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recueilli les fruits, ne dut venir que plus tard. Mais la réflexion poussée plus loin fit comprendre aussi que les défrichemens pratiqués par l'un devaient lui profiter plutôt qu'aux autres, et qu'ainsi l'équité demandait pour lui un droit de préférence à l'égard de la terre qu'il avait fertilisée le premier, dès qu'il n'avait pas manifesté l'intention d'en faire absolument l'abandon.

Si la terre défrichée et mise en culture par l'un ne lui avait pas dù appartenir plus qu'à tout autre, s'il avait suffi qu'il eût quitté momentanément le champ par lui cultivé, si cela avait suffi pour que son défrichement eût dû profiter au premier venu qui s'en serait emparé, personne n'aurait voulu se livrer à des soins et à des travaux trop peu utiles pour soimême; et l'art de la culture, indispensablement nécessaire au genre humain, aurait été étouffé dès sa naissance.

Ainsi les mêmes besoins qui ont forcé les hommes à cultiver la terre pour en faire ressortir des alimens, les ont conduits aussi à la division des propriétés fon

cières.

Ainsi à mesure que le nouvel essaim d'une peuplade est sorti de l'agrégation primitive ou plus ancienne, pour former un établissemeut séparé, il a fallu fixer les limites de leurs territoires et de là l'origine de ce que nous appelons le droit des gens, qui est le droit naturel des nations.

C'est ainsi que le droit de propriété foncière, qui ne fut, dans l'origine, que la conséquence ou l'effet naturel de l'occupation primitive des terres, devint à son tour l'objet fondamental du droit des gens qui s'applique soit à l'établissement des divers états monarchiques ou autres, soit à l'érection des cités, soit à la conservation et défense des territoires de nation à nation, soit à la protection des propriétés et limites des fonds privés.

33. Quant à la transmission du droit de propriété des mains de l'un dans celles de l'autre, on comprend encore qu'il est conforme à la raison et à la loi de nature, que cette mutation ait dû avoir lieu par

acte entre vifs, fait du consentement respectif de celui qui délivre la chose, et de celui qui en reçoit la tradition, parce qu'il n'y a rien là qui ne soit très rationel et tout-à-fait conforme à la justice, et qu'on n'aurait jamais pu douter qu'un enfant ou tout autre personne ne devinssent propriétaires de ce qui leur serait donné pour servir à leurs alimens ou tous autres besoins.

Nous disons par acte entre vifs: car les mutations de propriétés que nous voyons avoir lieu par décès, dans nos sociétés actuelles, sont plutôt des inventions du droit civil que des conséquences directes du droit naturel.

34. Il résulte de tout ce qu'on vient de dire que le vol est un crime condamné par la loi naturelle, puisqu'il est conforme à la raison comme aux desseins du Créateur, que l'homme ait acquis d'abord par droit de premier occupant les choses qui n'appartenaient encore à personne, et qui étaient destinées à ses usages; et qu'il est encore conforme à la raison que l'homme une fois rendu propriétaire, par la saisine de la chose qui n'appartenait à personne, ne puisse en être dépouillé que par son fait et de son consentement: Id quod nostrum est, sine facto ad alium transferri non potest1.

Vainement dirait-on que si les objets extérieurs ont été offerts à l'homme pour son usage, par le Créateur, cette dotation, n'ayant été faite qu'à la masse du genre humain, n'a dû avoir d'autres effets que d'établir entre tous un état de communion native qui est plutôt exclusive de la propriété individuelle des uns au préjudice des autres.

Ce raisonnement ne prouve rien contre le droit de propriété individuelle, qui a dû s'établir par le fait du premier occupant, ou celui de partage des choses offertes indistinctement à tous : car la communion native, ou si l'on veut, la société négative, qui existèrent d'abord, ne furent jamais telles que, dans le dessein du Créateur, les hommes ne dussent avoir sur les choses

1 L. 11, ff. de regul. jur.

qu'un usage commun: certainement le genre humain n'a jamais été destiné à vivre de manière à ne puiser ses alimens que dans la même gamelle; et quand on devrait aller jusque là, l'on serait bien forcé de convenir encore que les diverses cuillerées puisées par les divers individus seraient devenues propres à chacun d'eux: il faut donc toujours en revenir à ce point, que la propriété individuelle sur les choses qui n'appartenaient encore à personne dut naturellement s'établir par le droit du premier occupant.

