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défaut. Le caractère de ce genre de poésie est si marqué par le coloris, le coloris, l'harmonie, la pompe de l'expression, la hardiesse des tours, des mouvements et des images, que, lorsqu'elle descend au ton et au langage de la prose, c'est-à-dire lorsqu'elle emploie un style dénué d'harmonie et de couleur, faible d'expression, languissant, ou timide dans les tours ou dans les figures, on dit : C'est de la prose; et l'on s'y trompe rarement.

Mais lorsque la poésie se rapproche du style familier, comme dans l'épître et dans la comédie, quel est son caractère distinctif, et à quoi reconnaître le vers qu'on peut appeler prosaïque? Citons quelques vers sans couleur, sans inversions, sans hardiesse :

On plaît moins par l'esprit que par le caractère.

La honte est dans l'offense, et non pas dans l'excuse.
Qui n'a point de désir est exempt de besoins.
L'homme toujours heureux sait-il s'il est aimé ?
On affaiblit toujours ce que l'on exagère.
Qui méprise sa vie est maître de la mienne.
Le malheur n'avilit que les cœurs sans courage.
Nous perdons par degrés les erreurs les plus chères.
Il faut rendre meilleur le pauvre qu'on soulage.
Les bêtes ne sont pas si hêtes que
l'on pense.
Chacun croit aisément ce qu'il craint ou désire.
Qu'il est dur de haïr ce qu'on voudrait aimer !

Voilà certainement d'excellents vers et d'ex

cellentes lignes de prose, à la mesure près : nulle image, nulle licence, nulle métaphore hardie, rien qui ne soit du style le plus naturel et le plus

familier. C'est ainsi que l'on parle lorsqu'on parle bien; et cela même fait encore que ces vers sont meilleurs. Qu'est-ce donc qui distingue un vers prosaïque d'un vers qui ne l'est pas? Un seul défaut. Lequel? le manque d'harmonie? Non, pas encore. Il y a de très bons vers dont l'harmonie n'est pas sensible.

Quand tout le monde a tort, tout le monde a raison.

Tel est devenu fat à force de lecture,

Qui n'eût été qu'un sot en suivant la nature.

Un sot savant est sot plus qu'un sot ignorant.

Nulle harmonie dans ces vers le dernier même est pénible à l'oreille, et n'en est pas moins bon. Quel est donc le défaut qui fait qu'un vers est prosaïque? Le mot latin soluta oratio nous l'indique; et ces vers de Boileau nous le font sentir encore mieux :

Maudit soit le premier dont la verve insensée
Dans les bornes d'un vers enferma sa pensée,
Et donnant à ses mots une étroite prison,
Voulut avec la rime enchaîner la raison.

C'est l'adresse et la précision avec laquelle une pensée est enchâssée dans un vers, dont elle remplit la mesure, sans qu'on y aperçoive ni du vide ni de la gêne, et de manière que l'expression y semble comme jetée au moule ; c'est là ce qui distingue essentiellement les vers bien faits, des vers lâches, des vers contraints, et enfin des vers prosaïques.

Ainsi, par exemple, les vers de Campistron et de La Grange sont souvent prosaïques, bien que le style en soit plus élevé que celui de la prose, parce qu'ils sont diffus et faibles; ainsi ceux de Racine ne le sont jamais, parce qu'ils sont pleins. Ainsi les beaux vers de Corneille sont les plus beaux vers de notre langue, parce que la nature elle-même semble les avoir faits et que la pensée qu'ils expriment semble être née dans la tête du poète revêtue de son expression. Quoi de plus semblable à de la bonne prose, et quoi de plus heureux que ces vers?

Rome, si tu te plains que c'est là te trahir...

Fais-toi des ennemis que je puisse haïr.

Nous ne sommes qu'un sang et qu'un peuple en deux villes :

Pourquoi nous déchirer par des guerres civiles?...

Dis-lui, que l'amitié, l'alliance, l'amour,

Ne pourront empêcher que les trois Curiaces

Ne servent leur pays contre les trois Horaces.

Il y en a mille dans ce poète, mille dans Racine, mille dans Voltaire, qui, à la mesure près, sont les mêmes phrases que Bossuet ou Massillon auraient employées pour exprimer en prose le niême sentiment ou la même pensée. Mais cette alliance parfaite de la justesse, de l'élégance, de la force de l'expression, avec la mesure, la cadence et la rime, procure à l'esprit et à l'oreille en même temps cette satisfaction mêlée de surprise, qui naît d'une difficulté ingénieusement vaincue, plaisir expressément attaché aux bons

vers.

C'est par-là que ce qui n'est souvent dans les vers de Racine qu'une prose élégante et noble, telle que Bossuet l'aurait faite, ne laisse pas de former de beaux vers.

Pensez-vous être saint et juste impunément ?...

Ce temple l'importune, et son impiété
Voudrait anéantir le dieu qu'il a quitté...

Pour vous perdre il n'est point de ressort qu'il n'invente :
Quelquefois il vous plaint, souvent même il vous vante...
Celui qui met un frein à la fureur des flots,
Sait aussi des méchants arrêter les complots:
Soumis avec respect à sa volonté sainte,

Je crains Dieu, cher Abner, et n'ai point d'autre crainte.

Si mon observation est juste, il n'y a point de style poétique proprement dit; et avec de la poésie (ou ce qu'on appelle communément ainsi), on peut faire de mauvais vers, comme on peut en faire d'excellents avec de la prose; rien, exemple, de plus semblable à de la prose que ces vers de Molière, et cependant rien de mieux fait.

Qu'importe qu'elle manque aux lois de Vaugelas?
Pourvu qu'à la cuisine elle ne manque pas.

, par

J'aime bien mieux, pour moi, qu'en épluchant ses herbes,
Elle accommode mal les noms avec les verbes,

Et redise cent fois un bas et méchant mot,
Que de brûler ma viande ou saler trop mon pot:
Je vis de bonne soupe et non de beau langage.
Vaugelas n'apprend point à bien faire un potage;
Et Malherbe et Balzac, si savants en bons mots,
En cuisine peut-être auraient été des sots.

Au contraire, rien de plus poétique à ce qu'on dit, que des vers où les inversions, les métaphores, les hyperboles, les épithètes éclatantes, les expressions étranges et hardies sont prodiguées; mais dans lesquels tous ces mots entassés ne font que gonfler l'expression, et promener dans un long détour une pensée faible et commune. Ainsi ceux qui refusent le nom de poèmes aux comédies de Molière, au Tartufe, au Misanthrope, à l'École des femmes, à l'École des maris, aux Femmes savantes, et qui appellent cela de la prose rimée, et ceux qui se récrient sur la belle versification d'une pièce qui n'est souvent qu'une déclamation traînante ou qu'un pompeux galimatias, me semblent également ignorer ce qui fait les vers prosaïques, et ce qui caractérise les bons vers.

Il faut observer cependant que ce qui dans la prose est incompatible avec la précision, avec le tour vif, animé, rapide et de l'expression et de la pensée ; ce qui rend l'une trop diffuse et l'autre languissante; ce qui embarrasse ou retarde leur mouvement et les appesantit; des formules de transitions et de raisonnements, de longs mots dénués d'harmonie, des contextures de phrases enchevêtrées ou prolongées; tout cela, dis-je, doit être exclu des vers, par la raison que dans ce petit cercle où l'expression est renfermée, tout doit être net et pressé. Le nécessaire y doit trouver place comme dans un navire, et

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