Obrazy na stronie
PDF
ePub

hait peut-être encore plus la personne que le crime qu'on prétend qu'il a commis.

"Ainsi, messieurs, je suis venu vous déclarer que je ne dois ni ne puis souffrir que le sieur de Mareuil soit détenu plus longtemps dans les prisons, et que je vais présentement l'en faire sortir, aux offres qu'il fait, et aux assurances que j'y ajoute de l'y faire remettre aussitôt que l'on saura la décision que le conseil d'Etat aura faite sur l'appel qu'il y a interjeté en cassation de vos arrêts, et que nous connaîtrons précisément les volontés du roi là-dessus.

"Cependant, afin que Sa Majesté soit pleinement informée de ma conduite et de celle de toute la compagnie, je demande qu'il soit fait registre tant de la requête du sieur de Mareuil, que j'ai fait lire et mise sur le bureau, que de la déclaration verbale que j'ai faite en conséquence, et dont je remets aussi une copie signée de ma main, présentée au conseil ce vingt neuvième novembre mil six cent quatre-vingt-quatorze."

[ocr errors]

Ce discours prononcé, Frontenac en laissa copie sur le bureau avec la requête de Mareuil, donna ordre au greffier, malgré les protestations du procureur général et des conseillers, d'insérer les deux documents dans les registres, puis se retira.

Quelques instants plus tard, M. de La Vallière, capitaine de ses gardes, allait, de sa part, faire sortir Mareuil de prison; et dans leur première séance subséqente, le 6 décembre, les conseillers s'étant fait apporter le registre de la geôle, y lurent l'acte suivant :

"Aujourd'hui, 29 novembre, de l'ordre de M. le comte de Frontenac, gouverneur et lieutenant général pour le Roi en ce pays, nous, capitaine de ses gardes, avons déchargé le présent registre et l'écrou ci à côté de la personne du sieur de Mareuil, ainsi que la recommandation faite au bas du dit écrou, et en conséquence enjoignons au concierge de ces prisons d'ouvrir les portes au dit sieur de Mareuil; à quoi il a satisfait à l'heure même, et me l'a remis entre les mains. (Signé) DE LA VALLIÈRE."3 Mareuil avait été environ un mois et demi en prison.

* ***

Ainsi se termina au Canada l'affaire de Mareuil, le procès pour paroles blasphématoires de ce singulier personnage à qui Frontenac avait 1 Jugements du Conseil supérieur, t. III, p. 952.-La requête de Mareuil "contenait huit pages et demie"; le discours du gouverneur "consistait en deux pages et demie ".

2 C'est ainsi que l'on doit à la volonté tenace de Frontenac la conservation de plusieurs documents qu'il a fait inserer par le greffier, malgré les conseillers, dans les registres du conseil. Quel dommage que Mgr de Saint-Vallier n'ait pu faire insérer également ce mémoire "contenant sept pages", qu'il présenta au conseil dans la séance du 11 octobre, et qui avait pour titre: "Réponse que fait l'Evêque de Québec aux dires et écrits de M. le comte de Frontenac "! Ce mémoire fut mis en liasse avec d'autres documents et envoyé à la cour. (Ibid., p. 918.)

3 Ibid., p. 954.

confié le soin d'organiser les représentations dramatiques au château, et qui s'était préparé, avec un malin plaisir, à jouer le rôle de Tartufe.

Que devint-il ensuite? Je n'ai pu découvrir trace de ses mouvements. Il avait tout intérêt à ne plus faire parler de lui, et jusqu'à son retour en France, l'année suivante, il attendit sans doute avec autant de calme que possible l'issue de son procès à la cour.

On ne connaît pas plus le règlement définitif de cette affaire que celui de tant d'autres qui furent soumises à la cour à la même époque. Il est probable que, comme il arrive presque toujours dans les décisions d'outre-mer, il y eut des paroles d'encouragement et de blâme pour tout le monde. Nous savons déjà que Frontenac eut certainement une verte réprimande à l'occasion du dessein qu'il avait formé de faire jouer le Tartufe au château Saint-Louis pour faire pièce au clergé de la colonie, et surtout pour n'avoir consenti que moyennant finance à renoncer à ce projet.

