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cordes de Dieu. Cependant si tu n'as pas la force de m'écrire, prie M. Racine de me rendre cet office de charité, le plus grand qu'il me puisse jamais rendre. Adieu, mon bon, mon ancien et mon véritable ami. Que Dieu, par sa très-grande bonté, prenne soin de la santé de ton corps, et de celle de ton âme! »

La Fontaine mourut chez M. d'Hervart, le 13 avril 1695, âgé de soixante-treize ans, neuf mois et cinq jours..

Tout le monde sait par cœur les Fables de La Fontaine, et personne n'ignore que, dans le conte, il a balancé l'Arioste et surpassé Boccace. Mais les Contes et les Fables ne forment pas, à beaucoup près, la moitié des œuvres de La Fontaine. Il s'est essayé à peu près dans tous les genres: odes, satires, élégies, poëmes, ballades, opéras, comédies, roman; il a composé jusqu'à des bouts-rimés. Son premier ouvrage, la traduction de l'Eunuque, est de 1654; La Fontaine avait alors trente-trois ans ; il a publié la cinquième partie de ses Fables à l'âge de soixantetreize ans, en 1693. Ainsi il a travaillé jusqu'au moment de sa mort. Et il ne faut pas croire, parce qu'il était paresseux, et que son style porte partout les traces de la facilité et même de la négligence, qu'il laissait couler ses vers. Il les travaillait avec soin. On a le manuscrit d'une de ses fables (Le Renard, les Mouches et le Hérisson); La Fontaine la cribla de corrections et même la refit presque tout entière; car il ne reste que deux vers de son premier jet. Il fut assez de temps à trouver sa voie. Il publia Joconde à quarante-trois ans ; et le premier recueil de ses Contes et nouvelles en vers l'année suivante seulement, en 1665. Ce n'est qu'à quarante-sept ans, en 1668, qu'il publia un premier recueil de Fables choisies mises en vers. Il avait débuté par une traduction de Térence, l'Eunuque; puis il s'était essayé dans de petits poëmes, Adonis, le Songe de Vaux, dans les Ballades, les Odes, les Élégies. Il publia, à quarante-huit ans, son roman, mêlé de prose et de vers, les Amours de Psyché; et ce n'est qu'à cinquante-huit ans qu'il composa l'opéra de Daphné, sur les instances de Lulli, qui refusa, quand il fut fait, de le mettre en musique.

Mme de Sévigné dit dans une de ses lettres (6 mai 1671), que La Fontaine est charmant quand il raconte, mais qu'il devient souvent plat, quand il sort de son genre. « Je voudrais faire une fable qui lui fît entendre combien cela est misérable de forcer son esprit à sortir de son genre, et combien la folie de vouloir chanter sur tous les tons fait une vilaine musique. Il ne faut point qu'il sorte du talent qu'il a de conter. »

Ce jugement sans doute est sévère: mais il faut avouer qu'il y a un abîme entre les Fables et les Contes de La Fontaine et ses autres productions. On rencontre dans ses Elégies et dans ses

Ballades quelques couplets ravissants, mêlés à beaucoup de fatras de mauvais goût. Le Songe de Vaux est une composition froide, dont l'insignifiance ne peut être rachetée par de trèsbeaux vers. Le roman de Psyché passerait avant le reste, par la grâce des détails et le charme du caractère. de Psyché, si la prose y égalait les vers, et s'il n'était surchargé de descriptions et d'épisodes. Il n'y a rien à dire du poëme de Saint-Malc, beau sujet, mais trop sévère pour inspirer La Fontaine, ni du Quinquina, poëme didactique absolument illisible. Son théâtre n'est pas audessus du médiocre. Il a fait quelques pièces en collaboration avec Champmeslé, et on lui en a attribué quelques autres auxquelles il est possible qu'il n'ait eu aucune part. Il doit évidemment toute sa gloire littéraire à ses Contes et à ses Fables. Encore faudrait-il faire un choix; mais ici ce sont les pièces médiocres qui sont l'exception, et les chefs-d'œuvre abondent.

On a dit et répété que La Fontaine n'avait pas été apprécié par ses contemporains. Il ne l'a pas été, cela est vrai, par Louis XIV, ni par le représentant le plus complet de l'esprit et du siècle de Louis XIV, Boileau. On le comprend : La Fontaine, en quelque sorte, n'était pas de leur temps, et il appartenait, par son esprit, au xvie siècle, par ses mœurs, au XVIII. Mais Racine, et Molière surtout, lui rendirent justice; il eut, de son vivant, le même privilége que dans la postérité, de charmer les beaux esprits, et de plaire au reste du monde.

Il a été si souvent jugé, c'est-à-dire si souvent loué, que ce serait prendre un soin superflu que de développer ici, après tant d'autres, les beautés de ses ouvrages. Mais voici une excellente page de La Harpe, qui servira de conclusion à cette notice.

