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POÉSIE. On a écrit les révolutions des empires; coniment n'a-t-on jamais pensé à écrire les révolutions des arts, à chercher dans la nature les causes physiques et morales de leur naissance, de leur accroissement, de leur splendeur, et de leur décadence? Nous allons en faire l'essai sur la partie la plus brillante de la littérature; considérer la poésie comme une plante; examiner pourquoi, indigène dans certains climats, on l'y a vu naître et fleurir d'elle-même; pourquoi, étrangère partout ailleurs, elle n'a prospéré qu'à force de culture, ou pourquoi, sauvage et rebelle, elle s'est refusée aux soins qu'on a pris de la cultiver; enfin pourquoi, dans le même climat, tantôt elle a été florissante et féconde, tantôt elle a dégénéré.

En recherchant les causes de ces révolutions, on a trop accordé, ce me semble, aux caprices de la nature et à ses inégalités. On croit avoir tout expliqué, lorsqu'on a dit que la nature, tour-àtour avare et prodigue, tantôt s'épuise à former

Élém, de Littér, IV.

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des génies, tantôt se repose et languit dans une longue stérilité. Mais la nature n'est point avare, la nature n'est point prodigue, la nature ne s'épuise point: ce sont des mots vides de sens. Imaginer qu'elle s'est accordée avec Périclès, Alexandre, Auguste, Léon X, Louis-le-Grand, pour faire de leur siècle celui des muses et des arts; c'est donner, comme on fait souvent, une métaphore pour une raison. Il est plus que probable que sous le même ciel, dans le même espace de temps, la nature produit la même quantité de talents de la même espèce. Rien n'est fortuit, tout a sa cause; et d'une cause régulière, tous les effets doivent être constants.

La différence des climats a quelque chose de plus réel. On sait qu'en général les hommes, dans certains pays, naissent avec des organes plus délicats et plus sensibles, une imagination plus vive et plus féconde, un génie plus inventif. Mais pourquoi tout l'Orient n'aurait-il pas reçu la même influence du ciel et les mêmes dons que la Grèce? pourquoi, dans la Grèce, des climats différents, comme la Thrace, la Béotie, et Lesbos, auraient-ils produit, l'un des Amphion et des Orphée; l'autre, des Pindare et des Corinne; l'autre, des Alcée et des Sapho? Et s'il est vrai qu'Achille avait pris à Thèbes la lyre sur laquelle il chantait les héros; si la lyre thebaine, dans les mains de Pindare, fut couronnée de lauriers; est-ce au naturel du pays

qu'en est la gloire? Ne savons-nous pas quelle idée on avait du génie des Béotiens? Tout donner et tout refuser à l'influence du climat, sont deux excès de l'esprit de système.

Cependant, si les Grecs n'ont pas été le seul peuple de l'univers ingénieux et sensible, pourquoi, dans l'art d'imiter et de feindre, n'a-t-on jamais pu l'égaler qu'en marchant sur ses traces, et qu'en adoptant ses idées, ses images, ses fictions?

Voyez dans l'Europe moderne, quand la paix, l'abondance, le luxe, la faveur des rois, le goût des peuples, ont attiré les muses; voyez-les, dis-je, arriver en étrangères fugitives, chargées de leurs propres richesses, et portant avec elles les dieux de leurs pays. Quoi de plus marqué que ce penchant pour les lieux qui les ont vu naître? Que les Romains aient imité les Grecs, dont ils étaient les disciples, cela est simple et naturel; mais que, dans aucun de nos climats, la poésie n'ait été florissante, qu'autant qu'on lui a laissé le caractère et les mœurs antiques ; qu'elle soit depuis trois mille ans fidèle au culte de sa première patrie ; que des mœurs nouvelles et des sujets récents, elle n'aime que ce qui ressemble à ce qu'elle a vu dans la Grèce voilà ce qui prouve qu'elle tient par essence aux qualités de son pays natal. Pourquoi cela? c'est ce que nous cherchons.

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Horace donne, au succès des arts et de la poésie dans la Grèce, la même cause qu'il eut à Rome:

Ut primum positis nugari Græcia bellis
Coepit, et in vitium fortuna labier æqua.

Mais si ce goût fut, chez les Romains, le présage ou l'effet de la corruption qui suivit la prospérité, il n'en fut pas de même chez les Grecs. Les muses, pour fleurir chez eux, n'attendirent ni le loisir de la paix, ni les délices de l'abondance. Le temps le plus orageux de la Grèce et le plus fécond en héros, fut aussi le plus fécond en hommes de génie. Depuis la naissance d'Eschyle jusqu'à la mort de Platon, l'espace d'un siècle présente ce que la Grèce a produit de plus célèbre dans les armes et dans les lettres. On couronnait sur le théâtre d'Athènes l'un des héros de Marathon; Cratinus et Cratès amusaient les vainqueurs de Platée et de Salamine; Charillus les chantait; les Miltiade, les Thémistocle, les Aristide, les Périclès, applaudissaient les chefsd'œuvre des Sophocle et des Euripide; et au milieu même des discordes nationales, des guerres de Corinthe et du Péloponnèse, de Thèbes contre Lacédémone, et de celle-ci contre Athènes, ou plutôt d'Athènes contre la Grèce entière, la poésie prospérait encore et s'élevait comme à travers les ruines de sa patrie:

Il y avait donc, pour rendre la poésie florissante dans ces climats, des causes indépendantes de la bonne ou de la mauvaise fortune; et la première de ces causes fut le naturel d'un peuple vif, sensible, passionné pour les plaisirs de

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