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tendait que cette race maudite avait attiré la colère de Dieu et empoisonné les fontaines au moyen des lépreux. La populace irritée, et surtout les hordes des Flagellants, ces hommes et ces femmes qui parcouraient à moitié nus les bords du Rhin et l'Allemagne méridionale en se fouettant eux-mêmes pour faire pénitence et en chantant une hymne folle en l'honneur de Marie, assassinèrent alors les Juifs par milliers; lorsqu'ils ne les tuaient pas, ils les torturaient ou les baptisaient malgré eux. Une autre accusation qui, auparavant déjà et pendant tout le siècle dernier, fit verser beaucoup de sang et causa bien des angoisses, ce fut ce conte ridicule répété souvent jusqu'à satiété dans les chroniques et les légendes les Juifs, disait-on, volaient des hosties consacrées qu'ils perçaient à coups de couteau jusqu'à ce que le sang en sortît, et immolaient des enfants chrétiens pour se servir de leur sang dans leurs cérémonies nocturnes. Les Juifs, déjà si détestés à cause de leur croyance, de leurs richesses et de leurs créances, étaient à l'époque de ces fêtes tout à fait à la discrétion de leurs ennemis qui pouvaient bien facilement les perdre on n'avait qu'à répandre le bruit d'un de ces infanticides, ou même

on introduisait furtivement le cadavre sanglant d'un enfant dans la maison d'un Juif condamné par une sorte de wehme secrète; puis la nuit venue on attaquait la famille en prière, et alors on assassinait, on pillait, on baptisait, et de grands miracles étaient opérés par l'enfant qu'on avait trouvé mort, et que l'Église finissait même par canoniser. Saint Werner est un de ces saints, et c'est pour honorer sa mémoire que fut construite cette magnifique abbaye d'Oberwesel, qui forme maintenant une des plus belles ruines des bords du Rhin, et qui nous charme par la magnificence de son style gothique, par ses longues fenêtres ogivales, ses sculptures et ses piliers qui s'élancent avec fierté jusqu'aux cieux; la beauté de cette abbaye nous séduit lorsque, par une journée d'été verdoyante et sereine, nous passons devant elle, et que nous n'en connaissons pas l'origine. C'est pour honorer la mémoire de ce saint que trois autres églises furent élevées sur les bords du Rhin et qu'une foule innombrable de Juifs furent tués ou maltraités. Cela se passait en 1287; et à Bacharach, où fut construite une de ces églises consacrées à saint Werner, les Juifs eurent alors à souffrir bien des tourments,

bien des souffrances; heureusement, depuis deux siècles ils avaient été épargnés par ces attaques de la fureur populaire, bien qu'ils fussent toujours l'objet de menaces et de rancunes encore-assez vives.

Mais plus la haine les opprimait au dehors, plus leur union devenait intime, plus le lien de la famille se resserrait, plus la pitié et la crainte de Dieu jetaient de profondes racines dans les cœurs des Juifs de Bacharach. Le rabbin de cette ville était véritablement un modèle de vie agréable à Dieu. On l'appelait rabbi Abraham; c'était un homme jeune encore mais renommé pour son grand savoir à vingt lieues à la ronde. Il était né dans cette ville, et son père, qui y avait été également rabbin, lui avait prescrit dans ses dernières volontés de se consacrer aux mêmes fonctions et de ne jamais quitter Bacharach, à moins que sa vie ne fût en danger. Cet ordre et une armoire pleine de livres rares, ce fut tout ce que lui laissa son père, qui avait vécu dans la pauvreté, ne s'occupant que de l'étude des Écritures. Cependant, le rabbin Abraham était très-riche, il avait épousé la fille unique de son oncle paternel qui avait exercé la profession de joaillier; et celuici étant mort, il avait hérité de ses grandes richesses.

Quelques rusés compères de la communauté faisaient allusion à ce fait pour donner à entendre que le Rabbin avait épousé sa femme pour l'argent même qu'elle lui apportait. Mais toutes les femmes étaient d'accord pour protester contre cette accusation; elles retrouvaient dans leur mémoire de vieilles histoires et racontaient que le Rabbin, avant son départ pour l'Espagne, était déjà épris de Sara, de la belle Sara (car c'était ainsi qu'on l'appelait), et que Sara avait été obligée d'attendre pendant sept ans qu'il revînt d'Espagne ; qu'il l'avait épousée contre le gré de son père à elle, et en lui mettant au doigt l'anneau nuptial sans lui avoir demandé à elle-même son assentiment. Tout juif, en effet, peut faire d'une jeune fille juive sa femme légitime, s'il réussit à lui mettre une bague au doigt, en disant ces mots : « Je te prends pour ma femme selon la coutume de Moïse et d'Israël. » Lorsqu'il était ques tion du voyage en Espagne, les rusés compères souriaient dans leur barbe d'un air tout particulier, et cela sans doute à cause de certains bruits confus. A l'université de Tolède, le rabbin Abraham avait cultivé, il est vrai, avec assez de zèle l'étude de la loi divine, mais il s'était aussi, disait-on, conformé

extérieurement aux usages chrétiens, et s'était imbu des opinions des libres penseurs, comme ces Juifs d'Espagne qui étaient parvenus alors à un degré de culture extraordinaire; mais dans leur for intérieur ces rusés compères croyaient très-peu à la vérité des bruits auxquels ils faisaient allusion. Car la vie du Rabbin, depuis son retour d'Espagne, était extrêmement pure, pieuse et pleine de gravité; il accomplissait avec une exactitude poussée jusqu'au scrupule les pratiques les plus minutieuses de sa religion, jeûnant tous les lundis et tous les jeudis, ne mangeant de la viandè et ne buvant du vin que les jours de sabbat et les jours de fête. Ses journées s'écoulaient dans la prière et l'étude; le jour il expliquait la loi divine au milieu des disciples que lui attirait la célébrité de son nom, et la nuit il contemplait les astres du ciel ou les yeux de la belle Sara. Le Rabbin n'avait pas d'enfants; cependant la vie et le mouvement ne manquaient pas autour de lui. Le grand salon de sa maison qui se trouvait à côté de la synagogue était ouvert à toute la communauté; on y entrait et on en sortait sans façons; on y faisait de courtes prières, on venait y chercher les nouvelles du jour; on y tenait conseil

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