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laissant l'aubergiste et sa séquelle chanter les louanges de l'Impérial.

Nous abandonnons la grande route pour nous jeter sur la gauche dans un chemin de traverse. Les pluies l'avaient gâté. Les chevaux avançaient à peine dans une fange épaisse et argileuse. Les petits poneys du Japon s'en tiraient encore, mais la bête que je montais, un cob australien pesant, enfonçait à chaque pas jusqu'aux genoux. Il fallut descendre et le conduire par la bride, à la grande joie de mon ami Shiraki, qui s'empressa d'imiter ce bon exemple; c'est ainsi que, glissant et pataugeant, nous franchîmes environ 12 kilomètres par monts et par vaux, à travers des rizières et des bois. Le riz s'annonçait mal, mais le paysage était joli. A droite, à gauche du chemin ou couronnant des éminences pittoresques auxquelles conduisait un escalier, j'apercevais souvent des chapelles ou des niches d'idoles. L'aspect de ces vallées est charmant. Elles sont étroites et se ressemblent toutes comme des gouttes d'eau, mais elles sont gaies et vertes. Les pentes qui les enserrent sont boisées. Le feuillage des arbres offre les teintes les plus variées. L'érable entre autres est superbe à voir tant que dure l'automne, et l'œil ne se lasse point de ce spectacle.

C'est entre ces collines qu'était l'emplacement de l'antique cité de Kamakoura où nous arrivons.

Au milieu du septième siècle de notre ère vivait un prince appelé Kamadari. C'était un des plus puissants seigneurs de ce temps, en grande faveur à la cour. L'empereur l'envoya un jour en pèlerinage à la chapelle ou niche de Kashima, dans la province de Shimôsa. Il s'arrêta en route pour se reposer au village de Youi, dans le Sagami, et il eut un songe. Une voix miraculeuse lui enjoignit d'aller enfouir la précieuse faucille (kama) qui était l'emblème de son nom au mont des pins ou mont Okoura. Il obéit, et dès lors le lieu changea de nom. Au lieu d'Okoura (le grand magasin), il s'appela Kamakoura (ou le magasin de la faucille) de « kama », faucille et « koura », place de sûreté ou magasin.

Le prince Kamadari, qui prétendait descendre des dieux en

tapissés de lotus, ses escaliers de pierre, les toits ouvragés de ses niches, ses chevaux blancs, aux yeux rouges et stupides, consacrés aux dieux et engraissés des offrandes des pèlerins. Je n'ai que faire de revenir sur ces beautés ou ces singularités. Mon intention est de léguer aux voyageurs futurs, qui ne manqueront pas de fréquenter cette route, quelques indications. sur les faits les plus intéressants qui se rattachent à certaines localités.

La seconde moitié du douzième siècle est une des plus importantes périodes de l'histoire du Japon. C'est alors qu'éclata entre les deux maisons rivales de Gen et de Hei une guerre civile qui rappelle par quelques traits celle des deux Roses. Elle se termina par la victoire de la maison de Gen, qui avait pour chef Minamoto no Yoritomo. Quand il eut accablé ses ennemis et soumis le pays entier à sa puissance, il s'établit à Kamakoura, dont il fit la capitale militaire du Japon. Peu après, en 1192, il fut créé «sei i taï shogun», ou commandant en chef des forces destinées à réprimer les barbares. C'est le titre dont les étrangers ont fait par abréviation «<taïcoun» ou <<< tycoon >> et qu'il porta le premier. Depuis 1192 jusqu'en 1868, l'empereur ou mikado devint et resta un mannequin. Le pouvoir exécutif était aux mains de son commandant en chef. De là tous les contes qu'on nous a débités sur l'empereur spirituel et l'empereur temporel.

