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tion. Il faut l'allier à d'autres pour vivre dans un cercle moins étroit, afin d'y trouver plus d'appuis et de multiplier par là ses ressources et ses jouissances.

Enfin à chaque pas qu'il fait dans le monde, à chaque rencontre où il a le bonheur de soulager un malheureux, la première récompense qu'il en reçoit, par la satisfaction intérieure qu'il éprouve, lui fait connaitre qu'aucun de ses semblables ne lui est étranger, et c'est ainsi que ses sentimens les plus doux lui indiquent sa destination pour la vie commune. 21. De toutes les facultés dont l'espèce humaine peut s'enorgueillir, l'une des plus remarquables, et qui démontre le plus positivement la destination des hommes à la vie sociale, c'est le don de la parole. L'Auteur de la nature n'a rien fait en vain, et c'est surtout par le don de la parole qu'il a voulu mettre les hommes en rapport les uns avec les autres, puisqu'il leur a donné ce moyen de demander et d'obtenir les uns des autres l'assistance et les secours qui leur seraient nécessaires; que c'est par cet instrument qu'ils se communiquent leurs pensées et leurs désirs, et qu'ils parviennent à rendre leurs affections

communes.

Que si l'on pousse ces réflexions plus loin, et qu'on observe que c'est par les sons cadencés de leur voix que les hommes parviennent à porter mutuellement la joie des uns jusque dans l'ame des autres, comment le moins attentif ne trouveraitil pas dans les usages aussi variés du plus beau présent de la nature la preuve irrésistible qu'il n'est point fait pour lui seul? Remarquons encore que la parole n'est pas seulement donnée à l'homme pour exprimer les sensations de la douleur et du plaisir, mais pour faire connaître aussi le bien et le mal moral, indiquer ce qui est juste, le faire distinguer de ce qui est injuste, louer l'un et blåmer l'autre, en un mot, pour être le moyen communicatif de tous les sentimens moraux qui font la base de l'ordre social.

Quelle que soit notre ignorance sur l'origine de la diversité des langues, le principe que nous énonçons ici ne peut

cesser d'être vrai, puisque la voix et l'instrument par lequel nous articulons nos paroles pour exprimer nos pensées et nos sentimens ne sont point d'institution humaine, que ce n'est point l'homme qui se les est donnés, mais qu'il les a reçus du Créateur.

Doués d'une intelligence qui, malgré leur faiblesse corporelle, les rend maîtres de tous les animaux, c'est dans la société que les hommes développent tous les ressorts de cette puissance.

L'invention des arts ne peut leur étre vraiment utile qu'autant que l'un met à profit les découvertes de l'autre, et que leur perfection finit par être un patrimoine commun.

22. Non seulement l'homme est né avec un cœur qui ne s'alimente que par les affections de l'amour du bien, lorsque le vice n'a point encore flétri l'œuvre de la nature, mais il éprouve à chaque instant les sentimens de la reconnaissance, de la bienfaisance, de l'amitié, de l'émulation et du désir de la gloire; or tous ces sentimens supposent des objets corrélatifs qu'on ne saurait trouver que dans l'état social: les plus beaux mouvemens de l'ame seraient par conséquent sans objet si l'homme ne pouvait envisager autour de lui que lui-même.

En un mot, tout dans l'homme le rappelle à vivre en société avec les autres hommes : le besoin de sa propre conservation, l'instinct qui le porte au plaisir, ses penchans les plus naturels, ses qualités les plus nobles, ses facultés les plus belles et ses passions les plus vives, sont autant d'anneaux de la chaine par laquelle le Créateur l'a invinciblement attaché à la vie commune.

23. Mais quel put être d'abord le régime de l'association primitive des hommes?

Sans doute ce n'est pas dans l'histoire contemporaine du premier âge qu'on pourrait puiser la réponse à cette question, puisque l'art de l'écriture n'était pas encore inventé; mais nous avons encore pour guide sur ce point l'éloquente voix de la nature et le témoignage des antiques traditions consignées dans les textes sacrés.