Supposons que, comme cela se pratique quelquefois dans les grandes cités, pour donner plus d'éclat à des réjouissances publiques, les administrateurs municipaux, placés sur le balcon de l'hôtel-deville, lancent au peuple réuni sur la place des pièces de monnaie; très certainement ces pièces, quoique offertes indistinctement à tous, deviendront la propriété exclusive des individus qui auront eu l'art de s'en saisir les premiers : Interdùm et in incertam personam collecta voluntas domini transfert rei proprietatem : ut ecce, qui missilia jactat in vulgus. Ignorat enim quid eorum quisque excepturus sit; et tamen, quia vult quod quisque exceperit, ejus esse, statim eum dominum efficit. Pourquoi en serait-il autrement du droit d'occupation primitive ou de la saisine des choses qui n'appartenaient encore à personne, puisque le Créateur, en les offrant indistinctement à tous, les offrait par là

1 L. 9, § 7, ff. de acquirendo rerum dom., lib. 41, tit. I.

même à ceux qui s'en saisiraient les premiers?

35. Nous trouvons néanmoins dans BLAKSTONE une opinion contraire à la doctrine que nous professons ici. « Le vol, «dit cet auteur célèbre, n'est pas une « violation de la loi naturelle, mais seule<< ment une infraction à la loi de la société : << car le vol n'est qu'une infraction au droit « de propriété, et le droit de propriété << qu'une institution sociale, et non natu<< relle; attendu que dans l'état de pure << nature, il ne pouvait y avoir de vol, puis« qu'il n'y avait pas de propriété.»

Comme s'il y eût eu un temps où l'homme n'eut pas encore le sentiment de sa propre conservation!

Comme s'il y eût eu un temps où l'homme n'avait pas encore le sentiment qui le porte à se préférer aux autres dans ce qui lui est nécessaire !

Comme si dans l'état de nature, l'homme n'eût pas dû se croire propriétaire et maître de ses troupeaux et de leur produit, ainsi que du poisson qu'il avait pêché ou des fruits qu'il avait recueillis pour servir à sa subsistance!

Comme si dans l'état de nature les alimens présentés par les pères à leurs enfans n'étaient pas devenus la propriété de ceuxci plutôt que celle de tous autres qui s'en seraient emparés même par l'empire de la force ou de la violence!

Comme si la loi naturelle avait pu, à l'époque du premier âge, être autre que ce qu'elle est aujourd'hui !

Comme si jamais elle avait pu approuver les excès qu'elle réprouve à présent!

CHAPITRE IV. Du Contrat social.

36. Le contrat ou le pacte social dont nous allons nous occuper, constitue l'acte transitoire de l'état de nature à l'état de la société positive, qui s'est opéré successivement chez les différens peuples qui en ont acquis les avantages.

Dans l'état de nature, dont nous avons parlé plus haut, la société des hommes n'était encore régie que par la loi naturelle ou par les inspirations de la droite raison éclairée par l'expérience des vieillards: il n'y avait encore qu'un petit nombre de règles auxquelles les usages pussent se rattacher, parce qu'il n'y avait que peu de besoins à satisfaire, et que les divers intérêts individuels étaient encore peu compliqués.

Mais cet état de chose a dû changer peu à peu, et l'on a dû recourir aux lois positives à mesure que les hommes se sont séparés en divers corps de nation, et que l'état de civilisation s'est formé chez les différens peuples..

Par suite de la grande multiplication du genre humain, les hommes durent se diviser en diverses peuplades qui s'établirent séparément sur différentes parties du globe. C'est à ce point ou à cette époque que remonte la division des territoires, division qui jusque là était inconnue; et quelles que soient les convenances matérielles qui lui aient servi de bases par rapport aux chaînes de montagnes, ou aux cours de rivières, il n'en fallut pas moins établir des règles positives, suivant les quelles les limites des nations seraient respectées entre elles.

