Obrazy na stronie
PDF
ePub

Il y avait au moins il me semblait ainsi-il y avait une amère dérision à expliquer à cet infortuné la loi pénale de l'Angleterre, ses statuts et ses commentaires, dédale plus long et plus tortueux que le labyrinthe de Crête et tout aussi étranger pour lui. Heureusement j'ai trouvé dans les observations de mon client un mode de défense inattendu, et dont toute ma crainte est de diminuer la force en les traduisant, comme de leur faire perdre quelque chose de leur touchante simplicité.

Il me parlait ainsi, après que je l'eusse informé que je voulais le défendre: "Je ne te connais pas, tu ne me connais pas non plus; tu dis que tu veux me faire sortir d'ici. Mon cœur te remercie. Mais je n'ai plus de pelleteries à te donner pour te récompenser. Le Grand-Esprit le fera lui-même. Je ne connais pas vos lois, elles n'ont pas été faites pour nous autres. Elles sont dans une langue inconnue; elles sont écrites, et nous ne lisons pas nous autres. Qui est venu nous les dire? Ecoute, mon frère. Depuis que je suis dans cette cabane de pierre, il est venu un vieillard habillé en noir, c'est le vieillard de la prière. Il s'est intéressé à moi, et quand nous avons pu nous entendre, il m'a parlé d'un livre contenant les ordres du Grand-Esprit qu'il appelle Dieu, donnés, dit-il, depuis longtemps sur une montagne en feu, loin, bien loin, du côté du soleil levant. Il m'a dit que son Dieu voulait que celui qui tuait fût tué, que celui qui arrachait un œil en perdît un. Je lui dis c'est bien, cette loi est comme la nôtre, et si un sauvage en tue un autre, c'est au vengeur du sang à faire justice. Il ajouta que son Dieu défendait expressément de priver un homme de la vie, sur le témoignage seul d'un autre homme. A ces mots j'ai sauté de joie, car il n'y a qu'un témoin contre moi, et quel témoin? Le vieillard de la prière ajouta que ce livre ordonnait que tout le peuple fût jugé selon la loi, que cette loi fût lue tous les ans, afin que personne ne fût surpris, et bien d'autres choses. Je ne sais pas lire, moi, dans ce livre des blancs. Si je me trompe, c'est l'homme de la prière qui m'a trompé. Eh bien, qui nous a lu cette loi qui dit que nous serons jugés. ici par douze hommes blancs qui ne connaissent ni notre pays, ni la langue, ni les usages de notre nation? Si douze guerriers de ma nation m'avaient dit: "Tu mourras", j'aurais dit: "c'est bien". Mais ici on me tuera comme un sauvage tue un chevreuil. Lui, il ne dit pas qu'il le juge.

Pardonnez-moi, Messieurs, d'avoir essayé de vous rendre la simple logique de l'homme des bois défendant sa vie et luttant contre des lois inconnues. J'ajouterai seulement qu'en cherchant les textes de la Bible auxquels il faisait évidemment allusion d'après ses entretiens avec le pieux et le vénérable prêtre qui l'instruisait, j'ai trouvé en effet la défense formelle et répétée donnée par Dieu même de faire périr même le meurtrier sur le témoignage d'un seul témoin. (Deuter., c. XVII, v. 6, 7; c. IX, v. 15; Nombres, ch. LV, v. 30; S. Mathieu, ch. XVIII, v. 16.)

Ce serait sans doute une impiété que d'essayer de prouver la sagesse d'un ordre de Dieu. Seul auteur de la vie, scul il a pu permettre de

l'ôter, et il ne veut pas que la vie d'un homme dépende du témoignage unique d'un autre homme.

Chrétiens! que sont les lois les plus positives des hommes contre la loi formelle de Dieu ? Que sont tous les législateurs contre le Législateur suprême dont la loi s'étend à tous les hommes comme à tous les lieux ?

Messieurs les jurés, si l'accusé a pu commettre un meurtre, est-ce que le témoin unique ne peut pas se tromper ou se parjurer? Le meurtre serait-il donc plus facile à commettre que le parjure?

La vie d'un homme est entre vos mains: elle pèse de tout son poids sur votre conscience.

VII-Québec en 1837-38,

Par SIR JAMES M. LE MOINE.

(Lu le 26 mai 1898.)

Je vais tâcher, en recueillant mes souvenirs, de peindre les jours d'alarmes que j'ai vus de près pendant l'agitation de 1837-38, à Québec.

Avant d'entrer en matière, rappelons succinctement les incidents les plus saillants qui précédèrent ou qui motivèrent un état de choses bien triste, bien insolite, pendant la période critique où tant de généreux défenseurs de notre nationalité périrent sur le champ de bataille ou sur l'échafaud, ou bien encore, prirent la route amère de l'exil; tristes résultats d'une lutte inégale, inconsidérée, mal organisée chez nos frères de Montréal; déplorable calamité à laquelle la région de Québec échappa, l'on aime à croire, par la modération des procédés de ses chefs politiques; d'autres disent, un peu par la terreur salutaire inspirée par les nombreuses bouches à feu braquées sur la ville du haut des fortifications, et les troupes massées sur la citadelle.

