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l'inutile en être rejeté ; ou, pour me servir d'une autre image, la versification est une mosaïque dont il faut remplir le dessin : les pièces en sont presque toutes éparses dans la prose; il s'agit de les discerner, de les choisir, de les mettre à leur place, de les adapter de manière que chacune d'elles porte une nuance au tableau, et que toutes ensemble, sans laisser aucun vide, sans se gêner, sans déborder l'espace qui leur est prescrit, forment un tout dans lequel l'industrie et le travail se dérobent aux yeux.

PROSODIE. Ou les sons élémentaires de la langue française ont une valeur appréciable et constante; et alors sa prosodie est décidée; ou ils n'ont aucune durée prescrite; et alors ils sont dociles à recevoir la valeur qu'il nous plaît de leur donner; ce qui ferait de la langue française la plus souple de toutes les langues; et ce n'est pas ce que l'on prétend, lorsqu'on lui dispute sa prosodie.

Que m'opposera donc le préjugé que j'attaque? Dire que les syllabes françaises sont en même temps indécises dans leur valeur et décidées à n'en avoir aucune, c'est dire une chose absurde en elle-même : car il n'y a point de son pur ou articulé qui ne soit naturellement disposé à la lenteur ou à la vitesse, ou également susceptible de l'une et de l'autre ; et son caractère ne

peut l'éloigner de celle-ci, sans l'incliner vers celle-là.

Les langues modernes, dit-on, n'ont point de syllabes qui soient longues ou brèves par ellesmêmes. L'oreille la moins délicate démentira ce préjugé; mais je suppose que cela soit, les langues anciennes en ont-elles davantage? Est-ce par elle-même qu'une syllabe est tantôt brève et tantôt longue dans les déclinaisons latines? Veuton dire seulement que dans les langues modernes la valeur prosodique des syllabes manque de précision? Mais qu'est-ce qui empêche de lui en donner? L'auteur de l'excellent Traité de la Prosodie française, après avoir observé qu'il y a des brèves plus brèves, des longues plus longues, et une infinité de douteuses, finit par décider que tout se réduit à la brève et à la longue en effet, tout ce que l'oreille exige, c'est la précision de ces deux mesures; et si, dans le langage familier, leur quantité relative n'est pas complète, c'est à l'acteur, c'est au lecteur d'y suppléer en récitant. Les Latins avaient, comme nous, des longues plus longues, des brèves plus brèves, au rapport de Quintilien; et les poètes ne laissaient pas de leur attribuer une valeur égale.

Quant aux douteuses, ou elles changent de valeur en changeant de place; alors, selon la place qu'elles occupent, elles sont décidées brèves ou longues ou réellement indécises, elles

reçoivent le degré de lenteur ou de vitesse qu'il plaît au poète de leur donner; alors, loin de mettre obstacle au nombre, elles le favorisent; et plus il y a dans une langue de ces syllabes dociles aux mouvements qu'on leur imprime, plus la langue elle-même obéit aisément à l'oreille qui la conduit. Je suppose donc, avec l'abbé d'Olivet, tous nos temps syllabiques réduits à la valeur de la longue et de la brève : nous voilà en état de donner à nos vers une mesure exacte et des nombres réguliers.

<< Mais où trouver, me dira-t-on, le type des quantités de notre langue? L'usage en est l'arbitre, mais l'usage varie; et sur un point aussi délicat que l'est la durée relative des sons, il est malaisé de saisir la vraie décision de l'usage.

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Il est certain que, tant que les vers n'ont point de mètre précis et régulier dans une langue, sa prosodie n'est jamais stable; c'est dans les vers qu'elle doit être comme en dépôt, semblable aux mesures que l'on trace sur le marbre pour rectifier celles que l'usage altère; et sans cela comment s'accorder? La volubilité, la mollesse, les négligences du langage familier sont ennemies de la précision. Fluxa et lubrica res sermo hu

dit Platon. Vouloir qu'une langue ait acquis par l'usage seul une prosodie régulière et constante, c'est vouloir que les pas se soient mesurés d'eux-mêmes sans être réglés par le chant.

Chez les anciens, la musique a donné ses nombres à la poésie; ces nombres, employés dans les vers et communiqués aux paroles, leur ont donné telle valeur; celles-ci l'ont retenue et l'ont apportée dans le langage; les mots pareils l'ont adoptée, et par la voie de l'analogie le système prosodique s'est formé insensiblement. Dans les langues modernes, l'effet n'a pu précéder la cause, et ce ne sera que long-temps après qu'on aura prescrit aux vers les lois du nombre et de la mesure, que la prosodie sera fixée et unanimement reçue.

En attendant, elle n'a, je le sais, que des règles défectueuses; mais ces règles, corrigées l'une par l'autre, peuvent guider nos premiers pas.

1o L'usage, consulté par une oreille attentive et juste, lui indiquera, sinon la valeur exacte des sons, au moins leur inclination à la lenteur ou à la vitesse.

2° La déclamation théâtrale vient à l'appui de l'usage, et détermine ce qu'il laisse indécis.

3° La musique vocale habitue depuis long-temps nos oreilles à saisir de justes rapports dans la durée relative des sons élémentaires de la langue; et le chant mesuré, dont nous sentons mieux que jamais le charme, va rendre plus précise encore la justesse de ces rapports. Ainsi des observations faites sur l'usage du monde, sur la déclamation théâtrale, et sur le chant mesuré; de ces

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observations recueillies avec soin, combinées ensemble et rectifiées l'une par l'autre, peut résulter enfin un système de prosodie fixe, régulier et complet.

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