En remontant à ce point, et pour peu qu'on y réfléchisse, on doit convenir de cette vérité, c'est que les limites territoriales qui existent entre les diverses nations n'ayant été établies que pour les distinguer les unes des autres, lorsqu'on arrive à la question de savoir quel est le corps politique auquel appartient un individu, c'est le lieu où il a fixé son domicile qui nous l'indique, parce que c'est là qu'il a voulu attacher les habitudes de sa vie et faire partie du contrat social; et que d'ailleurs il serait impossible de recourir à l'appel nominal pour vérifier à quelle société politique appartiennent tous les individus.

Et quand les diverses peuplades eurent elles-mêmes pris des accroissemens tels qu'on dut cultiver le sol pour en tirer les élémens de nourriture nécessaires à ses habitans, il s'opéra dans leur manière d'être des changemens tels qu'ils entraînèrent l'établissement d'une foule de réglemens ou de lois positives appropriées à leurs intérêts nouveaux.

L'agriculture entraîna le partage des terres entre les divers individus : partout il fallut en laisser quelques portions pour servir aux usages communs, et ces répartitions de fonds durent produire de nombreuses complications d'intérêts sur l'accord desquels il fut nécessaire d'établir des lois positives pour pouvoir maintenir l'ordre et la paix publique.

37. L'agriculture exige une foule d'autres arts sans lesquels elle ne saurait être exercée.

Il faut du fer pour ouvrir le sein de la

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Durant l'âge pastoral et dans les climats chauds ou tempérés, il fallait peu de constructions pour loger les chefs de famille, leurs enfans et leurs troupeaux ; mais sous le règne de l'agriculture et dans les régions froides, il a fallu des édifices plus importans pour y héberger en outre les récoltes. Et qu'on observe bien que tous ces travaux qui sont nécessaires soit à l'exercice de l'agriculture, soit à la construction des édifices, supposent que ceux qui les exé cutent y coopèrent de concert ou conjointement entre eux, puisque nul individu ne pourrait y suffire à lui seul; et c'est ainsi que la même loi de nécessité qui a d'abord forcé les hommes à la vie sociale, les a aussi contraints plus tard à se réunir sous des tentes dans les pays chauds, ou en bourgades sédentaires dans les autres régions, pour jouir progressivement des avantages de la civilisation peu à peu introduite et plus ou moins perfectionnée parmi eux.

Mais pour arriver à ce résultat, il a fallu inventer successivement des règles positives sur chaque institution qu'on voulait adopter; et comme nul effet ne peut exister sans cause, il a fallu préalablement créer une autorité suprême qui pût imposer la loi à tous et la faire respecter; il a fallu en outre ériger dans chaque localité une magistrature subalterne pour faire aux débats particuliers l'application des lois générales, et veiller partout au maintien du bon ordre et de la paix publique.

Hé bien! c'est à la création conventionnelle de cette autorité publique et de cette magistrature subalterne, que nous entendons donner la dénomination de contrat

ou de pacte social; et c'est à ce point de fait qu'on doit reporter le principe initial du droit civil, c'est-à-dire du droit de la cité, jus civitatis.

En résumé, c'est le droit naturel qui vient en premier ordre, puisqu'il remonte jusqu'à la création; et ce droit est divin, puisqu'il n'a d'autre auteur que Dieu même. Vient ensuite le droit civil, ou le jus civitatis, qui est d'institution humaine, et qui n'a pris naissance que par l'établissement fixe des hommes sur diverses localités du globe, pour en partager les terres et les cultiver : Palàm est autem vetustius esse jus naturale, quod cum ipso genere humano rerum natura prodidit. Civilia autem jura tunc esse cœperunt, cùm et civitates condi et magistratus creari et leges scribi cœperunt1. Mais comme tout se tient dans l'ordre moral de même que dans les lois de l'ordre physique, il n'aurait pas suffi de créer une magistrature suprême et de souveraineté pour faire des lois, il fallait encore établir une magistrature subalterne, pour statuer sur leur application aux diverses causes particulières, parce que, comme le dit le jurisconsulte POMPONIUS, c'est par ceux qui rendent la justice que le droit atteint son but, et qu'il serait inutile d'établir ou de reconnaître l'existence d'un droit, si l'on ne créait aussi des magistrats pour le faire exécuter. Quia, ut exposuimus, per eos qui judicando præsunt, effectus rei accipitur. Quantum est enim jus in civitate esse, nisi sint qui jura regere possint 2! Voilà l'origine du domaine de souveraineté, dont nous traiterons spécialement dans les chapitres suivans: voilà comment ce domaine essentiellement protecteur des droits de tous est une émanation du droit de la nature et des gens.