Le plus original de nos écrivains, dit La Harpe, en est aussi le plus naturel. Il ne compose pas, il converse. S'il raconte, il est persuadé, il a vu : c'est toujours son âme qui vous parle, qui s'épanche, qui se trahit; il a toujours l'air de vous dire son secret et d'avoir besoin de le dire; ses idées, ses réflexions, ses sentiments, tout lui échappe, tout naît du moment. Il se plie à tous les tons, et il n'en est aucun qui ne semble être particulièrement le sien tout, jusqu'au sublime, paraît lui être familier. il charme toujours et n'étonne jamais. Le naturel domine tellement chez lui, qu'il dérobe au commun des lecteurs les autres beautés de son style. Il n'y a que les connaisseurs qui sachent à quel point La Fontaine est poëte, ce qu'il a vu de ressources dans la poésie, ce qu'il en a tiré de richesses. On ne fait pas communement assez d'attention à cette foule d'expressions créées, de métaphores hardies, toujours si naturellement placées que rien ne paraît plus simple. Aucun de nos poëtes n'a manié plus impérieusement la langue; aucun surtout n'a plié si facilement le vers

français à toutes les formes imaginables. Cette monotonie qu'on reproche à notre versification, chez lui disparaît absolument. Ce n'est qu'au plaisir de l'oreille, au charme d'une harmonie toujours d'accord avec le sentiment et la pensée, que l'on s'aperçoit qu'il écrit en vers. Il dispose si heureusement ses rimes, que le retour des sons semble toujours une grâce et jamais une nécessité. Nul n'a mis dans les rhythmes une variété si prodigieuse et si pittoresque; nul n'a tiré autant d'effet de la mesure et du mouvement. Il coupe, brise ou suspend son vers comme il lui plaît. L'enjambement, qui semblait réservé aux vers grecs ou latins, est si commun dans les siens, qu'à peine y fait-on attention. L'harmonie imitative des anciens, si difficile à égaler dans notre poésie, La Fontaine la possède dans le plus haut degré. C'est de lui surtout qu'on peut dire qu'il dépeint avec la parole. Dans aucun de nos auteurs on ne trouvera un si grand nombre de tableaux dont l'agrément soit égal à la perfection

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FABLES CHOISIES

MISES EN VERS.

A MONSEIGNEUR LE DAUPHIN'.

MONSEIGNEUR,

S'il y a quelque chose d'ingénieux dans la république des lettres, on peut dire que c'est la manière dont Esope a débité sa morale. Il seroit véritablement à souhaiter que d'autres mains que les miennes y eussent ajouté les ornemens de la poésie, puisque le plus sage des anciens a jugé qu'ils n'y étoient pas inutiles. J'ose, monseigneur, vous en présenter quelques essais. C'est un entretien convenable à vos premières années. Vous êtes en un âge où l'amusement et les jeux sont permis aux princes; mais en même temps vous devez donner quelques-unes de vos pensées à des réflexions sérieuses. Tout cela se rencontre aux fables que nous devons à Ésope. L'apparence en est puérile, je le confesse: mais ces puérilités servent d'enveloppes à des vérités importantes.

Je ne doute point, mcnseigneur, que vous ne regardiez favorablement des inventions si utiles et tout ensemble si agréables: car que peut-on souhaiter davantage que ces deux points? Ce sont eux qui ont introduit les sciences parmi les hommes. Esope a trouvé un art singulier de les joindre l'un avec l'autre la lecture de son ouvrage répand insensiblement dans une âme les semences de la vertu, et lui apprend à se connoître sans qu'elle s'aperçoive de cette étude, et tandis qu'elle croit faire tout autre chose. C'est une adresse dont s'est servi très-heureusement 3 celui sur lequel Sa Majesté a jeté les yeux pour vous donner des instructions. Il fait en sorte que vous apprenez sans peine, ou, pour mieux parler, avec plaisir, tout ce qu'il est nécessaire qu'un prince sache. Nous espérons beaucoup de cette conduite Mais,

1. Fils de Louis XIV.

2. Socrate.

3. Le président de Périgni qui fut précepteur du Dauphin avant

Essnet.

LA FONTAINE I

1

à dire la vérité, il y a des choses dont nous espérons infiniment davantage ce sont, monseigneur, les qualités que notre invincible monarque vous a données avec la naissance; c'est l'exemple que tous les jours il vous donne. Quand vous le voyez former de si grands desseins; quand vous le considérez qui regarde sans s'étonner l'agitation de l'Europe' et les machines qu'elle remue pour le détourner de son entreprise; quand il pénètre dès sa première démarche jusque dans le cœur d'une province2 où l'on trouve à chaque pas des barrières insurmontables. et qu'il en subjugue une autre3 en huit jours, pendant la saison la plus ennemie de la guerre, lorsque le repos et les plaisirs règnent dans les cours des autres princes; quand, non content de dompter les hommes, il veut triompher aussi des élémens; et quand, au retour de cette expédition où il a vaincu comme un Alexandre, vous le voyez gouverner ses peuples comme un Auguste, avouez le vrai, monseigneur, vous soupirez pour la gloire aussi bien que lui, malgré l'impuissance de vos années; vous attendez avec impatience le temps où vous pourrez vous déclarer son rival dans l'amour de cette divine maîtresse. Vous ne l'attendez pas, monseigneur; vous le prévenez. Je n'en veux pour témoignage que ces nobles inquiétudes, cette vivacité, cette ardeur, ces marques d'esprit, de courage, et de grandeur d'âme, que vous faites paroître à tous les momens. Certainement c'est une joie bien sensible à notre monarque; mais c'est un spectacle bien agréable pour l'univers, que de voir ainsi croître une jeune plante qui couvrira un jour de son ombre tant de peuples et de nations.

Je devrois m'étendre sur ce sujet; mais, comme le dessein que j'ai de vous divertir est plus proportionné à mes forces que celui de vous louer, je me hâte de venir aux fables, et n'ajouterai aux vérités que je vous ai dites que celle-ci : c'est, monseigneur, que je suis, avec un zèle respectueux,

Votre très-humble, très-obéissant, et très-fidèle serviteur,

DE LA FONTAINE.

1. Cette préface a été écrite dans un temps où l'Angleterre, l'Espagne

et la Hollande étaient liguées contre la France (1668).

2. La Flandre (campagne de 1667).

3. La Franche-Comté (campagne de 1668).

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