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S.

SATIRE. Peinture du vice et du ridicule, en simple discours, ou en action.

Distinguons d'abord deux espèces de satire: l'une politique, et l'autre morale; et l'une et l'autre, ou générale, ou personnelle.

La satire politique attaque les vices du gouvernement. Rien de plus juste et de plus salutaire dans un état démocratique; et lorsqu'un peuple qui se gouverne est assez sage pour sentir lui-même qu'il peut ou se tromper ou se laisser tromper; qu'il peut s'amollir ou se corrompre, donner dans des travers ou tomber dans des vices qui lui seraient pernicieux, il fait très-bien d'autoriser des censeurs libres et sévères à lui dire ses vérités, à les lui dire publiquement et par écrit, et sur la scène ; à l'avertir de la décadence ou de ses lois, ou de ses mœurs; à lui dénoncer ceux qui abusent de sa faiblesse ou de sa confiance, ses complaisants, ses adulateurs, ses corrupteurs intéressés, l'incapacité de ses généraux, l'infidélité de ses juges, les rapines de ses intendants, la mauvaise foi de ses orateurs, les folles dépenses de ses ministres, les intrigues et les manéges de ses oppresseurs domestiques, etc.,

Le peuple athénien est le seul qui ait eu cette sagesse. Non-seulement il avait permis à la comédie de censurer les mœurs publiques vaguement et en général, mais d'articuler en plein théâtre les faits répréhensibles, de nommer et de mettre en scène ceux qui en étaient accusés. Ce qui n'avait été qu'un badinage, qu'une licence de l'ivresse, sur le chariot de Thespis, devint sérieux et important sur le théâtre d'Aristophane.

C'est une chose curieuse de voir ce peuple aller en foule s'entendre traiter d'enfant crédule, ou de vieillard chagrin, capricieux, avare, imbćcille et gourmand: s'entendre dire qu'il aime à être flatté, caressé par ses orateurs; que ses voisins se moquent de lui en lui donnant des louanges; qu'il ne veut pas voir qu'on l'abuse, qu'on le vole, et qu'on le trahit; qu'il vend luimême ses suffrages au plus offrant, et que celui qui sait le mieux l'amadouer est son maître, etc.

On juge bien que la satire, autorisée contre le peuple, n'avait plus rien à ménager; de là l'audace avec laquelle Aristophane osa traduire en plein théâtre, d'un côté, le peuple d'Athènes, comme un imbécille vieillard trompé et mené par Cléon; de l'autre, ce même Cléon, trésorier de l'État, comme un impudent, un voleur, un

homme vil et détestable.

Athènes n'avait pas toujours été aussi facile, aussi patiente envers les poètes satiriques. Ari

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stophane lui-même avoue que, plus timide en commençant, le sort de ses prédécesseurs les plus célèbres, tels que Magnès, Cratinus et Crates lui avait fait peur; ce qui ferait entendre qu'on les avait punis pour avoir pris trop de licence. Mais enfin le peuple avait senti le besoin qu'il avait d'être éclairé, repris lui-même avec aigreur et de donner aux gens en place le frein de la honte et du blâme. Cette licence de la satire avait pourtant quelque restriction; et c'est, dans le caractère des Athéniens, un trait de prudence et de dignité remarquable; ils voulaient bien qu'à portes closes, lorsqu'ils étaient seuls dans la ville, comme vers la fin de l'automne, la comédie les traitât sans ménagement, et les rendît ridicules à leurs propres yeux; mais ce qui était permis aux fêtes Lénéennes ne l'était pas aux Dionysiales, temps auquel la ville d'Athènes était remplie d'étrangers.

Lorsque le gouvernement passa des mains du peuple dans celles d'un petit nombre de citoyens, et pencha vers l'aristocratie, l'intérêt public ne tint plus contre l'intérêt de ces hommes puissants qui ne voulurent pas être exposés à la censure théâtrale. Dès-lors la comédie cessa d'être une satire politique, et devint par degrés la peinture vague des mœurs.

A Rome, elle se garda bien d'attaquer le gouvernement. Où Brumoi a-t-il pris que Plaute ait quelque ressemblance avec Aristophane? Le poète

qui aurait blessé l'orgueil des patriciens, et qui aurait osé dire au peuple qu'il était la dupe, l'esclave et la victime du sénat; que celui-ci, engraissé de son sang et enrichi par ses conquêtes, nageait dans l'opulence et lui refusait tout ; qu'on le jouait avec des paraboles ; qu'on l'amorçait par de vaines promesses; que les guerrès perpétuelles dont on l'occupait au-dehors, n'étaient qu'un moyen de le distraire de ses injures et de ses maux domestiques; qu'en lui faisant une nécessité d'être sans cesse sous les armes, on lui enviait même le travail de ses mains; qu'en l'appelant le maître du monde, on lui préférait des esclaves; et que, dans ce monde qu'il avait soumis, le soldat romain n'avait pas un toit où reposer sa vieillesse, ni le plus petit coin de terre pour le nourrir et l'inhumer; un poète, enfin, qui aurait osé parler comme les Gracques, aurait été assommé comme eux. Il n'en fallait pas tant : le seul crime d'être populaire perdait à jamais un consul; il payait bientôt de sa tête un mouvement de compassion pour ce peuple qu'on opprimait.

La comédie grecque du troisième âge, celle qui n'attaquait que les mœurs privées en général, sans nommer, sans désigner personne, fut donc la seule qu'on admità Rome; on l'appelait Palliata. Térence l'imita d'après Ménandre, Plaute d'après Cratinus. Mais aucun ne fut assez hardi pour imiter Aristophane, si ce n'est peutêtre Névius, qui fut chassé de Rome par la fac

tion des nobles, sans doute pour quelque licence qu'il avait voulu se donner.

La satire politique aurait eu sous les empereurs une matière encore plus ample que du temps dè la république; mais une seule allusion, à laquelle, sans y penser, un poète donnait lieu, lui coûtait la vie Emilius Scaurus en fut l'exemple sous Tibère.

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Parmi les nations modernes, la seule qui, suivant son génie, aurait pu permettre la satire politique sur son théâtre, c'était la nation anglaise ; mais comme elle est toujours divisée en deux partis, il aurait fallu deux théâtres, et, sur l'un et l'autre, des attaques trop violentes auraient dégénéré en discorde civile. La petite guerre des papiers publics leur a paru moins dangereuse et suffisamment défensive.

Ce qui doit étonner, c'est que, dans une monarchie, la satire politique ait paru sur la scène. Louis XII l'avait permise; et en effet, lorsqu'il y a dans les mœurs publiques de grands vices à corriger, une grande révolution à faire, c'est un moyen puissant dans la main du monarque, que le fléau du ridicule. Ce sage roi l'employa donc contre les vices de son siècle, surtout contre ceux du clergé ; et afin que personne n'eût à s'en plaindre, il s'y soumit lui-même. Utile et frappante leçon ! Mais le monarque qui, comme lui, voudrait donner cette licence, aurait à s'assurer d'abord qu'il n'y aurait à reprendre en lui qu'une

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