A Montréal, on tenta de redresser les torts dont souffrait la colonie, effectuer même son indépendance par la violence: c'est-à-dire opérer une insurrection armée, sans armes ! A Québec, au fort de l'agitation populaire, on se borna à viser probablement au même but, sans sortir des limites de la constitution. Qui a eu raison ?

Dans la région de Québec, les gens étaient excités, surtout à SaintRoch, dans la ville même, et à Saint-Thomas de Montmagny. Ce dernier endroit est qualifié par Christie de focus and hot bed of violence. C'était un petit volcan, ou quelque chose de la sorte, et nous devons expliquer pourquoi.

D'aigres débats avaient agité l'arêne parlementaire dès 1816, à la suite de la dissolution inattendue de la législature, par l'ordre du gouverneur; cet état de choses n'avait fait que s'aggraver ; l'année 1820 avait été marquée par un chaleureux discours d'un jeune orateur, destiné à se révéler plus tard comme le plus fougueux des tribuns. M. Papineau, cette année, avait fait un éloge pompeux de notre métropole, dans lequel il mettait en contraste le bien-être, la liberté de l'individu, la prospérité générale des Canadiens, sous le pavillon anglais, avec la misère, les monopoles, les exactions, les rapines de toutes espèces, le service militaire obligé, le pillage du pauvre peuple des campagnes par les affidés du pouvoir, sous le régime français, l'ère de l'intendant Bigot. Ceci était trop beau pour durer longtemps, aussi M. Papineau arriva-t-il dans les années. suivantes à parler tout autrement du Canada, et, cette fois, il n'avait pas

tort.

L'atmosphère politique s'assombrissait sensiblement à la suite de l'antagonisme croissant entre l'assemblée législative et l'oligarchie régnante au conseil législatif.

Les places les mieux rétribuées étaient pour la plupart occupées par des titulaires anglais; de nombreuses, de grasses sinécures étaient l'apanage exclusif d'une bureaucratie de même origine; elle avait envahi toutes les avenues du pouvoir. L'idée de réforme lui causait des transes. Les protêts, les remontrances de la majorité parlementaire, c'étaient à ses yeux des envahissements de ses chers privilèges, de ses monopoles plantureux. Bref, le Family Compact, insatiable vautour, n'était jamais assez repu.

Les réformes préconisées par l'éloquent député de la ville de Montréal, Louis-Joseph Papineau, c'étaient pour eux l'abomination de la désolation.

La voix, les plaintes d'un peuple opprimé ne pouvaient parvenir au chef de l'exécutif, entouré de conseillers attitrés l'habile juge en chef Sewell, le roué, l'implacable Herman Wytsius Ryland et autres amis du pouvoir. Tous entendaient les libertés, les franchises populaires autrement que Pitt, Fox, Sheridan et Wilberforce.

L'assemblée législative, qui, au début, était décidée de revendiquer, coûte que coûte, les privilèges, to us les privilèges de sujets britanniques, convaincue que sa voix ne pourrait se faire entendre du souverain, au delà des mers, et prise de désespoir, se sentait entraînée, comme un coursier sans frein, hors de la constitution, vers l'arêne poudreuse de la sédition et de la révolte.

J'ai dit que la paroisse de Saint-Thomas fut notée, à cette époque, pour son ardent patriotisme; comme je vous le ferai bientôt voir, cela était dû à l'ascendant que le représentant du comté, Jean-Charles Létourneau, et surtout son fidèle Achate, le D' Etienne-Pascal Taché, plus tard sir Etienne-Pascal Taché et aide-de-camp de la reine, exerçait sur le peuple.

Je n'ai que peu à ajouter au portrait que j'ai tracé dans l'Album du Touriste, de M. Létourneau. C'était, en deux mots, un notaire lettré, doué d'une certaine faconde de hustings, nourri d'idées un tant soit peu voltairiennes, comme bien d'autres des lettrés au Canada, à cette époque; ce qui pourtant ne l'empêcha pas de réclamer pour ses restes une tombe sous les voûtes de l'église paroissiale.

M. Létourneau possédait une bibliothèque, luxe assez rare chez un notaire de la campagne, il y a soixante ans; laquelle bibliothèque il légua, en mourant, à son ami Taché.

Etienne-Pascal Taché, en 1837, était le médecin respecté du village. Sa tournure militaire, l'uniforme des Voltigeurs de 1812, qu'il endossait, à certaines dates solennelles, rappelaient qu'il avait senti la poudre comme lieutenant des Voltigeurs, à la bataille de Plattsburg, en 1815, aussi bien qu'à Châteauguay.

« PoprzedniaDalej »