En fait, il est certain que l'homme fut toujours un être intelligent; il est certain que, dégagé des faiblesses de l'enfance, et parvenu à l'âge où se développe la raison, la capacité intellectuelle dont il est doué lui fait alors apprécier et comprendre à chaque instant les divers rapports qui existent entre lui et ses semblables; que l'instinct de sa propre conservation lui indique à chaque pas qu'il ne peut se passer des services et du secours des autres; et lui fait comprendre que, par réciprocité, il leur doit aussi les siens. Le voilà donc, par ses propres réflexions, et sans autre guide que le flambeau de la raison dont il est doué, conduit peu à peu à la connaissance de ce qui est juste, comme étant conforme aux rapports naturels qui existent entre les hommes, et de ce qui est injuste, comme étant contraire à ces rapports.

commune.

apprécier les objets; elle ouvre de nouvelles carrières à ses idées; elle lui donne chaque jour des connaissances qu'il n'avait pas d'où il résulte que, toutes choses égales d'ailleurs, c'est celui qui a le plus vécu qui doit en général avoir aussi le plus d'instruction; que c'est lui qui doit le mieux savoir ce qui convient ou ne convient pas, ou ce qu'il faut adopter et suivre comme étant le plus favorable à l'union des esprits et le plus utile à l'intérêt commun : et de là l'institution du conseil des vieillards, consilium seniorum, qui, suivant les textes nombreux de l'ancien Testament, fut établi dans les premiers siècles pour présider au gouvernement des différentes peuplades, à mesure qu'elles se répandaient sur diverses parties du globe; institution qu'on a trop abandonnée dans les temps modernes : car il sera toujours vrai de dire que l'expérience est notre premier maitre, et que toujours elle est la compagne naturelle de la prudence et de la sagesse.

Ces premières notions sur la loi naturelle s'étendent et se fortifient, dans chaque individu, par son rapprochement continuel avec ses semblables et le com- C'est ainsi que, dès sa naissance, l'asmerce de la vie sociale, qu'il ne cesse passociation primitive des hommes fut régie d'avoir avec eux. Au moyen du langage, par les notions de la loi naturelle mise en qui anime leur réunion, ils se communi- pratique, c'est-à-dire par les inspirations quent leurs aperçus et leurs idées, et la de cette raison universelle dont les règles connaissance du bien et du mal s'étend ou les préceptes ont reçu le nom de droit progressivement par cet état d'école mu- des gens, comme reconnus et mis en usage tuelle dans lequel l'auteur de la nature a chez les diverses nations: Quod verò naplacé les hommes en les forçant à la vie turalis ratio inter omnes homines constituit, id apud omnes peræquè custoditur, vocaturque jus gentium, quasi quo jure omnes gentes utuntur : en sorte qu'il n'y eut aucun temps où l'on puisse dire que la réunion des hommes ne fut autre chose qu'une agglomération matérielle d'individus vivant sans règle de conduite, comme un troupeau dont les divers animaux n'obéissent qu'à l'instinct aveugle qui les dirige individuellement. Et cela est évident, puisque l'homme ne fut jamais dépourvu de la raison, dont il est essentiellement doué, pour servir de guide et de modérateur à ses actions.

La faiblesse avec laquelle l'homme vient au monde le place immédiatement sous la dépendance de ceux qui lui ont donné le jour; le long espace de temps qui s'écoule durant cet état d'impuissance a pour effet nécessaire d'accoutumer les enfans à la soumission envers les pères, et cette soumission se fortifie par les sentimens de reconnaissance et d'amour réciproques qui les attachent les uns aux autres et de là l'origine toute naturelle de la puissance paternelle et du gouvernement patriarcal des premiers âges.

24. L'homme, avec l'entendement et la mémoire dont il est doué, n'est pas destiné à vieillir en pure perte : l'expérience lui apprend sans cesse à mieux

TOM. I.

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Il résulte de tout ce qui est dit dans ce chapitre,

I L. 1 in fin., ff. de justitia et jure, lib. 1, tit. 2. 2

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25. 1° Que l'association des hommes n'est point d'institution humaine, que cet état n'est point l'effet d'un contrat social formé entre eux, puisqu'il dérive immédiatement des lois de la nécessité, auxquelles ils n'auraient pu se soustraire; qu'enfin, ayant son fondement dans la nature de notre organisation, c'est l'Etre suprême qui en fut le seul instituteur;

26. 2o Que, par le fait de sa naissance, tout homme se trouve revêtu du droit d'obtenir des autres, et surtout de ceux qui lui ont donné le jour, tous les secours qui lui sont nécessaires pour vivre et fournir sa carrière, et que réciproquement il se trouve aussi chargé de la dette de ses services personnels envers les autres hommes pour le temps où il pourra y satisfaire car tout individu ayant indispensablement besoin des secours des autres pour subsister, l'auteur de la nature a nécessairement voulu que ces secours lui fussent rendus, puisqu'on ne peut vouloir une fin sans vouloir aussi les moyens d'y parvenir; et comme tous passent successivement de l'état du besoin au pouvoir de s'entr'aider, comme on ne peut prétendre au droit d'exiger les services d'autrui sans se soumettre à remplir les mêmes devoirs à son tour, parce que nul ne sort des mains de la nature avec un pareil privilége, il faut infailliblement conclure de l'organisation et de l'état naturel de l'homme, que le Créateur a voulu l'asservir dans ses qualités physiques et morales aux actes indispensables à l'existence des autres, toutefois dans la mesure de ses pouvoirs et suivant sa position sociale;

