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les plus puissants, et les effets les plus constamment infaillibles, donnent ces résultats pour régles, sans prétendre que le génie s'y soumette servilement, et n'ait pas le droit de s'en dégager toutes les fois qu'il sent qu'elles l'appesantissent ou le mettent trop à la gêne. Ce sont des moyens de bien faire qu'on lui propose, en lui laissant la liberté de faire mieux: celui-là seul a tort, qui fait plus mal en s'écartant des règles; et comme il n'y a rien de plus commun qu'un ouvrage régulier et mauvais, il est possible, quoique plus rare, d'en produire un qui plaise universellement, contre les règles et en dépit des règles. Le poème de l'Arioste en est un exemple. Mais la licence alors est obligée de mériter, à force d'agréments et de beautés qui lui soient dues, qu'on la préfère à plus de régularité.

On a dit que quelques lignes tracées par un homme de génie sont plus utiles au talent que des méthodes péniblement écrites par de froids spéculateurs. Rien n'est plus vrai, quand il s'agit d'échauffer l'ame et de l'élever. Mais les modèles les plus frappants ne jettent leur lumière que sur un point; celle des règles est plus étendue, elle éclaire toute la route: il ne faut donc avoir pour les règles tracées, ni un présomptueux mépris, ni un respect superstitieux et servile. Aristote, Cicéron, et Quintilien, pour les orateurs; Aristote, Horace, Longin, Boileau, pour les poètes, sont des guides que le génie lui-même

ne doit pas dédaigner de suivre: mais pour marcher d'un pas plus sûr, il ne doit pas cesser de marcher d'un pas libre.

RÉVOLUTION. Dans le poème épique ou dramatique, lorsque la fable est implexe, il arrive, sur la fin de l'action, un événement qui change la face des choses, et qui fait passer le personnage intéressant du malheur à la prospérité, ou de la prospérité au malheur; c'est ce qu'on appelle révolution.

Que dans la tragédie la révolution soit heureuse ou malheureuse, elle ne doit jamais être prévue par l'acteur; et lorsqu'il est sur le bord de l'abîme, sa situation n'en est que plus touchante s'il a le bandeau sur les yeux.

Mais faut-il de même que la révolution soit inattendue pour le spectateur? Non pas si elle est funeste ; car en la prévoyant, on frémit d'avance, et la terreur mène à la pitié. On prévoit dès l'exposition d'OEdipe, que ce malheureux prince va se convaincre d'inceste et de parricide, éclairer l'abîme où il est tombé, et finir par être en horreur à la nature et à lui-même; et à chaque nouvelle clarté qui lui vient, la terreur et la pitié redoublent. Il n'est donc pas toujours vrai, comme le croyait Aristote, que la terreur et la pitié naissent de la surprise que nous cause l'événement.

C'est lorsque la révolution est heureuse qu'elle ne doit être pour les spectateurs que dans l'ordre des possibles, et des possibles éloignés, dont les moyens sont inconnus : car le personnage en péril cesse d'être à plaindre, dès qu'on prévoit sa délivrance. Mais ne la prévoit-on pas, direz-vous, quand on a lu la tragédie, ou qu'on l'a vu jouer une fois? Le soin qu'aura le poète de cacher un dénouement heureux sera donc alors inutile. Non, si son intrigue est bien tissue. Quelque prévenu qu'on soit de la manière dont tout va se résoudre, la marche de l'action en écarte la réminiscence; l'impression de ce que l'on voit empêche de réfléchir à ce que l'on sait, comme je l'ai fait observer ailleurs; et c'est par ce prestige que les spectateurs qui se laissent toucher, pleurent vingt sois au même spectacle : plaisir que ne goûtent jamais les vains raisonneurs et les froids critiques,

Ceux-ci portent à nos spectacles deux principes opposés, le sentiment qui veut être ému et l'esprit qui ne veut pas qu'on le trompe. La prétention à juger de tout, fait qu'on ne jouit de rien; on veut en même temps prévoir les situations et en être surpris, combiner avec l'auteur et s'attendrir avec le peuple, être dans l'illusion et n'y être pas. Les nouveautés surtout ont ce désavantage, qu'on y va moins en spectateur qu'en critique: là, chacun des connaisseurs est comme double; et son cœur a dans son esprit

un incommode et fâcheux voisin. Ainsi le poète, qui ne devrait avoir que l'imagination à séduire, a de plus la réflexion à combattre et à repousser. C'est un malheur pour le public lui-même; mais de son côté il est sans remède : ce n'est que du côté du poète qu'il est possible d'y remédier; et en voici les moyens.

Le premier et le plus facile est de rendre, par un dénouement funeste, le pathétique de l'événement indépendant de la surprise : le second, de faire naître le dénouement, s'il est heureux, du fond des caractères passionnés et par là susceptibles des mouvements contraires.

Dans le premier cas, ce qui doit arriver étant pitoyable et terrible, lors même que la crainte cesse d'être mêlée d'espérance, l'ame du spectateur r ne laisse pas d'être émue encore. Mais comme le pathétique dépend absolument de l'impression réfléchie, qui, de l'ame de l'acteur intéressant, se communique à la nôtre; si l'impression n'était pas violente, le contre-coup serait faible et léger. Pourquoi la mort de Zopire, celle de Sémiramis, celle de Zaïre, celle d'Inès, est-elle pour nous si douloureuse? parce qu'elle est douloureuse à l'excès pour les acteurs dont nous prenons la place. Pourquoi le dénouement de Britannicus est-il si froid, tout funeste qu'il est? parce qu'il n'excite, ni dans l'ame de Néron, dans celle de Burrhus, ni dans celle d'Agrippine, une assez forte émotion. Junie demande ven

ni

geance au peuple, et se retire parmi les vestales; sa douleur n'a rien de touchant. Mais Sémiramis égorgée tend les bras à son meurtrier, et son meurtrier est son fils; mais Zopire se traîne vers ses enfants qui viennent de l'assassiner, et leur apprend qu'ils ont plongé le poignard dans le sein de leur père; mais Orosmane, en retirant sa main sanglante du sein de Zaïre, apprend qu'elle était innocente, et qu'elle n'a jamais aimé que lui; mais Inès, entourée de ses enfants, sent les atteintes du poison mortel, et Pèdre, au moment qu'il se croit le plus heureux des époux et des pères, trouve sa femme, qu'il adore, empoisonnée et rendant les derniers soupirs : voilà de ces événements qui, pour déchirer l'ame des spectateurs, n'ont pas besoin de la surprise, et qui sont même d'autant plus pathétiques, qu'ils sont annoncés et prévus. Aussi les anciens, lorsqu'ils préparaient une catastrophe funeste, ne prenaient-ils aucun soin de la cacher au spectateur; et c'est, pour ce genre de tragédie, un avantage que je n'ai pas voulu dissimuler.

Mais où sera l'incertitude et ce mélange d'espérance et de crainte auquel j'ai dit ailleurs que l'intérêt tragique est attaché? En voyant l'écueil ou l'abîme, on ne sera pas sûr encore que le malheureux qui est en butte à la tempête y périra. Et pour s'intéresser vivement à son sort, il suffit qu'à beaucoup de crainte se mêle encore une faible espérance, jusqu'au moment qu'il se

Élém. de Littér. IV.

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