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du plaisir sensible et délicat que nous éprouvons à être trompés. Il doit donc y avoir dans l'imitation une ressemblance, afin que l'ame y soit trompée; mais il doit y avoir en même temps une différence sensible, afin que l'ame s'aperçoive et jouisse confusément de son erreur.

Ce n'est pas que la nature même, présentée sur un théâtre avec toute sa vérité, comme dans les combats de gladiateurs ou d'animaux, ne pût faire une sorte de plaisir, si en elle-même elle était assez belle ou assez touchante : mais ce plaisir serait l'effet direct de la réalité, et non l'effet de la surprise que l'art nous cause quand nous admirons son adresse, et que, semblable à Galatée, il se cache, et se laisse encore apercevoir en se cachant.

Alternativement savoir et oublier que l'imitation est un artifice; sentir à chaque instant le mérite de l'art, en le prenant pour la nature; jouir par sentiment des apparences de la vérité, et par réflexion des charmes du mensonge : voilà le composé réel, quoique ineffable, du plaisir que nous font les arts d'imitation.

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J'ai dit que le mensonge était tantôt dans le moyen, tantôt dans la manière dont s'opérait l'illusion dans le moyen, lorsque, par exemple, la peinture, avec une toile et des couleurs, imite des contours, des reliefs, des lointains, etc.; dans la manière, lorsque le moyen de l'art et celui de la nature sont les mêmes, et que l'art ne

fait que le modifier d'une manière qui lui est propre, et qui donne de l'avantage à l'imitation sur le modèle. C'est ainsi que la tragédie s'exprime en vers et d'un ton plus élevé que ne le fut jamais le ton de la nature; c'est ainsi que la comédie réunit dans un seul caractère plus de traits de ridicule, et dans une seule action plus d'incidents et de rencontres singulières, que le même espace de temps ne nous en eût fait voir dans la réalité; c'est ainsi enfin que, dans l'opéra, on a permis de porter la licence de la fiction jusqu'à parler en chantant.

De même tous les arts d'imitation ont leurs données; et les seules conditions qu'on leur impose sont l'illusion et le plaisir.

S'il est donc vrai que le chant, comme les vers, embellisse l'imitation de la parole, sans détruire l'illusion, on aurait tort de se refuser au nouveau plaisir qu'il nous cause : ce ne sera jamais un peuple doué d'une oreille sensible qui se plaindra qu'on lui parle en chantant.

Les Italiens ont trouvé dans cette licence une source intarissable de sensasions, délicieuses; et leur imagination, assez vive pour être encore séduite par une imitation éloignée de la nature, n'a presque pas mis de bornes à la liberté accordée au musicien.

Les Français jusqu'ici ont été plus sévères, par la raison peut-être que leur imagination est moins vive, ou leur organe moins sensible.

Cependant, chez les Italiens mêmes, l'art, tìmide dans sa naissance, se tint le plus près qu'il lui fut possible de la nature. Le récitatif, c'està-dire une déclamation notée et non mesurée, ou quelquefois seulement accompagnée par la symphonie, et avec elle soumise aux lois de la mesure et du mouvement, fut d'abord tout ce qu'on osa se permettre dans la suite on fut plus hardi.

Or de savoir s'il fallait s'en tenir à cette première simplicité, ou jusqu'à quel point l'art pouvait s'étendre et s'éloigner de la vérité, à condition de l'embellir; c'est un problème que la spéculation ne peut résoudre, mais dont l'expérience et le sentiment, chez les différents peuples du monde, nous donnent la solution.

La scène déclamée est ce qu'il y a de plus ressemblant au ton naturel de la parole. La scène chantée sans accompagnement et sans mesure, est ce qui approche le plus de la déclamation. Le récit obligé s'en éloigne un peu davantage, soit parce qu'il est accompagné, et que cette alliance de la symphonie avec la voix n'a point de modèle dans la nature, soit parce qu'il est mesuré, et que l'expression naturelle de nos pensées et de nos sentiments ne l'est pas. Enfin l'air est encore une imitation plus altérée, plus éloignée de la vérité ; car la rondeur, la symétrie, et l'unité du chant ne ressemblent que de très loin aux modulations libres et naturelles de la voix.

Si donc on ne cherchait dans l'expression musicale que la vérité de l'imitation, et si, pour produire l'illusion, il fallait que l'imitation fût fidèle; il n'y aurait aucun doute que la musique la plus parfaite ne fût le simple récitatif; et ce récitatif lui-même, moins naturel que la déclamation, n'en eût pas dû prendre la place.

Mais dans l'imitation, on ne cherche pas seulement la vérité ; on y désire, comme je l'ai dit, la vérité embellie, c'est-à-dire une impression plus agréable que celle de la vérité même, ou de son exacte ressemblance; il s'agit donc ici d'un calcul de plaisirs.

Ne demandez-vous qu'à être émus par le tableau le plus frappant d'une action pathétique, fuyez loin du théâtre où l'on chante, et allez à celui où des acteurs habiles donnent aux passions leur accent naturel : une voix étouffée, une voix déchirante, les gémissements, les cris, les sanglots d'un Brizard, d'une Dumesnil, vous feront plus d'illusion et une impression plus profonde, que les éclats de voix d'une Le Maure, ou que les sons mélodieux d'une Faustine ou d'un Farinelli; et à l'avantage de l'expression se joindra celui d'un poème où le génie, n'étant gêné sur rien, n'a eu rien à sacrifier. Voyez LYRIQUE.

Mais voulez-vous joindre, au plaisir d'être ému d'étonnement, de crainte, ou de pitié, celui d'avoir l'oreille agréablement affectée par une

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succession ou par un ensemble de sons touchants, de sons harmonieux; allez au théâtre où l'on chante, et demandez à ce théâtre que l'art du chant y soit porté au plus haut degré d'expression et de charme.

Qu'on se rappelle donc ce qu'on s'est proposé, lorsque de la tragédie on a fait l'opéra : on a voulu jouir à la fois des plaisirs de l'esprit, de l'ame, et de l'oreille. Il a donc fallu d'abord que la déclamation fût, non-seulement expressive, mais encore mélodieuse; et tant qu'on n'a pas eu d'autre chant que le récitatif, on a eu raison de le rendre le plus chantant qu'il a été possible; de là les cadences, les ports de voix, les tenues, les prolations que les Français y ont introduites pour y faire briller l'organe d'un Muraire, ou d'une Le Maure.

Les Italiens, au contraire, se sont fait un récitatif dénué de tout ornement. Ils n'ont pu noter les accents inappréciables de la parole; mais la voix des chanteurs habiles a su ajouter à la note, des inflexions, des liaisons, des nuances de sons, pour m'exprimer ainsi, qui ont rapproché, autant qu'il est possible, les accents de la mélopée de ceux de la simple déclamation: par là ils ont rendu leur récitatif le moins chantant qu'il pouvait l'être. Mais en revanche ils y ont mêlé des morceaux d'un caractère plus marqué et d'une expression plus énergique. Dans ces morceaux qu'ils appellent récitatif obligé, la me

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