs de ses peuples, par l'importance qu'ils attachaient aux arts, et la gloire qu'ils avaient mise à s'effacer l'un l'autre en les faisant fleurir; les deux grandes sources de la poésie ancienne, l'histoire et la religion, n'étant plus les mêmes, le génie se ressentit de la sécheresse de l'une et de l'autre, et le laurier de la poésie, après avoir poussé quelques rameaux, périt sur ce terroir ingrat.

Dans l'Italie moderne, la poésie, dès sa naissance, s'était consacrée à la religion; mais par un zèle mal entendu, on lui fit donner des spectacles pieusement ridicules, au lieu de l'initier aux cérémonies religieuses et de l'appeler dans les temples, où elle aurait produit des hymnes et des choeurs sublimes.

L'erreur de toute l'Europe fut que les mystères de la religion pouvaient prendre la place des spectacles profanes. J'ai déjà fait voir que le merveilleux de ces mystères ineffables n'était rien moins que dramatique. C'était à la poésie lyrique à les célébrer; ils étaient réservés pour elle: car l'éloquence et l'harmonie peuvent donner

aux idées un caractère imposant, auguste, et sublime, auquel l'imitation théâtrale ne saurait s'élever. Comment peindre aux yeux, sur la scène, l'In sole posuit tabernaculum suum, ou le Volavit super pennas ventorum?

Il est donc bien étonnant que l'Italie, ayant mis tant de magnificence à décorer ses temples, ayant porté si loin la pompe de ses fêtes, ayant employé les peintres, les sculpteurs, les musiciens les plus célèbres, à donner plus d'éclat à ses solennités, ayant toléré même le sacrifice le plus cruel de la nature pour conserver de belles voix, n'ait pas daigné proposer le prix et le triomphe poétique à qui célébrerait, dans les plus beaux cantiques, ou les mystères de la foi, ou les vertus de ses héros.

La langue vulgaire était bannie des solennités de l'église; et la naïve simplicité des hymnes déjà consacrées ne laissa rien à désirer de plus beau peut-être aussi que, dans les rites, on craignit les innovations. Quoi qu'il en soit, les arts qui ne parlaient qu'aux sens, furent tous appelés à décorer le culte; et le seul qui parlait à l'ame fut dédaigné comme inutile, ou négligé comme superflu.

Dans le profane, la poésie lyrique n'eut pas plus d'émulation. Les guerres civiles dont l'Italie avait été déchirée, les schismes, les séditions, les révolutions sanglantes dont elle venait d'être le théâtre, l'ascendant et la domination du saint

siége sur tous les trônes de l'Europe', et les secousses que les deux puissances se donnaient réciproquement et si fréquemment l'une à l'autre, auraient offert à de nouveaux Tyrtées des circonstances favorables pour naître et pour se signaler. Mais ce que j'ai dit de l'ancienne Rome, je le dis de l'Italie moderne et de tout le reste de l'Europe: pour donner de la dignité et de l'importance au talent du poète, et faire de lui, comme dans la Grèce, un homme public révéré, il eût fallu des peuples aussi sérieusement passionnés que les Grecs pour les charmes de la poésie. Or, soit que la nature n'eût pas donné aux Italiens une oreille aussi délicate et une imagination aussi vive, soit que la musique ne fût pas encore en état d'ajouter aux charmes des vers, soit que les circonstances qui décident le goût, la mode, l'opinion publique, ne fussent pas assez favorables; il est certain qu'un poète lyrique, qui, dans l'Italie, à la renaissance des lettres, et dans les temps même où elles y ont fleuri, se serait érigé en orateur public, aurait été reçu comme un histrion d'autant plus ridicule, que l'objet de ses chants aurait été plus sérieux.

La poésie épique fut plus heureuse dans l'Italie moderne. Elle avait fait ses premiers essais en Provence vers le onzième siècle; elle trouva dans l'Italie une langue plus riche et plus mélodieuse, espèce de latin altéré, affaibli, mais qui, dans sa corruption, avait retenu du latin pur un grand

Élém. de Littér, IV.

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nombre de mots, quelques inversions, et des traces de prosodie. Aux avantages de cette langue déjà cultivée par Dante, Boccace et Pétrarque, se joignaient, en faveur de la poésie épique, l'esprit de superstition, dont l'Italie était le centre; les mœurs de la chevalerie, qui avaient été l'héroïsme gaulois, et qui restaient encore à peindre; et l'intérêt vif et récent de l'expédition des croisades, sujet héroïque et sacré, et d'un intérêt à la fois religieux et profane, sujet par là peut-être unique dans toute l'histoire moderne.

L'Arioste, dans un poème héroï-comique, le Tasse, dans un poème sérieux et vraiment épique, profitèrent de ces avantages, tous deux en hommes de génie. L'un, se jouant de l'héroïsme et de la galanterie chevaleresques, et surtout du merveilleux de la magie, employa l'imagination la plus brillante et la plus féconde à renchérir sur la folie des romans; et, par le brillant coloris de sa poésie, la gaieté qu'il mêle au récit des aventures de ses héros, la grâce, la variété, la facilité de son style, il a fait, d'une composition insensée, un modèle de poésie, d'agrément et de goût. L'autre, plus sage et plus sévère, au lieu de se jouer de l'art, en a subi les lois et vaincu : les difficultés par la force de son génie plus animé l'Énéide, plus varié que l'Iliade, et d'un intérêt plus touchant, si son poème n'a pas des beautés aussi sublimes que ses modèles, il en a de plus attrayantes et se soutient à côté d'eux.

que

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