Il ne fut plus question du Tartufe au Canada. La reconstruction du fort Catarakoui, les expéditions dirigées contre les colons de la NouvelleAngleterre, l'invasion du pays des Iroquois, voilà autant d'entreprises qui occupèrent fortement Frontenac les années suivantes, et ne lui laissèrent guère le temps de songer aux représentations dramatiques.

VI-Pierre Bédard et son Temps,

Par M. N.-E. DIONNE.

(Lu le 25 mai 1898.)

I

"C'est la marque de la grandeur, que l'éloignement la fait mieux paraître ainsi le temps en s'avançant, donne aux hommes leur véritable

mesure.

"Nul n'a besoin, plus que les combattants de la vie publique, de ce long regard de l'histoire, parce qu'ils sont, plus que d'autres, exposés aux ferveurs passionnées de leurs amis et de leurs adversaires. Quand les enthousiasmes sont éteints et les colères tombées, quand les disputes sont taries et les discordes oubliées, alors, seulement, se lève sur certains noms, pour les consacrer à jamais, l'aurore d'une calme et immuable justice.

"Devant ce tribunal du temps, ni les applaudissements, ni les succès, ni même l'illustration du passé, ne sont, pour la gloire, des témoins suffisants. Elle n'attache de durable couronne qu'au front de ceux dont une grande idée a possédé les âmes. Ceux-là peuvent avoir été des vaincus: ' ils sont les vainqueurs de la postérité."

Belles paroles dues à la plume de l'infatigable apôtre des œuvres cathcliques de France, M. le comte de Mun. Je n'en ai pas trouvé de plus vraies ni de mieux appropriées à celui dont je me propose d'exquisser la vie. Pierre Bédard est une de nos belles figures du commencement de ce siècle. Il ne s'en trouve guère à cette époque de plus rayonnante. Papineau, Bourdages, Taschereau, Panet ont eu la gloire, les honneurs, et parfois de grandes déceptions, mais ils n'ont pas subi la persécution à un degré aussi marqué. Bédard obtint aussi des succès et, sans les rechercher, les applaudissements de ses compatriotes. Vaine gloriole bien au-dessous de son mérite! Bédard s'immola sur l'autel du patriotisme, sans regarder ni aux siens, ni à son intérêt personnel. Enfermé entre les quatre murs de sa prison, il y resta malgré tout le monde, fort de son droit d'être jugé par ses pairs. Il souffrit de cette réclusion injuste; il faillit même en mourir.

Si la justice des hommes ne lui fut pas clémente, l'opinion publique, l'opinion honnête ne lui ménagea point son approbation, et le plus admiré, en cette occasion, ne fut pas celui qui lui avait ménagé cette épreuve amère.

**

Pierre-Stanislas Bédard naquit le 13 novembre 1762, et non 1763, comme on l'a écrit si souvent, du mariage de Pierre-Stanislas Bédard et

de Marie-Josephte Thibault, de Charlesbourg. Il fut baptisé, le 14, par l'abbé Morisseaux, curé de cette paroisse. Cette belle famille a eu pour chef, en Canada, Isaac Bédard, de Paris, marié en 1645, à Marie Girard. Elle a fourni à l'Eglise une petite phalange de prêtres et des religieuses dont les annales des ursulines et de l'hôpital général pourraient donner les noms et citer les œuvres avec un légitime orgueil. Parmi les plus remarquables entre ces hommes de Dieu, citons, pour mémoire, PierreLaurent Bédard. qui, perdant cinquante-huit ans, dirigea la paroisse de Saint-François (rivière du Sud); Thomas-Laurent Bédard, supérieur du séminaire de Québec ; le sulpicien Jean-Charles Bédard; Laurent-Thomas, chapelain de l'hôpital général de 1819 à 1851. Il n'y a guère de figures oubliées parmi ces apôtres de Dieu, et toute famille canadienne, n'eût-elle que des noms semblables à mettre en évidence, pourrait à bon droit se réclamer de la reconnaissance publique. 1

Pierre Bédard fit ses études au petit séminaire de Québec. Entre tous il se distingua par son amour du travail, sa bonne conduite et aussi par ses succès. Ses dernières années furent surtout brillantes. Bien qu'il se fût adonné avec fruit aux études littéraires, il se livra plus spécialement aux sciences mathématiques, et l'élève devint bientôt maître de son sujet, tant il déploya de zèle et d'ardeur. On le verra plus tard, dans sa prison, consacrer presque tout son temps à débrouiller les problèmes les plus ardus de cette science aride.

