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Mais de la tournure habituelle de son esprit, comme des affections habituelles de son ame, résulte encore, dans le style de l'écrivain, un caractère particulier, que nous appelons sa inanière; et celle-ci lui est naturelle au lieu que affectation, par les singularités qu'il se donne par imitation, décèlent toujours l'artifice; et l'écrivain, qui croit alors avoir une manière à soi, n'est que maniéré, n'a que de la manière.

A ces différences du style se joignent celles qui doivent naître de la diversité des genres.

Le style de l'histoire est naturellement grave et d'une simplicité noble; mais ce caractère uniil versel est modifié par le génie de l'écrivain, l'est aussi par la nature des événements qu'il raconte; harmonieux, haut en couleur, et souvent oratoire dans Tite-Live; plus précis, plus serré, et non moins éloquent dans Salluste ; énergique, profond, plein de substance dans Tacite : ainsi des autres historiens.

*

En parlant des différents genres d'éloquence et de poésie, j'ai pris soin d'indiquer le style convenable et propre à chacun d'eux.

Mais à l'égard de la poésie héroïque, je vais placer ici quelques observations qui pourraient m'échapper ailleurs.

Le style de l'épopée et celui de la tragédie sont très distincts par la nature des deux poèmes : car l'hypothèse du poème épique est que le poète est inspiré; et quoique l'enthousiasme y soit plus

calme que celui de l'ode, qui est le délire prophétique, il ne laisse pas d'être encore dans le système du merveilleux. Dans la tragédie, au contraire, les personnages sont des hommes d'un caractère et d'un rang élevé, mais simplement des hommes; et leur langage, pour être vrai, doit être plus près de la nature que celui du poète inspiré par un dieu. C'est ce qu'Eschyle n'avait pas encore assez bien senti lorsqu'il inventa la tragédie, mais ce qu'Euripide et Sophocle ne manquèrent pas d'observer.

Leur style est simple, rarement figuré: ils ne s'y permettent jamais ni des images trop hardies, ni des épithètes ambitieuses; on croit toujours entendre le personnage qu'ils font parler, et aucune invraisemblance dans l'expression ne décèle le poète. Homère leur avait donné l'exemple de cette sagesse de style, dans tous les morceaux dramatiques de ses poèmes; et en cela on a eu raison de dire qu'il avait été le modèle de la tragédie en même temps que de l'épopée.

Le style tragique, chez les Grecs, me semble donc avoir été moins poétique, moins figuré, moins artificiel qu'il ne l'est parmi nous. Cette simplicité se conciliait mieux peut-être avec la noblesse de leur langue. Peut-être aussi, comme le pathétique dominait plus absolument sur leur théâtre, trouvaient-ils que le naturel de l'expression en faisait la force, comme nous l'observons nous-mêmes dans le langage des passions; et la

Élém, de Littér. IV.

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preuve que, dans la scène, ils s'attachaient au naturel par discernement et par choix, c'est que

dans les chœurs, qui étaient des odes, ils élevaient le ton et prenaient le style lyrique.

Les Italiens, pour distinguer les caractères de la poésie, lui ont attribué trois instruments, la cithare, la trompette, et la lyre. Je ne crois pas leur division complète : car aucun de ces caractères, métaphoriquement exprimés, ne convient à la tragédie.

Quelques-uns, parmi nous, l'ont prise au ton d'Eschyle et de Sénèque, lorsqu'on n'avait pas encore apprécié l'avantage d'une noble simplicité. Mais Racine s'est rapproché de cet heureux naturel; et jamais on n'a fait un plus harmonieux mélange de la langue usuelle et de la langue poétique. Cependant j'ose dire qu'il a formé son style plutôt sur celui de Virgile, que sur celui des poètes grecs, j'entends de Sophocle et d'Euripide, auxquels on l'a tant comparé. Il est encore moins simple, plus poétique, enfin moins naturel que l'un et l'autre et en cela il a subi peut-être la loi de la nécessité, n'ayant pas, comme eux, une langue dont la simplicité continue fût assez noble pour soutenir la majesté de la tragédie. Voltaire s'est encore un peu plus éloigné du naturel et approché du ton de l'épopée, parce qu'il a trouvé les esprits disposés à recevoir ces hardiesses, et peut-être le goût de la nation décidé à vouloir plus de poésie dans le

style tragique. Enfin dirai-je ce que je sens? Cor-' neille, dont le goût n'était pas assuré, parce que le goût national était encore à naître ; Corneille, qui, par l'impulsion de son génie, s'élevait si haut, et qui tombait si bas lorsque son génie l'abandonnait ; Corneille, par ce sublime instinct qui lui fit créer tant de beautés à côté de tant de défauts, nous a donné, à ce qu'il me semble, les plus parfaits modèles du langage tragique; et quand son naturel est dans sa pureté, rien n'est plus digne d'admiration que la majestueuse simplicité de son style.

C'est un hommage que Voltaire lui a rendu plus d'une fois. « Il n'y a point là (dit-il en parlant du discours de Sabine, dans le premier acte des Horaces: Je suis Romaine, hélas ! puisqu'Horace est Romain); il n'y a point là de lieux communs, point de vaines sentences; rien de recherché ni dans les idées ni dans les expressions. Albe, mon cher pays! c'est la nature seule qui parle.

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« Dans cè discours ( dit-il encore en parlant de la harangue du dictateur); dans ce discours, imité de Tite-Live, l'auteur français est au-dessus du romain, plus nerveux, plus touchant ; et quand on songe qu'il était gêné par la rime, et par une langue embarrassée d'articles et qui souffre peu d'inversions, qu'il a surmonté toutes ces difficultés, qu'il n'a employé le secours d'aucune épithète, que rien n'arrête l'éloquente ra

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pidité de son discours; c'est là qu'on reconnaît le grand Corneille. >>

Un beau vers, dans le style tragique, est donc celui où parle la nature avec force et avec noblesse, sans que la facilité, la justesse, la vérité de l'expression, y laissent entrevoir aucun art; c'est un vers dieu-donné, si je puis m'exprimer ainsi, qui, comme à l'insu du poète, a coulé de sa plume; c'est une pensée qu'il a produite revêtue de son expression, et qui, par un heureux hasard, semble se trouver adaptée à la mesure, au nombre, à la cadence, et à la rime. Et Corneille n'est pas le seul qui nous en donne des exemples: Racine a des morceaux, quelquefois des scènes entières tout aussi simplement écrites que les belles scènes de Corneille. Mais je ne dois pas dissimuler que cette manière d'écrire a un écueil, où Corneille lui-même a souvent échoué.

Les passions tragiques, les sentiments élevés, et les hautes pensées, ont communément, dans les langues, une expression noble qui leur est propre; et quand il s'agit de les rendre, la ma jesté du style est naturellement soutenue par la grandeur de son objet. Mais comme, dans la tragédie, tous les sentiments et toutes les idées n'ont pas la même noblesse, et qu'il y a une infinité de détails qui ont besoin d'être relevés, le poète, qui ne connaît que les ressources et les beautés du style simple, s'abaissera nécessaire

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