En ces temps-là s'élevait à Youi, sur un emplacement appelé Tsourougaoka, un ancien temple dédié à l'empereur Odjin, devenu par apothéose le dieu de la guerre. C'est lui dont les bouddhistes ont fait leur Mars ou leur Hachiman, non pas qu'il eût mérité cet honneur par ses propres exploits, mais sa mère, la fameuse impératrice Ojingô, était enceinte de lui quand elle conquit la Corée au troisième siècle de notre ère. Elle retarda miraculeusement sa délivrance jusqu'à parfaite soumission des ennemis. En 1191, Yoritomo fit transporter la niche du dieu dans sa capitale de Kamakoura et l'installa à sa place actuelle.

On adore particulièrement trois dieux dans ce temple. Celui qui occupe la place d'honneur dans la niche du centre, au haut

des degrés, est le dieu Hachiman. A droite est un autel dédié à sa mère, l'impératrice Ojingô; à gauche, un autre autel dédié à la princesse Onaka. J'ai en ce moment sous les yeux une de ces grossières images du dieu Hachiman qui se vendent sur les lieux. Elle représente un guerrier farouche qui a les yeux trèsobliques, une barbe et des moustaches effroyables, un arc et des flèches, mais qui porte, au lieu d'une armure, les vêtements flottants et le singulier chapeau dont se compose le costume de la cour. A gauche de la principale niche, il y en a une plus petite, en l'honneur d'un héros appelé Takanouchi Soukouné. C'est un guerrier qui avait accompagné l'impératrice Ojingo dans son expédition de Corée, et qui la débarrassa plus tard d'un prétendant au trône. Il a été canonisé sous le nom de Kôra Miyôdjin ou de Tamadaré no Kami. Les deux dieux à droite et à gauche de la porte, Toyoiwamado et Koushiwamado, sont des divinités du shintô ou de la religion aborigène, qui est une sorte de culte des héros. La niche principale est au milieu d'un carré occupé de trois côtés par de petits autels où sont déposées des litières sacrées pour les dieux, avec des reliques, sabres, vêtements, parties d'armure ou curiosités ayant appartenu à Yoritomo, Yoritsouné, Takaoudji et autres célébrités du temps héroïque.

Toute cette partie du temple a été brûlée il y a une quarantaine d'années et on a dù la rebâtir; mais la pagode et les autres constructions au bas du grand escalier de pierre sont anciennes. Quoique simplement construites en bois, comme elles ont toujours été entretenues, elles offrent encore le même aspect que dans les beaux jours de Yoritomo.

L'escalier est ombragé, à gauche, par un arbre vénérable, appelé l'Icho (Salisburia adiamthifolia), arbre de sanglante mémoire, sous lequel fut commis un de ces crimes qui souillent, dans tous les pays, les annales du moyen âge.

Yoritomo mourut en 1199. Il laissait deux fils, Yoriiyé et Sanétomo. L'aîné, Yoriiyé, âgé de dix-huit ans, succéda à son père dans le commandement des guerriers du pays. C'était un jeune étourdi, qui se jeta dans la débauche et l'ivrognerie, encouragé dans ses excès par son grand-père maternel Hôdjô

Tokimasa, qui s'empara du pouvoir. Deux ans plus tard, l'empereur investit Yoriiyé de la charge de shogun, que son père avait remplie. Tokimasa n'en resta pas moins le maître. Yoriiyé frémissait sous ce joug, et la ville de Kamakoura était en proie aux factions. L'un des partis avait pour chef le shogun, l'autre sa mère et son grand-père. Le sang coula en abondance. Un fils en bas âge de Yoriiyé fut mis à mort par son propre grand-père. Peu après, Tokimasa fit courir le bruit que le shogun conspirait contre lui. Il se saisit de la personne de Yoriiyé, lui fit raser la tête et l'obligea de se retirer du monde et de se faire prêtre. Sa vengeance n'était pas encore satisfaite. Dès l'année suivante, il dépêcha vers le temple qu'habitait Yoriiyé un guerrier chargé de le tuer. L'émissaire épia l'occasion, surprit la victime au bain, lui jeta une corde autour du cou et l'étrangla. Ainsi périt le shogun, à vingt-trois ans.

