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dont il a enrichi ses ouvrages, si la forme pure, nette, précise et brillante, dont il les a revêtus, lui assurent l'immortalité, ce sera une immortalité obscure. Faute de génie, il ne put s'élever jusqu'à la vérité sur tout le principe de la philosophie, et sa doctrine, qui a passé comme sa vogue, depuis longtemps privée d'autorité, demeurera condamnée à la stérilité de l'erreur. Et pourquoi cette soudaine et immense, mais fugitive célébrité du talent? C'est que le talent, outre les circonstances particulières et indépendantes de lui, qui peuvent le donner en spectacle, le talent n'arrivant point au principe, au fond des choses, s'arrêtant à la surface comme nous l'avons dit, demeure au niveau de la foule, et par conséquent la frappe. Bien plus, justement parce qu'il ne se prend qu'à la surface, il la saisit de travers, lui prête un tour singulier, extraordinaire, qui excite l'étonnement et surprend l'admiration. Mais, encore une fois, cette renommée ne saurait être durable; portant sur l'erreur, son fondement est ruineux, elle tombe. Celle du génie semble aussi tomber; et si Descartes est moins oublié que Malebranche, son nom n'a plus cependant cet éclat dont l'entoura la première justice de la postérité. Mais la renommée du génie se relève, et quelquefois même plus forte, plus imposante, et resplendit encore d'une mâle jeunesse. Si celle du talent se relève, elle a je ne sais quoi de pâle, de vieilli, et ne remonte jamais à sa première hauteur, qu'elle ne devait qu'à la nouveauté. Et tandis que le génie ne se remontre

n'est

que pour produire de nouveaux fruits, le talent, ce que pour causer encore un vain bruit et passer encore stérile. Que Platon reparaisse au commencement du Christianisme, dans Plotin et saint Augustin, au dix-septième siècle, dans Descartes, Leibnitz et Bossuet, il réveille à ces deux époques la pensée humaine et la pousse en avant, lui imprimant un mouvement nouveau. Qu'Aristote ressuscite au moyen âge, dans la scolastique, il n'engendre que de stériles disputes et ajoute à l'infécondité de ces temps barbares. C'est le caractère éternel de l'erreur.

Quelle que soit l'admiration qu'aient excitée les écrivains qui nous occupent, leurs systèmes n'ont fait ni pu faire aucun bien réel à la philosophie et au Christianisme. Ce n'est qu'en sortant du sien que M. de Maistre a trouvé des considérations vraies, neuves, fécondes et utiles à la vie, sur le gouvernement temporel de la Providence, et qui assurent un intérêt immortel à ses Soirées de Saint-Pétersbourg. MM. de Bonald et de La Mennais, pour s'être emprisonnés dans le leur, n'auront fait qu'agiter les esprits et quelquefois les égarer. C'est que ce système est radicalement faux, et nous allons le démontrer.

CHAPITRE VIII.

REFUTATION DU SYSTÈME DE MM. DE BONALD ET DE LA MENNAIS. LA RAISON NE NOUS VIENT POINT DU DEHors; elle FAIT PARTIE DE NOTRE ÊTRE pensant.

Le système de MM. de Bonald et de La Mennais consiste d'abord à nier qu'il y ait dans l'âme des idées innées, ou qu'elle porte en soi la source des idées générales. De toutes les questions, celle de l'origine des idées est la plus fondamentale et la plus importante dans la science de l'homme. D'elle part, ou à elle se ramène en définitive toute erreur philosophique, religieuse, morale, politique même. Puisque ces écrivains remontent à cette question suprême pour établir leur doctrine, et qu'ils la résolvent dans un sens qui choque la raison et la conscience du genre humain, ils devaient s'attacher à motiver rigoureusement leur solution, à l'entourer d'évidence: ils devaient ne rien oublier pour la mettre à l'abri des attaques qui la menaçaient. Quelles sont cependant les preuves dont ils la protègent? Je les cherche

CHRISTIANISME ET CIVILISATION.

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avec une impatiente curiosité, et ne trouve que des négations dédaigneuses dans M. de La Mennais, et de pauvres subtilités dans M. de Bonald. A voir le premier affirmer que l'âme est passive, vide d'idées par sa nature, et ne possède que la faculté de les recevoir, on dirait, tant il montre peu de souci pour en convaincre, qu'il pose un axiome, une vérité reconnue et mise par l'expérience, selon sa parole, hors de contestation. Le contraire est absurde, se borne-t-il à dire, et complétement réfuté par l'expérience'. C'est là son grand argument, celui dont il paye le plus communément le lecteur. Nous doutons que le moins exigeant s'en contente, quelque satisfait qu'il en paraisse lui-même. Du reste, il serait dispensé d'en fournir d'autres, il lui suffirait parfaitement de dire que la doctrine des idées innées est réfutée par l'expérience, si elle devait s'entendre dans le sens que lui donne M. de Bonald.

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Qu'est-ce, dit-il, que ces idées innées présentes à notre esprit, et qui y précèdent toute instruction? Si Dieu les y grave lui-même, comment l'homme parvientil à les effacer? Si l'enfant idolâtre naissait, comme l'enfant chrétien, avec des notions distinctes d'un Dieu unique, comment ses parents peuvent-ils le faire croire à une multitude de dieux ? D'où vient qu'il y a des matérialistes et des athées, si nous apportons en naissant des idées innées de l'existence de Dieu et de l'im

1. Essai sur l'indif., IIIe part., chap. vII.

mortalité de l'âme? Si les hommes apportent tous en naissant les mêmes idées, pourquoi tant de variétés dans les opinions? Il y a donc des idées innées et des idées acquises; et comment les idées acquises font-elles oublier les idées innées? Car enfin on ne peut perdre que ce qu'on peut acquérir, comme on ne peut acquérir que ce qu'on peut perdre, et ici l'homme conserve les idées fausses qu'il a acquises et perd les idées vraies nées avec lui, et qu'il tient de sa nature1. » Sur quoi roule cette argumentation? Sur la confusion de l'idée avec la perception de l'idée : deux choses néanmoins aussi distinctes, par rapport à l'âme, que le sont par rapport au corps l'état de sommeil et l'état de veille. Mais nous laissons à M. de Maistre le soin de relever cette confusion. «M. de Bonald, dit-il, a cru argumenter d'une manière décisive contre les idées innées, en demandant: COMMENT si Dieu avait gravé telle ou telle idée dans nos esprits, L'HOMME pourrait parvenir à les effacer?. Comment, par exemple, l'enfant idolâtre, naissant, ainsi que le chrétien, avec LA NOTION DISTINCTE d'un Dieu unique, peut cependant étre ravalé au point de croire à une multitude de dieux ?

« Que j'aurais de choses à dire sur cette notion distincte et sur l'épouvantable puissance dont l'homme n'est que trop réellement en possession d'effacer plus ou moins ses idées innées et de transmettre sa dégra

1. Leg. prim., Disc. prél. page 43, 3o édit.

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