27. 3° Que le suicide est un crime condamné par la loi naturelle; puisque chaque homme, devant la réciprocité de ses services à la société dont il est membre, ne s'appartient point entièrement à lui

même, et que nul ne peut licitement se soustraire au paiement de ses dettes pour augmenter la charge qui pèse sur les autres;

28. 4° Que l'homme qui trahit sa patrie commet le plus grand des crimes dont on puisse se souiller sur la terre, puisque au lieu de tous les services qu'il doit à cette mère commune, il vient lui enfoncer lé poignard dans le sein! Et quelles que puissent être les dissensions politiques qui se soient élevées dans l'état, l'énormité du crime n'en peut être atténuée, et n'en est souvent que plus criante, par rapport à la foule des personnes inoffensives ou innocentes et de bonne foi, dont l'existence se trouve sacrifiée par suite de l'exécution du forfait;

29. 50 Que, loin de pouvoir trahir sa patrie, il est au contraire du devoir de l'homme, quand les circonstances l'exigent, d'exposer sa vie pour la sauver, puisqu'il doit indispensablement le retour de ses services au pays qui l'a élevé et nourri dans son sein;

Que d'ailleurs le corps moral dont il fait partie ne pourrait subsister sans le secours de ses membres, et que les membres euxmêmes ne pourraient vivre en sécurité sans la protection d'une force collective et publique : d'où il résulte qu'à ce double titre ils sont réciproquement asservis par la loi de leur nature; et comme les pertes individuelles doivent toujours être subies en premier ordre, et pour écarter le danger général, suivant la règle qui subordonne invariablement la partie à ce qu'exige le salut du tout, l'on est de plus en plus forcé de convenir que pour sauver le corps social, tous les citoyens doivent subir jusqu'au danger de perdre la vie, lorsque des circonstances de malheur public l'exigent de leur part.

CHAPITRE III.

Du droit d'occupation et de possession primitives considérées comme principe générateur du droit de propriété.

sur toutes les créatures et les choses d'un ordre inférieur : Benedixitque illis Deus, et ait: Crescite et multiplicamini, et replete terram, et subjicite eam, et dominabimini piscibus maris, et volatilibus cœli, et omnibus animantibus quæ moventur super terram 1.

30. Ox entend par propriété ce qui est propre à chacun de nous, ou ce qui appartient à l'un exclusivement aux autres. Pour peu qu'on réfléchisse sur la constitution humaine, on reste bientôt convaincu que le droit de propriété est, comme nos autres droits, fondé sur la loi naturelle car c'est de l'auteur de la nature Même en nous replaçant après le déque l'homme tient le sentiment qui le porte luge, on ne dut d'abord connaître que la à se préférer aux autres et à veiller sur- propriété mobilière, parce que l'approtout à sa propre conservation : d'où il ré- priation exclusive d'une chose suppose sulte que c'est aussi de l'auteur de la na- que celui qui s'en saisit a par lui-même la ture qu'il a reçu le droit de se saisir des faculté de la retenir en sa possession, et objets extérieurs qui, n'étant encore à qu'il n'y a que les choses mobilières qui personne, lui étaient nécessaires pour vi- soient de nature à être ainsi placées imvre, parce que la sagesse suprême n'a pu médiatement sous le pouvoir de l'homme. vouloir la fin sans vouloir les moyens d'y parvenir.

Mais en fait, quand et comment le droit de propriété soit mobilière, soit immobilière, a-t-il été admis dans la société et le commerce des hommes? Tel est le sujet de ce petit chapitre.

Si l'on remonte au berceau du monde, il est certain qu'immédiatement après la création, et même après le déluge, toutes choses furent communes entre les hommes, puisque toutes leur étaient également offertes comme destinées indistinctement à leur usage par la main du Créa

teur.

