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Voulez-vous instruire, éclairer, persuader par la raison; appliquez-vous à donner à votre éloquence un caractère délié, un langage fin et subtil. Voulez-vous délasser l'attention, et un moment vous occuper à plaire; employez-y la séduction d'un style tempéré, légèrement semé de fleurs. (Voyez TEMPÉRÉ.) Voulez-vous toucher, émouvoir, étonner, troubler, entraîner vos auditeurs; employez-y la véhémence. Et en effet chacun de ces trois caractères convient plus ou moins au sujet, au lieu, aux personnes, au naturel de l'orateur : l'erreur n'est que de les classer et de leur marquer des limites; car le plus souvent ils se mêlent et se combinent comme les éléments. Telle fable de La Fontaine, telle ode d'Horace, telle page de Cicéron, de Bossuet, ou de Racine, nous les présente tous les trois. Les sujets les plus favorables à l'éloquence sont ceux qui donnent lieu à cette variété harmonieuse et ravissante; et les ouvrages où elle règne sont du petit nombre de ceux dont on ne se lasse jamais,

SITUATION. En poésie, on appelle situation, un moment de l'action épique ou dramatique, où de la seule position des personnages résulte pour le spectateur un saisissement de crainte ou de pitié, si la situation est tragique; de curiosité, d'impatience, ou de maligne joie, si la situation

est comique. C'est dans l'un et dans l'autre genre le plus infaillible moyen de l'art.

Pour bien juger d'une situation, il faut supposer les acteurs muets dans ce moment critique, et se demander à soi-même : Quel mouvement excitera dans le spectacle la seule vue de la scène? Si le spectateur, pour être ému, doit attendre qu'on ait parlé, il n'y a plus de situation.

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Le père de Rodrigue outragé dit à son fils : сс J'ai reçu un soufflet; mon bras, affaibli les ans, n'a pu me venger; voilà mon épée, vengemoi. - De qui? Du père de Chimène. » Rodrigue, dès ce moment, n'a qu'à rester immobile et muet d'étonnement et de douleur : nous sentirons, avant qu'il le dise, le coup terrible qui l'accable.

Ce même Rodrigue se présente aux yeux de Chimène, l'épée nue et sanglante à la main : l'impression de cet objet n'a pas besoin, pour être sentie, des paroles qui vont la suivre.

Chimène, à son tour, va se jeter aux pieds du roi et demander vengeance contre un coupable qu'elle adore : ces mots, Sire, sire, justice! nous en disent assez ; et tous les cœurs, comme le sien, sont déchirés dans ce moment.

La situation tragique est tantôt ce que les Latins appelaient rerum angustia, un détroit dans lequel l'acteur se voit comme entre deux écueils ou sur le bord de deux abîmes : telle est la situation du Cid; telle est celle de Zamore, lors

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qu'on lui propose le choix, ou de renoncer à ses dieux, ou de voir périr sa maîtresse; telle est celle de Mérope, réduite à l'alternative, ou de donner sa main au meurtrier de son époux, ou de voir immoler son fils; telle est la fameuse situation de Phocas dans Héraclius, lorsqu'entre son fils et son ennemi, et ne pouvant discerner l'un de l'autre, il dit ces vers si beaux et tant de fois cités :

O malheureux Phocas! ô trop heureux Maurice!
Tu retrouves deux fils pour mourir après toi,

Et je n'en puis trouver pour régner après moi.

Tantôt elle ressemble à la position d'un vaisseau battu par deux vents opposés, ou au combat de deux vents contraires : c'est le choc de deux passions ou de deux puissants intérêts: tel est, dans l'ame d'Agamemnon, le combat de l'ambition et de la nature, de la tendresse et de l'orgueil; tel est, dans l'ame d'Orosmane, le combat de l'amour et de la vengeance; tel est, entre Oreste et Pylade, le combat de l'amitié; entre Agamemnon et Achille, celui de l'orgueil irrité; entre Zamti et Idamé, celui de l'héroïsme et de l'amour maternel.

Tantôt c'est un simple danger, mais pressant, terrible, inconnu à celui qui en est menacé : l'acteur ressemble alors au voyageur qui va marcher sur un serpent, ou qui, la nuit, va tomber dans un précipice: telle est la situation de Britannicus, lors

qu'il se confie à Narcisse; telle et plus effroyable encore est la situation d'OEdipe, cherchant le meurtrier de Laïus; telle est la situation de Mẻrope et d'Iphigénie sur le point d'immoler, l'une son fils, l'autre son frère.

Tantôt c'est comme un orage qui gronde sur la tête du personnage intéressant, ou comme un naufrage au milieu duquel il est au moment de périr l'horreur du danger lui est connue, mais sans espoir d'y échapper: telle est la situation d'Hécube, d'Andromaque, de Clytemnestre, à qui on arrache leurs enfants.

Les situations comiques sont les moments de l'action qui mettent le plus en évidence l'adresse des fripons, la sottise des dupes, le faible, le travers, le ridicule enfin du personnage qu'on veut jouer. Pour exemples de ces situations comiques, se présentent en foule les scènes de Molière; et ces exemples sont la preuve que le comique de situation est presque indépendant des détails et du style: pour rire aux éclats, il suffit de se rappeler, même confusément, les situations de l'École des Maris, du Tartufe, de l'Avare, des deux Sosies, de George Dandin, etc.

Le premier soin du poète, dans l'un ou l'autre genre, doit donc être de former son intrigue de situations touchantes ou plaisantes par elles-mêmes, sans se flatter que les détails, l'esprit, le sentiment et l'éloquence même puissent jamais y suppléer. Son action ainsi disposée, qu'il prenne

soin d'y joindre les développements que la situation demande, et que la nature lui indique ; qu'il y emploie le langage propre aux caractères, aux mœurs, à la qualité des personnes; il aura presque atteint le but de l'art: mais ce n'est pas assez, s'il n'a de plus observé les passages, les gradations d'une situation à l'autre ; et c'est la grande difficulté.

On réussit plus communément à inventer des situations, qu'à les bien amener et à les bien lier ensemble. La crainte d'être froid et languissant fait quelquefois qu'on les brusque et qu'on les entasse; alors le naturel, la vraisemblance, l'intérêt même n'y est plus. Ce n'est point par secousses que l'ame des spectateurs veut être émue; un coup de foudre imprévu les étonne, mais ne fait que les étourdir: pour que l'orage imprime sa terreur, il faut qu'il vienne lentement, qu'on l'ait vu se former de loin, et qu'on l'ait entendu gronder.

C'est peu même de savoir amener les situations avec vraisemblance et les graduer avec art; quand le personnage y est engagé, il faut savoir l'en faire sortir, soit pour le tirer de péril ou de peine au moment que l'action l'exige, soit pour l'engager dans une situation ou plus tragique ou plus risible encore.

Lorsque, dans le Philoctète de Sophocle, Néoptolème a rendu à Philoctète ses armes, on se demande, Comment, par la seule persuasion, ce

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