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Despréaux l'imite et l'égale. Il termine les règles de la tragédie par le caractère du génie qui lui

convient :

Qu'il soit aisé, solide, agréable, profond;

Qu'en nobles sentiments il soit toujours fécond.

L'épopée diffère de la tragédie par son étendue et par l'usage du merveilleux. Ce poème, dit Despréaux,

Dans le vaste récit d'une longue action,

Se soutient par la fable et vit de fiction.

Il se moque du vain scrupule de ceux qui auraient voulu bannir la fable de la poésie française ; mais il condamne le mélange du merveilleux de la fable et de celui de la religion, et désapprouve l'emploi de celui-ci, quand même il serait sans mélange :

Et, fabuleux chrétiens, n'allons pas dans nos songes
D'un Dieu de vérité faire un Dieu de mensonges.

précepte qui ne doit pas exclure un merveilleux
décent, puisé dans la vérité même, et qui n'en
est que
l'extension. Voyez MERVEILLEUX.

Despréaux veut pour l'épopée un héros recommandable par sa valeur et par ses vertus : il demande que le sujet ne soit pas trop chargé d'incidents; que la narration soit vive et pressée ; que les détails en soient intéressants et nobles, mêlés de grâce et de majesté :

On peut être à la fois et sublime et plaisant,
Et je hais un sublime ennuyeux et pesant.

Il donne Homère pour exemple d'une riche variété; mais il me semble avoir manqué le trait qui le caractérise :

On dirait que pour plaire, instruit par la nature,
Homère ait à Vénus dérobé sa ceinture.

Cette ceinture, quoique Homère en soit luimême l'inventeur, ne lui sied pas mieux qu'elle ne siérait à Hercule.

Il préfère la folie enjouée de l'Arioste au caractère de ces poètes, dont la sombre humeur ne s'éclaircit jamais.

Tout cela bien entendu peut contribuer à former le goût; mais pour le bien entendre, il faut avoir déjà le goût formé : par exemple, il ne faut pas croire, sur l'éloge que Despréaux fait de l'Arioste, que le Roland furieux soit un modèle de poème épique, ni que le plaisant qu'on peut mêler au sublime de l'épopée, le dulce d'Horace, soit le joyeux badinage que le poète italien s'est permis :

Quel sciocco, che del fatto non s'
s'accorse,

Per la polve cercando iva la testa.

Virgile est plein de grâces, et n'est jamais plaisant; Homère veut l'être quelquefois, et c'est alors qu'il n'est plus Homère.

Despréaux finit par la comédie; et les préceptes qu'il en donne sont à peu près les mêmes qu'Horace nous avait tracés:

Il faut que ses acteurs badinent noblement;
Que son nœud, bien formé, se dénoue aisément.

Il exclut de la comédie les sujets tristes, n'y admet point de scènes vides, et lui interdit les plaisanteries qui choquent le bon sens, ou qui blessent l'honnêteté.

Après avoir parcouru ainsi tous les genres de poésie, il en revient aux qualités personnelles du poète, le génie et les bonnes mœurs. C'est à propos de l'élévation d'ame et du noble désintéressement qu'exige le commerce des Muses, que remontant à l'origine de la poésie, il la fait voir pure et sublime dans sa naissance, et dégradée dans la suite par l'avarice et la vénalité. Tout ce morceau est habilement imité d'une idylle de Saint-Geniez, comme tout ce qui regarde le choix d'un critique judicieux et sévère est imité d'Horace.

Voilà ce qui reste à peu près de la lecture de ces trois excellents ouvrages.

Aristote et Horace avaient vu l'art dans la nature; Despréaux me semble ne l'avoir vu que dans l'art même, et ne s'être appliqué qu'à bien dire ce que l'on savait avant lui. Mais il l'a dit le mieux possible; et à ce mérite se joint celui de l'avoir appris à un siècle qui l'aurait peutêtre ignoré sans lui : je parle de la multitude.

Quand le goût du public a été formé, la plupart des leçons de Despréaux nous ont dû pa

raître inutiles; mais c'est grâce à lui-même et à l'attrait qu'il leur a donné, que ses idées sont aujourd'hui communes. Elles ne l'étaient pas du temps que Sarrasin disait de l'Amour tyrannique de Scudéri, que si Aristote eût vécu alors, ce philosophe eût réglé une partie de sa poétique sur cette excellente tragédie: elles ne l'étaient pas du temps que Segrais écrivait : On verra si dans quarante ans on lira les vers de Racine comme on lit ceux de Corneille... Le poème de la Pucelle a des endroits inimitables; je n'y trouve autre chose à redire, sinon que M. Chapelain épuise ses matières, et n'y laisse rien à imaginer au lecteur: elles ne l'étaient pas encore assez, lorsque Saint-Évremont, cet arbitre du goût, disait à l'abbé de Chaulieu : Vous mettre au-dessus de Voiture et de Sarrasin, dans les choses galantes et ingénieuses, c'est vous mettre au-dessus de tous les anciens.

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Dans l'article AFFECTATION, j'ai donné une idée du style de Voiture. Sarrasin avait, comme lui, plus d'esprit que de goût : il appelait un cygne expirant, un cygne abandonné des médecins. Dans ses vers, la Seine menace de ses bâtons flottes la fontaine de Forges, pour lui avoir enlevé deux nymphes. Ce n'est pas ainsi qu'ont été galants Voltaire, Bernard, M. de Saint-Lambert ; et dans notre siècle, le tour d'esprit de Voiture et de Sarrasin n'aurait pas fait fortune; au contraire, jamais Corneille, Racine, Molière, La Fontaine,

Élém. de Littér. IV.

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n'ont été mieux appréciés, plus sincèrement admirés. Mais si le goût de la nation s'est perfectionné, peut être en est-elle redevable en partie au bon esprit de Despréaux son Art poétique est, depuis un siècle, dans les mains des enfants; et, pour des raisons que j'ai dites ailleurs, il est plus nécessaire que jamais à la génération nouvelle.

POINTE. Jeu de mots. Quoique Cicéron n'ait pas exclu ce badinage du langage oratoire, je le croirais déplacé dans des ouvrages sérieux; mais dans un ouvrage badin, ou dans la conversation familière, la saillie en peut être heureure.

M. Orri, contrôleur-général, disait à quelqu'un : Savez-vous bien que j'ai quatre-vingt mille hommes sous mes ordres? Ah! monsieur, lui répondit-on, vous avez là un beau camp volant.

Les jeux de mots, sans avoir cette finesse piquante sont quelquefois plaisants, par la surprise qui naît du détour de l'expression.

Un cheval étant tombé dans une cave, le peuple s'était assemblé, et on se demandait : Comment le tirer de là? Rien de plus aisé, dit quelqu'un, il n'y a qu'à le tirer en bouteilles.

Un prédicateur, resté court en chaire, avouait à ses auditeurs qu'il avait perdu la mémoire : Qu'on ferme les portes, s'écria un mauvais plaisant, il n'y a ici que d'honnêtes gens, il faut que la mémoire de monsieur se retrouve.

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