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Et ce qui va bien plus vous étonner,

Orean lui-même, Orcan vient de l'assassiner.

Quoi! lui?

ATALIDE.

ZAÏRE.

Désespéré d'avoir manqué son crime, Sans doute il a voulu prendre cette victime.

ATALIDE.

Juste ciel, l'innocence a trouvé ton appui!
Bajazet vit encor; visir, courez à lui.

ZAÏRE.

Par la bouche d'Osmin vous serez mieux instruite ; Il a tout vu.

SCENE XI.

ATALIDE, ACOMAT, ZAIRE, OSMIN.

ACOMAT.

Ses yeux ne l'ont-ils point séduite (8) ?

Roxane est-elle morte?

OSMIN.

Oui ; j'ai vu l'assassin
Retirer son poignard tout fumant de son sein.
Orcan, qui méditoit ce cruel stratagême,
La servoit à dessein de la perdre elle-même ;
Et le sultan l'avoit chargé secrètement
De lui sacrifier l'amante après l'amant.
Lui-même d'aussi loin qu'il nous a vus paroître,
"Adorez, a-t-il dit, l'ordre de votre maître,
De son auguste seing reconnoissez les traits,

"Perfides, et sortez de ce sacré palais."
A ce discours, laissant la sultane expirante,
Il a marché vers nous; et d'une main sanglante
Il nous a déployé l'ordre dont Amurat

Autorise ce monstre à ce double attentat.
Mais, seigneur, sans vouloir l'écouter davantage,
Transportés à la fois de douleur et de rage,
Nos bras impatiens ont puni son forfait,
Et vengé dans son sang la mort de Bajazet.

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Près de ces lieux, seigneur, craignant votre secours,
Avoit au nœud fatal abandonné ses jours.
Moi-même des objets j'ai vu le plus funeste,
Et de sa vie en vain j'ai cherché quelque reste;
Bajazet étoit mort. Nous l'avons rencontré
De morts et de mourans noblement entouré,
Que, vengeant sa défaite, et cédant sous le nombre,
Ce héros a forcés d'accompagner son ombre.
Mais, puisque c'en est fait, seigneur, songeons à nous.

ACOMAT.

Ah destins ennemis, où me réduisez-vous?
Je sais en Bajazet la perte que vous faites,
Madame; je sais trop qu'en l'état où vous êtes
Il ne m'appartient point de vous offrir l'appui
De quelques malheureux qui n'espéroient qu'en lui :
Saisi, désespéré d'une mort qui m'accable,
Je vais, non point sauver cette tête coupable,
Mais, redevable aux soins de mes tristes amis,

Défendre jusqu'au bout leurs jours qu'ils m'ont com

mis.

Pour vous, si vous voulez qu'en quelque autre contrée
Nous allions confier votre tête sacrée,

Madame, consultez: maîtres de ce palais,
Mes fidèles amis attendront vos souhaits;
Et moi, pour ne point perdre un temps si salutaire,
Je cours où ma présence est encor nécessaire,
Et jusqu'au pied des murs que la mer vient laver
Sur mes vaisseaux tout prêts je viens vous retrouver.

SCENE XII.

ATALIDE, ZAIRE.

ATALIDE.

Enfin, c'en est donc fait; et, par mes artifices,
Mes injustes soupçons, mes funestes caprices,
Je suis donc arrivée au douloureux moment
Où je vois par mon crime expirer mon amant !
N'étoit-ce pas assez, cruelle destinée,

Qu'à lui survivre, hélas! je fusse condamnée?
Et falloit-il encor que, pour comble d'horreurs,
Je ne pusse imputer sa mort qu'à mes fureurs?
Qui, c'est moi, cher amant, qui t'arrache la vie;
Roxane ou le sultan ne te l'ont point ravie (9);
Moi seule j'ai tissu le lien malheureux
Dont tu viens d'éprouver les détestables nœuds.
Et je puis, sans mourir, en souffrir la pensée,
Moi qui n'ai pu tantôt, de ta mort menacée,
Retenir mes esprits prompts à m'abandonner!
Ah! n'ai-je eu de l'amour que pour t'assassiner?
Mais c'en est trop; il faut, par un prompt sacrifice
Que ma fidèle main te venge et me punisse.

Vous, de qui j'ai troublé la gloire et le repos,
Héros, qui deviez tous revivre en ce héros;
Toi, mère malheureuse, et qui, dès notre enfance,
Me confias son cœur dans une autre espérance,

Infortuné visir, amis désespérés,

Roxane, venez tous, contre moi conjurés, Tourmenter à la fois une amante éperdue, prenez la vengeance enfin qui vous est due. (Elle se tue.)

Et

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Ah madame !... Elle expire. Oh ciel! en ce malheur Que ne puis-je avec elle expirer de douleur !

FIN.

REMARQUES

SUR BAJAZET.

Bajazet, comparé aux chefs-d'œuvre de l'auteur, est dans sa totalité un ouvrage de second ordre, qui n'a pu être fait que par un homme du premier. Défectueuse dans le plan qui n'est dans sa plus grande partie qu'une petite intrigue obscure, conduite par la fourberie et la dissimulation, et dans les caractères de Bajazet et d'Atalide qui n'ont rien de tragique, et qui, par conséquent, sont peu propres à exciter la terreur ou la pitié, cette tragédie seroit depuis long-temps tombée dans l'oubli, si les caractères de Roxane et surtout d'Acomat n'étoient pas d'une vérité et d'une beauté à faire passer sur les défauts. Ce sont ces deux rôles qui donnent occasion à Racine de peindre avec force les mœurs turques, la politique sanglante du serrail, la servile existence d'un peuple innombrable enfermé dans cette prison du despotisme, les passions des sultanes, le caractère et les intérêts des visis, qui se hâtent d'être les instrumens d'une révolutio'n, de peur d'en être les victimes, l'inconstance ordinaire des Orientaux, et cette servitude menaçante qui rampe aux pieds d'un despote, et s'élève tout à coup des marches du trône pour le frapper et le renverser. Tout cela se trouve peint ou annoncé dans la première scène, qui, outre cette peinture admirable de mœurs locales, a le mérite d'être la plus belle exposition qu'il y ait au théâtre. C'est là que commence à se déployer ce caractère d'Acomat qui paroît à Voltaire l'effort de l'esprit humain. "Je ne vois rien dans l'an

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tiquité ni chez les modernes, ajoute-t-il, qui soit dans ce caractère, et la beauté de la diction le relève en66 core. Pas un scul vers ou dur ou foible, pas un mot qui ne soit le mot propre, jamais de sublime horsd'œuvre, qui cesse alors d'être sublime, jamais de "dissertation étrangère au sujet ; toutes les convenances parfaitement observées; enfin ce rôle me paroît d'autant plus admirable, qu'il se trouve dans la seule tra

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