Il eut pour successeur son jeune frère, Sanétomo, âgé de douze ans, qui vivait dans le palais de son grand-père, d'où il émettait ses ordres, en sorte que Tokimasa ne perdit rien de son pouvoir. Ce n'était pas encore assez pour lui. Il se mit en tête de tuer encore Sanétomo et de lui substituer son gendre, le mari de sa fille favorite. Pour cette fois la mère du shogun, au lieu de se ranger du côté de son propre père, prit fait et cause pour son enfant. Elle éventa le complot, retira Sanétomo du palais de son grand-père et le plaça sous la protection de son oncle maternel, Yoshitoki. Dans les troubles qui s'ensuivirent, l'armée se déclara pour le jeune shogun, et le vieux Tokimasa fut exilé au village d'Hôjô, dans la province d'Idzou, d'où la famille tirait son origine et son nom. Sanétomo était un jeune homme doux et faible, qui aimait la société des lettrés, qui passait les jours et les nuits à boire du vin et à composer des vers. Tandis que le shogun s'absorbait dans ces amusements, son oncle, qui était son ministre, devenait de plus en plus puissant et gouvernait l'empire sous le nom de Sanétomo.

Le précédent shogun, Yoriiyé, avait laissé un fils. Après avoir fait ou laissé faire plusieurs tentatives pour rentrer en possession du pouvoir de son père, ce fils était entré dans les

ordres à Kiyôto, et il avait pris, à cette occasion, le nom de Kougiyô. En 1218, ce Kougiyô vint à Kamakoura. Le souvenir des intrigues qu'il avait fomentées n'empêcha point qu'il n'y reçût un accueil honorable, et il fut nommé « abbé >> du temple d'Hachiman. Cette promotion ne l'apaisa point. Son cœur était plein de haine pour les geôliers et les meurtriers de son père. Il voyait de mauvais œil le shogun Sanétomo, son oncle, et il attendait l'occasion.

Dans le dixième mois de cette année 1218, Sanétomo reçut de l'empereur la dignité de «oudaïdjin», ou grand ministre du côté droit; et, dans le premier mois de l'année 1219, il forma la résolution d'aller en grande pompe au temple d'Hachiman, afin de remercier les dieux de cette faveur; il avait eu soin de s'assurer, par une opération divinatoire, que le moment favorable serait la huitième heure, dans la soirée du vingt-septième jour. Avant de sortir de son palais, il pria sa femme, qui était une fille de la maison d'Hada, de le peigner et de lui arranger les cheveux. Un cheveu tomba. Il le ramassa, le donna à sa femme et lui dit en souriant : « Prenez ceci en mémoire de moi. >>

Il partit avec un cortége de mille chevaliers. Son oncle et ministre Yoshitoki le suivait, portant son sabre. Au moment d'entrer dans le temple, Yoshitoki fut pris d'une indisposition subite. Il passa à un autre noble le sabre du shogun et s'en retourna. Cependant Sanétomo commanda à toute sa suite de l'attendre au dehors. Il entra lui-même dans le temple, accompagné seulement de son porte-sabre. Quand il eut fini ses prières et ses actions de grâces, il redescendit les escaliers du temple. C'est alors qu'un homme s'élança de derrière un arbre un sabre à la main. Il abattit le shogun et son porte-sabre et emporta les deux têtes. La nuit était noire; il y eut un grand tumulte et une grande confusion dans l'intérieur et au dehors du temple. Personne ne savait qui avait fait le coup, quand on entendit une voix forte qui criait : « C'est moi, Kougiyo!»

Kougiyô, emportant la tête de Sanétomo, se sauva dans la maison d'un autre prêtre, où il prit un peu de nourriture. Tout en mangeant, sa main ne lâchait pas la tête du shogun.

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