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leur origine; leur imagination, qui animait tout dans la nature, qui ennoblissait jusqu'aux détails les plus familiers de la vie; leur sensibilité, qui leur faisait préférer à tout le plaisir d'être émus et qui semblait aller sans cesse au-devant de l'illusion, en admettant sans répugnance tout ce qui la favorisait, en écartant toute réflexion qui en aurait détruit le charme; un peuple enfin dominé par ses sens, livré à leur séduction, et pasionnément amoureux de ses songes.

Dans les connaissances humaines, ce mélange d'ombre et de lumière, si favorable à la poésie lorsqu'il se combine avec un génie inquiet et audacieux, parce qu'il met en activité les forces de l'ame et la curiosité de l'esprit; la physique et l'astronomie couvertes d'un voile mystérieux, et laissant imaginer aux hommes tout ce qu'ils voulaient, pour suppléer aux lois de la nature et à ses ressorts qu'ils ne connaissaient pas ; une curiosité impuissante d'en pénétrer les phénomènes, source intarissable d'erreurs ingénieuses et poétiques, car l'ignorance fut toujours mère et nourrice de la fiction.

Dans les arts, la manière de combattre et de s'armer de ces temps-là, où l'homme, livré à luimême, se développait aux yeux du poète avec tant de noblesse, de grâce et de fierté; la navigation plus périlleuse et par là plus intéressante, où le courage, au défaut de l'art, était sans cesse mis à l'épreuve des dangers les plus effrayants;

où ce qui nous est devenu familier par l'habitude, était merveilleux par la nouveauté; où la mer, que l'industrie humaine semble avoir aplanie et domptée, ne présentait aux yeux des matelots des abîmes et des écueils; le que peu de progrès des mécaniques, car l'homme n'est jamais plus intéressant et plus beau que lorsqu'il agit par lui-même; et ce que disait un Spartiate en voyant paraître à Samos la première machine de guerre, C'est fait de la valeur, on put le dire aussi de la poésie épique, dès que l'homme apprit à se passer d'être robuste et vigoureux.

Dans l'histoire, une tradition mêlée de toutes les fables qu'elle avait pu recueillir en passant par l'imagination des peuples, et susceptible de tout le merveilleux que les poètes y voulaient répandre, le peu de connaissance qu'on avait alors du passé leur laissant la liberté de feindre, sans jamais être démentis.

Enfin une religion qui parlait aux yeux et qui animait tout dans la nature, dont les mystères étaient eux-mêmes des peintures délicieuses dont les cérémonies étaient des fêtes riantes ou des spectacles majestueux; un dogme, où ce qu'il y a de plus terrible, la mort et l'avenir, était embelli par les plus brillantes peintures; en un mot, une religion poétique, puisque les poètes en étaient les oracles, et peut-être les inventeurs. Voilà ce qui environnait la poésie épique dans son

berceau.

Mais, ce qui intéresse plus particulièrement la tragédie que le poème épique, une foule de dieux, comme je l'ai dit ailleurs, passionnés, injustes, violents, divisés entre eux et soumis à la destinée; des héros issus de ces dieux, servant leur haine et leur fureur, et les intéressant euxmêmes dans leurs querelles ou leurs vengeances; les hommes esclaves de la fatalité, misérables jouets des passions des dieux et de leur volonté bizarre; des oracles obscurs, captieux, et terribles; des expiations sanguinaires; des sacrifices

de sang humain; des crimes avoués, commandés par le Ciel; un contrasté éternel entre les lois de la nature et celles de la destinée, entre la morale et la religion; des malheureux placés comme dans un détroit sur le bord de deux précipices, et n'ayant bien souvent que le choix des remords voilà sans doute le système religieux le plus épouvantable, mais par là même le plus poétique, le plus tragique qui fut jamais. L'histoire ne l'était pas moins.

La Grèce avait été peuplée par une foule de colonies, dont chacune avait eu pour chef un aventurier courageux. La rivalité de ces fondateurs, dans des temps de férocité, avait produit des discordes sanglantes. La jalousie des peuples et leur vanité avaient grossi tous les traits de l'histoire de leur pays, soit en exagérant les crimes des ancêtres de leurs voisins, soit en rehaussant les vertus et les faits héroïques de leurs

Elem. de Litter. IV.

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propres ancêtres. De là ce mélange d'horreurs et de vertus dans les mêmes héros. Chaque famille avait ses forfaits et ses malheurs héréditaires. Le rapt, le viol, l'adultère, l'inceste, le parricide, formaient l'histoire de ces premiers brigands, histoire abominable, et d'autant plus tragique. Les Danaïdes, les Pélopides, les Atrides, les fables de Méléagre, de Minos, de Jason, les guerres de Thèbes et de Troie, sont l'effroi de l'humanité et les trésors du théâtre trésors d'autant plus précieux, que ces horreurs étaient ennoblies par le mélange du merveilleux. Pas un de ces illustres scélérats qui n'eût un dieu pour père ou pour complice c'était la réponse et l'excuse que ces peuples donnaient sans doute au reproche qu'on leur faisait sur les crimes de leurs aïeux; la volonté des dieux, les décrets de la destinée, un ascendant irrésistible, une erreur fatale, avaient tout fait. Et ce fut là comme la base de tout le système tragique; car la fatalité, qui laisse la bonté morale au coupable, qui attache le crime à la vertu et le remords à l'innocence, est le moyen le plus puissant qu'on ait imaginé pour effrayer et attendrir l'homme sur le destin de son semblable. Aussi l'histoire fabuleuse des Grecs estelle la seule vraiment tragique dans les annales du monde entier; et ce mélange en est la cause.

Mais ce qui tenait de plus près encore aux événements politiques, c'est cette ivresse de la gloire et des prospérités que les Athéniens avaient

rapportée de Marathon, de Salamine, et de Platée; sentiment qui exaltait les ames, et surtout celles des poètes : c'est ce même orgueil, ennemi de toute domination et charmé de voir dans les rois les jouets de la destinée, cet orgueil, sans cesse irrité par la menace des monarques de l'Orient, et par le danger de tomber sous les griffes de ces vautours; c'est là, dis-je, ce qui donna une impulsion si rapide et si forte au génie tragique, et lui fit faire en un demi-siècle de si incroyables progrès.

Du côté de la comédie, les mœurs grecques avaient aussi des avantages qui leur sont propres, et qu'on ne trouve point ailleurs. Chez un peuple vif, enjoué, naturellement satirique, et dont le goût exquis pour la plaisanterie a fait passer en proverbe le sel piquant et fin dont il l'assaisonnait; chez ce peuple républicain, et libre censeur de lui-même, que l'on s'imagine un théâtre où il était permis de livrer à la risée de la Grèce entière, non-seulement un citoyen ridicule ou vicieux, mais un juge inique et vénal, un dépositaire du bien public négligent, avare, infidèle, un magistrat sans talent ou sans mœurs, un général d'armée sans capacité, un riche ambitieux qui briguait la faveur du peuple, ou un fripon qui le trompait, en un mot, le peuple lui-même, qui se laissait traduire en plein théâtre comme un vieillard chagrin, bizarre, crédule, imbécille, esclave et dupe de ces brigands

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