Bibaud a écrit que Bédard avait une sorte de passion pour les mathématiques. Le fait est qu'il était très versé dans les chiffres, sans leur trouver toutefois d'autre application pratique que dans ses affaires personnelles, car il ne les enseigna à personne ni se livra-t-il au commerce, qui aurait été sans doute un champ d'action tout à fait conforme à ses dispositions naturelles.

Eédard préféra se livrer à la profession d'avocat, et non seulement il réussit, après le stage requis, à faire inscrire son nom sur la liste des membres du barreau, mais il y acquit vite un rang ho orable. Quelques années de pratique lui suffirent pour obtenir la réputation incontestée de premier avocat de son temps. Or, à cette époque tourmentée, il était difficile, pour un Canadien-français, d'arriver à un rang élevé et lucratif, alors que tout le patronage reposait sur le bon vouloir d'une bureaucratie égoïste et rageuse. Pour dominer les autres, il fallait, outre un talent incontestable, une persévérance presque héroïque.

1 Pierre était l'aîné de huit, dont sept garçons: Joseph, avocat; Jean-Baptiste, curé de Saint-Denis-de-Richelieu; Louis, curé de la Baie-du-Febvre; Charles, sulpicien; Thomas, notaire à l'Assomption, et Flavien, mort à Saint-Denis. Joseph mourut à un âge avancé, le 28 novembre 1832; il était le doyen du barreau de Montréal. Sa veuve, fille de M. Hubert Lacroix, lui survécut. Il laissa deux filles, dont l'une avait épousé M. J.-W. Marett, et l'autre M. Philippe Bruneau, marchand de Québec. 2 Bédard reçut sa commission d'avocat, le 6 novembre 1796.

3 Voir, en appendice, son discours pour la défense d'un sauvage accusé de meurtre.

Le 26 juillet 1796, Pierre Bédard conduisait à l'autel Jeanne-LouiseLuce-Françoise Frémiot de Chantal-Lajus, fille de François Lajus, médecin, et d'Angélique-Jeanne Hubert, soeur de Mgr Hubert, évêque de Québec. Ce fut l'abbé L.-L. Bédard, missionnaire à Saint-François (Beauce), et frère du marié, qui présida à la cérémonie, en présence d'Antoine Panet,' de Joseph Planté, de Berthelot d'Artigny, de W. Bouthillier et des parents des deux familles. On ne doit pas être surpris de voir figurer ici des hommes de la politique, entre autres l'orateur de l'assemblée législative, M. Panet, car Bédard était lui-même lancé, et depuis déjà

[graphic][merged small]

quatre ans, dans la vie parlementaire. Il avait été élu député de Northumberland aux élections générales de 1792.

5

Pierre Bédard ne devait cesser d'être membre de la députation qu'en 1812, après avoir tour à tour représenté Northumberland, la basse ville de Québec et le comté de Surrey. Lorsqu'il quitta la politique pour accepter d'être juge à Trois-Rivières, il était le seul, avec M. Panet, qui

1 M. Panet était orateur de la chambre.

2 M. Planté, notaire.

3 M. Berthelot d'Artigny, avocat.

4 M. Bouthillier, huissier à la verge noire.

5 Ce comté s'étendait depuis la seigneurie de Beauport jusqu'aux bornes de la province, en descendant du côté nord du fleuve.

6 Surrey commençait à la limite ouest de la paroisse de Saint-Ours, et finissait la limite ouest de Varennes, et comprenait Saint-Ours, Contrecœur, Verchères, Varennes, Saint-Antoine et une partie de Belœil.

« PoprzedniaDalej »