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commun de parler de ce qu'on sait bien, ou de ce qu'on sent vivement?

Dans tous les genres de contention qui s'élèvent entre les hommes, si la force méprisait l'adresse, la faibtesse l'inventerait. Dès que l'homme s'est exercé à manier la massue ou la fronde, l'art

de la guerre a pris naissance; dès que l'homme, avant de parler, a réfléchi à ce qu'il devait dire, la rhétorique a commencé. Ainsi, depuis que l'on s'est aperçu que, par la puissance de la parole, on dominait les esprits et les ames; depuis qu'entre la vérité et le mensonge, entre le bon droit et la fraude, s'est élevée cette guerre, dont l'éloquence est tour-à-tour l'arme offensive et défensive; chacun à l'envi s'exerçant au combat, pour s'en procurer l'avantage, la rhétorique a dû former un art, ainsi que la lutte et l'escrime, ou, pour la comparer à un objet plus noble, ainsi elle-même : Nam quo

que la

guerre

indignius rem honestissimam et rectissimam violabat stultorum et improborum temeritas et audacia, summo cum reipublicæ detrimento; eo studiosius et illis resistendum fuit et reipublicæ consulendum. (De invent. Rhet.)

Si donc la rhétorique n'est que le résultat des observations faites par les meillenrs esprits, sur les procédés les plus ingénieux et les moyens les plus puissants de l'éloquence naturelle, il en sera de l'éloquence comme de tous les arts, inventés par l'instinct, éclairés par l'expérience,

et perfectionnés par l'usage. Quæ sua sponte-homines eloquentes fecerunt, ea quosdam observasse atque id egisse: sic esse non eloquentiam ex artificio, sed artificium ex eloquentia natum. (De Orat. lib. 1.)

Or, en effet, la rhétorique n'est que la théorie de cet art de persuader, dont l'éloquence est la pratique. L'une trace la méthode, et l'autre la suit : l'une indique les sources, et l'autre y va puiser ; l'une enseigne les moyens, et l'autre les emploie : l'une, pour me servir de l'expression de Cicéron, abat une forêt de matériaux, et l'autre en fait le choix et les met en œuvre avec intelligence. La rhétorique embrasse les possibles; l'éloquence s'attache à l'objet qu'elle se propose, aux faits qui lui sont présentés et c'est ainsi que ce premier instinct de l'éloquence naturelle est devenu le plus savant, le plus profond de tous les arts.

Mais quelle en est la véritable école? La Grèce en avait deux, celle des philosophes et celle des rhéteurs. La première donna des hommes éloquents, tels que Périclès, Thémistocle, Alcibiade, Xénophon, Démosthène; la seconde ne fit guère que des sophistes et que de vains décla

mateurs.

L'étude de l'homme en général et de l'homme modifié par les diverses institutions, avec ses passions, ses vertus et ses vices, ses affections et ses penchants, semblait former exprès pour

l'éloquence les disciples d'Anaxagore, de Socrate, et de Théophraste; et dans ce premier âge, ou la philosophie était pour l'éloquence une mère adoptive, la prenait au berceau, l'allaitait, l'élevait, dirigeait ses pas chancelants, l'affermissait dans les sentiers du vrai, du juste et de l'honnête, et, saine et vigoureuse, la menait par la main au barreau ou dans la tribune; dans ce premier âge, dit Cicéron, l'on apprenait en même temps à bien vivre et à bien parler; la vertu, la sagesse, et l'éloquence, ne faisaient qu'un ; le même homme, à la même école, était exercé, comme Achille, à la parole et à l'action: Orator verborum, actorque rerum.

Il n'en était pas de même des rhétoriciens : les philosophes appelaient les orateurs formés à cette école, des ouvriers de paroles à la langue légère. Ils prétendaient qu'on y parlait beaucoup de préambules et d'épilogues, et de semblables niaiseries; mais que de la constitution politique d'un État, de la législation, de la justice, de la bonne foi, des passions à réprimer, des mœurs publiques à former, on n'y en disait pas un seul mot. Ils ajoutaient que ces prétendus maîtres d'éloquence n'avaient pas l'idée de l'éloquence et de ses moyens que le point important pour l'orateur était d'abord de persuader à ses juges qu'il était bien sincèrement tel lui-même qu'il s'annonçait, ce qu'il ne pouvait obtenir que par la dignité d'une vie exemplaire, article absolu

ment omis dans les préceptes de ces docteurs? que son affaire était ensuite d'affecter l'ame de ceux qui l'écoutaient, comme il voulait qu'elle fût affectée, ce qui n'était possible qu'autant qu'il saurait bien de quelle manière, et par quels objets, et avec quel genre d'éloquence on faisait sur l'ame des hommes telles ou telles impressions. Or, disaient-ils, ces secrets-là sont profondément enfermés et scellés au sein de la philosophie, comme en un vase dont les lèvres des rhétoriciens n'ont pas même effleuré les bords.

Ainsi les véritables maîtres d'éloquence, chez les anciens, furent les philosophes; et c'est l'hommage que Cicéron rendait à la philosophie, en avouant que, s'il était orateur lui-même, il l'était devenu dans les promenades de l'académie, non dans les ateliers des rhétoriciens. Me oratorem, si modo sim, non ex rhetorum officinis, sed ex academiæ spatiis exstitisse (Orat.). .

Nam nec latius nec copiosius de magnis variisque rebus sine philosophia potest quisquam dicere. (De Orat.)

A Rome, la philosophie se détacha de l'éloquence, en même temps que des affaires; et Cicéron compare ce divorce à celui des fleuves qui des sommets de l'Apennin vont se jeter, les uns dans cette heureuse mer de la Grèce, où l'on trouve partout des ports favorables et assurés ; les autres dans cette mer étrusque, pleine d'orages et d'écueils. C'est dans le texte qu'il faut voir

num,

cette image de la tranquille sûreté que se ménageait la philosophie, et des travaux dangereux et pénibles auxquels se livrait l'éloquence. Il n'y a peut-être pas dans les écrits de l'antiquité une plus belle comparaison. Ut ex Apennino, flumisic ex communi sapientium jugo sunt doctrinarum facta divortia; ut philosophi, tanquam in superum mare Ionium defluerent, græcum quoddam et portuosum; oratores autem in inferum hoc, Tuscum et barbarum, scopulosum atque infestum laberentur, in quo etiam ipse Ulysses errasset. De Orat. lib. 3.)

L'école de Zénon (je l'ai déjà dit) méprisa l'éloquence comme un artifice également indigne de la vérité et de la vertu ; l'école d'Aristippe la rejeta comme impliquée dans les affaires. «Ne leur en faisons pas un reproche, dit Cicéron car, après tout, ce sont des gens de bien, et des gens heureux, puisqu'ils croient l'être. Mais avertissons-les de garder leur opinion pour eux seuls, fût-elle la vérité même, et de tenir cachée comme un mystère, cette maxime, que le sage ne doit point se mêler de la chose publique; car, si nous tous, bons citoyens, nous en étions persuadés comme eux, il ne leur serait plus possible de conserver ce qu'ils chérissent tant, leur oisive tranquillité. » Istos sine contumelia dimittamus; sunt enim et boni viri, et, quoniam sibi ita videntur, beati; tantumque eos admoneamus, ut illud, etiamsi est verissimum, tacitum tamen tanquam mysterium

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