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ce rapport de consonnances, un mot en rappelle un autre; et tel vers nous aurait échappé, qui, par cette extrémité que l'on tient encore, sera retiré de l'oubli.

La rime est enfin un plaisir pour l'esprit, par la surprise qu'elle cause: et lorsque la difficulté, heureusement vaincue, n'a fait que donner plus de saillie et de vivacité, plus de grâce ou d'énergie à l'expression et à la pensée, soit par la singularité ingénieuse du mot que la rime a fait naître, soit par le tour adroit, et pourtant naturel, qu'elle a fait prendre à l'expression, soit par l'image nouvelle et juste qu'elle a présentée à l'esprit ; la surprise qui naît de ces hasards réservés au talent, où la recherche est déguisée sous l'apparence de la rencontre, cette surprise mêlée de joie est un plaisir à chaque instant nouveau, pour qui connaît l'indocilité de la langue et les difficultés de l'art.

Ce plaisir est d'autant plus vif, que la rime paraît à la fois plus rare et plus heureusement trouvée. Dans la langue italienne, où les consonnances ne sont que trop fréquentes, la rime doit causer peu de surprise elle est si commune, qu'en improvisant on la rencontre à chaque pas; et dans la contexture du vers, comme dans celle de la prose, les Italiens ont plus de peine à fuir Ja rime qu'à la chercher.

Elle est plus clair-semée dans la langue française, grâce à la variété de nos désinences: aussi

y a-t-il, s'il m'est permis de comparer le poète au chasseur, plus de bonheur à la découvrir, et plus d'adresse à l'attraper. Ce plaisir est réellement, pour le spectateur, semblable à celui de la chasse; et, en suivant la comparaison, on verra que dans l'une et l'autre la sagacité dans la recherche, l'inquiétude dans l'attente, la surprise dans la rencontre, l'adresse et la célérité à tirer juste et comme à la course, sont une suite continuelle et rapide d'agréables émotions.

Un autre avantage que la même comparaison fera sentir en faveur de la rime, c'est de donner à l'esprit, à l'imagination, et au sentiment, plus d'ardeur et d'activité, par l'aiguillon de la difficulté qui, à chaque instant, les presse et les anime. L'esprit humain est naturellement porté à l'indolence; et en écrivant en prose, rien de plus difficile que de ne pas se laisser aller à une indulgence paresseuse, et aux négligences qu'elle autorise; au lieu du moins qu'en écrivant en vers, et en vers rimés, la difficulté renaissante réveille à tout moment l'attention prête à se ralentir, et la tient, si j'ose le dire, en haleine. Tout le monde connaît les vers de La Faye, où la gêne du vers est comparée à ces canaux qui rendent les eaux jaillissantes; serait-il permis d'ajouter que la rime, à la fin d'un vers, est comme l'extrémité plus étroite encore du tuyau d'où les eaux jaillissent? C'est une attention curieuse à donner à la lecture des bons poètes, que de voir combien

d'images nouvelles, de tours originaux, d'expressions de génie, de pensées qu'ils n'auraient pas eues sans la contrainte de la rime, leur ont été données par elle; et combien d'heureuses rencontres ils ont faites en la cherchant.

Mais comme c'est en même temps à la difficulté de la rime et à l'aisance avec laquelle on a vaincu cette difficulté, que le plaisir de la surprise est attaché, il suit de là que, si la rime est trop commune, si les mots consonnants ont trop d'analogie et sont trop voisins l'un de l'autre dans la pensée, comme le simple et le composé, ou comme deux épithètes à peu près synonymes, la rime n'a plus son effet. De même si elle est trop singulière, tirée de trop loin, trop péniblement recherchée, l'effort s'y fait sentir, et l'idée de bonheur et d'adresse s'évanouit. Boileau appelait rimes de bouts-rimés, celle de Sphinx et de Syrinx, et la reprochait à La Motte. L'esclave qui traîne sa chaîne ne nous cause aucune surprise s'il joue avec ses liens, il nous étonne; et encore plus si, par la grâce et la dextérité avec laquelle il en déguise et la gêne et le poids, il s'en fait

comme un ornement.

mais

On regarde comme un tour de force d'employer des rimes bizarres, et cela est permis dans des poèmes badins, comme le conte et l'épigramme; mais dans le vrai, rien n'est plus facile, et rien ne serait de plus mauvais goût dans un poème sérieux. De cent personnes qui remplissent pas

sablement des bouts-rimés hétéroclites, il n'y en a quelquefois pas une en état de faire quatre vers élégants. L'extrême difficulté dans l'emploi de la rime, est de la rendre à la fois heureuse et naturelle, maniable et docile, au point qu'elle paraisse avoir obéi au poète, comme le cheval d'Alexandre, , que lui seul avait pu dompter. On sent que ce mérite exclut également la rime trivialė et la rime forcée : Racine est en cela le premier modèle de l'art.

Observons cependant qu'à mesure qu'un poème a, par son caractère, plus de beautés supérieures, plus de grandeur et d'intérêt, le faible mérite de la rime y devient plus frivole et moins digne d'attention. Il est encore de quelque conséquence dans la partie descriptive de l'épopée, où la tranquille majesté du récit laisse apercevoir à loisir tous les agréments accessoires du style : mais dès que la passion s'empare de la scène, soit draniatique, soit épique, l'harmonie elle-même est à peine sensible; le vers se brise, les nombres se confondent; la rime frappe en vain l'oreille, l'esprit n'en est plus occupé. De là vient que, dans plusieurs de nos plus belles tragédies, c'est la partie la plus négligée; et personne encore ne s'est avisé, en sanglottant et en versant des larmes, de critiquer deux vers sublimes, pour être rimés faiblement.

Mais dans des poésies d'un genre moins animé, moins entraînant; dans celles qui, faibles de pen

sées et dénuées de passions, tirent presque tout leur mérite de l'ingénieuse industrie de la parole, l'écrivain qui néglige la rime, renonce à l'un de ses grands avantages. Et que restera-t-il de curieux et de piquant dans la construction de ces vers froids, s'ils ne sont pas rimés ?

Les versificateurs vulgaires, qui négligent la rime, pour ressembler en quelque chose à un grand poète, qui, dans la rapidité de ses compositions l'aura quelquefois négligée, sont loin d'avoir les mêmes droits que lui de se dispenser de la règle. On les entend parler avec dédain de cette attention à bien rimer, qu'ils appellent minutieuse. Mais que n'ont-ils, comme Voltaire, vingt mille beaux vers bien rimés à produire, pour faire voir que, s'ils le voulaient bien, ils rimeraient encore de même? En s'épargnant la peine d'être corrects, les grands écrivains se donnent des licences, les petits se donnent des airs ; et l'affectation de mépriser le talent qu'on n'a pas, fut toujours la ressource de la vanité impuissante.

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