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ment jusqu'à devenir familier et commun, toutes les fois qu'il n'aura pas de grandes choses à exprimer. De là vient, pour les commençants, le vrai danger d'imiter Corneille; car ce qu'il peut avoir quelquefois de trop emphatique, est un défaut qu'il est aisé d'apercevoir et d'éviter.

Je conseillerais donc d'étudier plutôt l'art dont Racine a su tout ennoblir, et au risque d'être un peu moins naturel, de rechercher, en écrivant, son élégance enchanteresse, mais en se tenant, comme lui, en-deçà du style de l'épopée, et aussi près de la nature qu'il l'a été lui-même dans les morceaux de ses tragédies les plus parfaitement écrits.

Le comble de l'art serait d'être simple dans les grandes choses et dans l'expression des sentiments naturellement élevés ou intéressants par eux-mêmes ; et de garder les ornements du style, les circonlocutions, et les images poétiques pour les objets qui auraient besoin d'être ennoblis ou d'être embellis, comme dans ce discours d'Orosmane à Zaïre :

J'atteste ici la gloire, et Zaïre, et ma flamme,

De ne choisir que vous pour maîtresse et pour femme;
De vivre votre ami, votre amant, votre époux;
De partager mon cœur entre la gloire et vous.
Ne croyez pas non plus que mon honneur confie
La vertu d'une épouse à ces monstres d'Asie,
Du sérail des soudans gardes injurieux,
Et des plaisirs d'un maître esclaves odieux :

Je sais vous estimer autant que je vous aime,
Et sur votre vertu me fier à vous-même, etc.

Je ne m'étendrai point sur les variétés que doit produire dans le style la diversité des objets ou la différence des personnages; ces détails seraient infinis, et on les trouvera çà et là répandus dans les articles de cet ouvrage où il s'agit de l'art d'exprimer et de peindre. Je termine donc celuici par une analyse succincte de quelques-unes des qualités du style en général.

Comme il y a, du côté de l'esprit, des facultés indispensables et communes à tous les genres, il y a aussi, du côté du style, des qualités essentielles, dont l'écrivain n'est jamais dispensé.

La première de ces qualités essentielles est la clarté. Avant d'écrire, il faut se bien entendre et se proposer d'être bien entendu. On croirait ces deux règles inutiles à prescrire ; rien de plus commun cependant que de les voir négliger. On prend la plume avant d'avoir démêlé le fil de ses idées ; ét leur confusion se répand dans le style. On laisse du vague et du louche dans la pensée; et l'expression s'en ressent.

L'obscurité vient le plus souvent de l'indécision des rapports; et c'est de tous les vices du style le plus inexcusable, au moins dans notre langue. Elle a, je le sais bien, des équivoques inévitables; et qui veut chicaner en trouve mille dans l'ouvrage le mieux écrit. Mais, comme La Motte l'a très bien observé, il n'y a que l'équi

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voque de bonne foi qui soit vicieuse dans le style; et celle-là n'est jamais difficile à éviter pour l'écrivain français qui veut bien s'en donner le soin. Les beaux esprits veulent trouver obscur ce qui ne l'est pas, dit La Bruyère; mais les bons esprits trouvent clair ce qui l'est ; et à leur égard, il est aisé de lever l'équivoque de ces pronoms et de ces homonymes, dont on fait aux enfants une si effrayante difficulté. Il n'y a peut-être pas un vers dans Racine, dans Massillon une seule phrase dont l'intelligence coûte au lecteur ni à l'auditeur un moment de réflexion, et j'oserais bien assurer qu'il n'y en a pas une dans Télémaque.

Il n'est pas moins facile d'éviter, dans la contexture du style, les incidents trop compliqués. qui jettent de la confusion et du louche dans les idées; pour cela il suffit de les répandre à mesure qu'elles naissent, tant que la source en est pure, et de leur donner, si elle est trouble, le temps de s'éclaircir dans le repos de la méditation. L'entassement confus des mots et des phrases entrelacées est un vice de l'art, plus souvent que de la nature. Si on ne la cherche pas, on y tombe rarement la preuve en est que, dans le langage familier, presque personne ne s'embarrasse dans de longs circuits de paroles; et en général, l'affectation nuit plus à la clarté que la négligence.

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Personne, sans doute, n'est assez insensé pour écrire à dessein de n'être pas entendu; mais le soin de l'être est sacrifié au désir de paraître

fin, délicat, mystérieux, profond. Pour ne pas tout dire, on ne dit pas assez; et de peur d'être trop simple, on s'étudie à être obscur. Rien de plus mal entendu que cette affectation dans les grandes choses, rien de plus vain dans les petites. Vous voulez me dire qu'il fait froid? que ne disiez-vous: Il fait froid? Est-ce un si grand mal d'étre entendu quand on parle, et de parler comme tout le monde? (La Bruyère).

Cependant faut-il renoncer à s'exprimer d'une façon nouvelle, ingénieuse et piquante? faut-il s'interdire les finesses, les délicatesses du style? Non; il faut seulement les concilier avec la clarté, ne pas vouloir briller à ses dépens, et ne rien soigner avant elle. Le style fin a son demi-jour, le style délicat a son voile; mais c'est dans le secret de rendre les ombres diaphanes, le voile transparent, que consiste l'art d'être fin et délicat, sans être obscur.

C'est peu d'être clair, il faut être précis : car tous les genres d'écrire ont leur précision; et l'on va voir qu'elle n'exclut aucun des agréments du style.

La première difficulté qui se présente, est de réunir la précision et la clarté. Mais qu'on ne s'y trompe pas, l'expression la plus précise est la plus claire; et c'est au moyen de la correction. et de la justesse du langage, que la clarté se concilie avec la précision; je dirais, au moyen de la propriété, si je ne parlais que du style philoso

phique, mais le style oratoire et le style poétique ont plus de latitude, et la justesse leur suffit. Dès que l'expression, ou simple ou figurée, répond exactement à la pensée, elle est précise et claire. Tout ce qui intercepte la lumière du style, en éteint la chaleur ou en ternit l'éclat. Voyez IMAGE.

Un écueil plus dangereux pour la précision, c'est la sécheresse. Mais émonder un bel arbre, ce n'est pas le mutiler; c'est le délivrer d'un poids inutile, Ramos compesce fluentes: voilà l'image de la précision. Il n'y a pas un seul mot à retrancher de ces vers de Corneille,

Rome, si tu te plains que c'est là te trahir,
Fais-toi des ennemis que je puisse haïr :

`ni de ces vers de Racine:

L'imbécille Ibrahim, sans craindre sa naissance,
Traîne, exempt de péril, une éternelle enfance;
Indigne également de vivre et de mourir,

On l'abandonne aux mains qui daignent le nourrir.

On voit, par ces exemples, que la précision, loin d'être ennemie de la facilité, en est la compagne fidèle. Un vers, une phrase où tous les mots sont appelés par la pensée et placés naturellement, semble naître au bout de la plume. Une période, un vers, où des mots inutiles ne sont placés que pour la symétrie, pour la rime, ou pour la mesure, annonce la gêne et le travail. Voyez Diffus.)

Je sais que rien n'est moins facile que de con

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