38. C'est ainsi qu'en remontant au berceau du genre humain pour arriver jusqu'à nous, l'on aperçoit, touchant le régime de la société humaine, deux époques bien distinctes.

Dans la première époque, tout est sim

Instit. § 11, de rerum divisione. 2 L. 2, § 13, de origine juris, lib. 1, tit. 2.

ple, parce qu'il n'existe point encore de complication d'intérêts, ou que du moins il n'en existe que très peu. Alors, sans code de lois positives, on voit que les hommes, comme être doués de réflexion, furent d'abord dirigés par les patriarches et les vieillards, d'après les inspirations de la loi de nature, dont la promulgation s'opère par le développement de la raison. On voit qu'obéissant à l'instinct qui les porte invinciblement à veiller à leur conservation et à pourvoir à leurs besoins, ils durent se saisir des objets extérieurs pour les asservir à leurs usages : et de là le fait de l'occupation, qui dut être considéré comme opérant un droit acquis sur une chose offerte à tous sans être encore saisie par personne; et de là encore la cause primitive du droit de propriété per

manente.

La seconde époque est celle où, après l'accroissement du genre humain, les premières familles se sont séparées pour se répandre sur divers points du globe, y établir des bourgades et des cités, et former séparément diverses associations politiques. Alors les hommes sont sortis peu à peu de l'état de nature pour entrer dans l'ordre civil et positif, dont ils ont voulu régler les conditions par leurs divers contrats sociaux : Civilia autem jura tunc esse cœperunt, cùm et civitates condi, et magistratus creari, et leges scribi cœperunt.

Il résulte de tout ce que nous venons de dire dans ce chapitre :

39. 1° Que l'autorité civile doit être considérée comme émanant de Dieu même, puisqu'elle est le moyen nécessaire à l'accomplissement de ses desseins sur la destinée des hommes, et c'est en ce sens qu'on doit entendre l'apôtre quand il dit: Quæ autem sunt, à Deo ordinata sunt; 40. 2° Que les citoyens ne sont pas seulement tenus par la force, mais qu'ils sont aussi tenus par un lien de conscience à se conformer aux lois de leur pays. Ideò necessitate subditi estote, non solùm propter iram, sed etiam propter conscientiam 2; puisque, soit par le droit naturel des so

1 Paulus ad Rom., cap. 13, versic. 1.

TOM. I.

ciétés, soit par le droit divin positif, cette soumission est également exigée de leur part;

41. 3° Que le contrat social une fois arrêté par la masse ou la majorité des habitans réunis dans une contrée quelconque du globe, constitue une loi obligatoire pour tous les individus qui veulent y demeurer, et que nul ne pourrait s'y soustraire qu'en prenant le parti d'aller s'établir ailleurs, parce qu'on ne saurait avoir l'idée de l'état politique ou civil d'un homme qui serait placé tout à la fois en dedans et en dehors d'une société; d'un homme qui voudrait se constituer membre de l'association par le choix de son domicile, et se soustraire en même temps aux obligations imposées à ses compatriotes;

42. 4° Enfin que le droit de propriété doit être considéré comme la base de la société, le fondement de la civilisation et le plus ferme appui de toutes nos institutions politiques, puisque c'est par rapport à lui que la société a reçu son organisation, et qu'on ne pourrait cesser de le respecter sans tomber de suite dans l'anarchie et le chaos de toutes les passions humaines.

43. Mais quelles sont les conditions requises dans le contrat ou le pacte social, pour que les conséquences que nous venons de signaler en dérivent nécessairement et légitimement?

Cette question doit être examinée soit sous le rapport de la forme, soit quant au fond.

En ce qui touche à la forme, il est incontestable que quelle que soit celle d'une association politique, le gouvernement qu'elle constitue est également légitime : car, soit qu'il s'agisse d'une république démocratique ou aristocratique, ou d'une monarchie établie même avec pouvoir absolu, du moment qu'on en est convenu, l'on se trouve placé dans les voies de la légitimité.

Et en effet, si, d'une part, il est certain que le Créateur, en appelant les hommes

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