C'est en donnant sa bénédiction à nos premiers pères que Dieu leur conféra les droits de maîtrise qu'ils pourraient exercer

Cette appropriation fut l'effet immédiat de la saisine naturelle qui eut lieu soit par suite de la répartition des choses mobilières qui avaient été conservées dans l'arche de Noé, soit par suite du nantis sement ou de la prise de possession qui se fit successivement à l'égard de tous les autres objets qui n'étaient encore à personne, parce qu'il est dans l'ordre de la nature et conforme à la raison, que la chose qui est sans maître puisse être légitimement saisie par le premier occupant, et que celui qui s'en est emparé puisse dire qu'elle est à lui et qu'il a le droit de la conserver, puisque, en ayant le premier acquis la possession exclusive, tandis que

I Genesis, cap. 1, versic. 18.

nul autre n'y avait de droit, il trouve dans ce fait un titre légitime de priorité et de préférence, au mépris duquel il ne doit pas être permis de le dépouiller.

Ainsi, par la distribution des animaux domptés pour l'usage domestique, les enfans de Noé furent rendus, chacun en particulier, propriétaires de ceux qui leur échurent en partage, et qui devinrent entre leurs mains la première source des troupeaux, qui firent la principale richesse des hommes durant l'âge pastoral.

Aiusi encore, par le seul fait de la prise de possession, tout homme devint propriétaire du poisson par lui pêché sur les bords des rivières ou dans la mer, ainsi que du gibier qu'il avait arrêté ou tué sur les terres.

Ainsi, enfin, tout homme devint propriétaire des bois dont il put se saisir dans les forêts pour son usage, et il put de même se dire propriétaire des fruits d'arbres ou autres plantes qu'il avait le premier recueillis pour sa nourriture personnelle ou pour celle de ses troupeaux : Dixitque Deus: Ecce dedi vobis omnem herbam afferentem semen super terram, et universa ligna quæ habent in semetipsis sementem generis sui, ut sint vobis in escam 1.

31. Quant à la propriété exclusive des terres, le droit en dut être d'abord ignoré, et ne s'introduire que plus tard dans l'u

sage.

Deux raisons portent à le juger ainsi. La première, c'est que l'occupation et la possession, qui sont la source primitive de la maîtrise de l'homme sur les choses, ne s'exercent pas d'une manière aussi continue et avec le même empire sur les fonds que sur les choses mobilières, que l'homme retient immédiatement sous sa

main.

La seconde, c'est que la propriété exclusive des terres dut être d'abord inutile ou de très peu d'utilité, parce qu'il y en avait une telle étendue relativement au nombre des hommes, que chacun était libre d'en occuper temporairement au-delà

Genesis, cap. 1, versic. 29.

de la mesure de ses besoins, et de changer sans cesse de place sans conserver d'attachement fixe pour celles qu'on avait quittées, ni avoir aucun intérêt réel d'empêcher les autres d'en agir de même.

Mais cet état primitif des choses dut nécessairement changer dans la suite des temps, attendu que par la multiplication des hommes sur la terre, leurs besoins s'accrurent dans une proportion telle qu'il fallut recourir aux moyens d'industrie pour les satisfaire.

Si la terre produisait spontanément et en abondance tous les fruits nécessaires à la vie des hommes, si un ciel doux et serein les protégeait toujours, il est probable qu'ils n'auraient connu que la propriété mobilière; mais l'Auteur de la nature a voulu se montrer libéral sans être prodigue: il a condamné l'homme à vivre du travail de ses mains: In sudore vultús tui vesceris pane, parce que le travail produit ce qui est nécessaire à la vie tout en écartant les vices qu'entraîne l'oisiveté, et qui abrutissent l'homme.

Si le sol que nous habitons fournit à nos besoins, c'est dans le rapport des bras qui le cultivent, et il y a nécessité pour nous d'édifier des abris contre l'intempérie des saisons.

32. Le premier qui construisit une cabane sur un terrain qui n'était encore occupé par personne, dut s'y regarder comme chez soi : et voilà le point initial de ce genre de propriété qui rattache si puissamment l'homme au sol qui l'a vu naître.

Celui qui le premier défricha un champ dont personne ne s'était encore emparé, et qui le féconda par quelque plantation, dut croire qu'il était seul en droit d'en recueillir les fruits, parce qu'ils étaient le résultat de son industrie et de son travail : et de là l'origine de la propriété foncière.

Sans doute dans ce premier temps la propriété foncière fut plus en fait qu'en droit, parce que l'idée de conserver la propriété d'un fonds, même lorsqu'on semble l'avoir abandonnée après en avoir

- Genesis, cap. 3, versic. 19.

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