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Henri IV en France, un Charles I en Angleterre, sont au moins des époques mémorables, des mœurs singulières, des événements fameux, des catastrophes tragiques. Mais la grande vue à saisir pour l'historien moderne, c'est le changement que le christianisme a opéré dans l'ordre social. En donnant de nouvelles bases à la morale, l'Évangile a modifié le caractère des nations, et créé en Europe des hommes tout différents des anciens par les opinions, les gouvernements, les coutumes, les usages, les sciences et les arts.

Et que de traits caractéristiques n'offrent point ces nations nouvelles! Ici, ce sont les Germains; peuples où la corruption des grands n'a jamais influé sur les petits, où l'indifférence des premiers pour la patrie n'empêche point les seconds de l'aimer; peuples où l'esprit de révolte et de fidélité, d'esclavage et d'indépendance, ne s'est jamais démenti depuis les jours de Tacite.

Là, ce sont ces Bataves qui ont de l'esprit par bon sens, du génie par industrie, des vertus par froideur, et des passions par raison.

L'Italie aux cent princes et aux magnifiques souvenirs, contraste avec la Suisse obscure et républicaine.

L'Espagne, séparée des autres nations, présente encore à l'historien un caractère plus original: l'espèce de stagnation de mœurs dans laquelle elle repose lui sera peut-être utile un jour; et, lorsque les peuples européens seront usés par la corruption, elle seule pourra reparoître avec éclat sur la

scène du monde, parce que le fond des mœurs subsiste chez elle.

Mélange du sang allemand et du sang françois, le peuple anglois décèle de toutes parts sa double origine. Son gouvernement formé de royauté et d'aristocratie, sa religion moins pompeuse que la catholique, et plus brillante que la luthérienne, son militaire à la fois lourd et actif, sa littérature et ses arts, chez lui enfin le langage, les traits même, et jusqu'aux formes du corps, tout participe des deux sources dont il découle. Il réunit à la simplicité, au calme, au bon sens, à la lenteur germanique, l'éclat, l'emportement et la vivacité de l'esprit françois.

Les Anglois ont l'esprit public, et nous l'honneur national; nos belles qualités sont plutôt des dons de la faveur divine que des fruits d'une éducation politique: comme les demi-dieux, nous tenons moins de la terre que du ciel.

Fils aînés de l'antiquité, les François, Romains par le génie, sont Grecs par le caractère. Inquiets et volages dans le bonheur, constants et invincibles dans l'adversité, formés pour les arts, civilisés jusqu'à l'excès, durant le calme de l'État; grossiers et sauvages dans les troubles politiques, flottants comme des vaisseaux sans lest au gré des passions; à présent dans les cieux, l'instant d'après dans les ́abîmes; enthousiastes et du bien et du mal, faisant le premier sans en exiger de reconnoissance, et le second sans en sentir de remords; ne se souvenant ni de leurs crimes ni de leurs vertus; amants pusillanimes de la vie pendant la paix; prodigues de

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leurs jours dans les batailles; vains, railleurs, ambitieux, à la fois routiniers et novateurs, méprisant tout ce qui n'est pas eux; individuellement les plus aimables des hommes, en corps les plus désagréables de tous; charmants dans leur propre pays, insupportables chez l'étranger; tour à tour plus doux, plus innocents que l'agneau, et plus impitoyables, plus féroces que le tigre: tels furent les Athéniens d'autrefois, et tels sont les François d'aujourd'hui.

Ainsi, après avoir balancé les avantages et les désavantages de l'histoire ancienne et moderne, il est temps de rappeler au lecteur que si les historiens de l'antiquité sont en général supérieurs aux nôtres, cette vérité souffre toutefois de grandes exceptions. Grâce au génie du christianisme, nous allons montrer qu'en histoire, l'esprit françois a presque atteint la même perfection que dans les autres branches de la littérature.

CHAPITRE VI.

VOLTAIRE HISTORIEN.

«Voltaire, dit Montesquieu, n'écrira jamais une bonne histoire; il est comme les moines qui n'écrivent pas pour le sujet qu'ils traitent, mais pour la gloire de leur ordre. Voltaire écrit pour son

couvent. »

Ce jugement, appliqué au Siècle de Louis XIV et à l'Histoire de Charles XII, est trop rigoureux;

mais il est juste, quant à l'Essai sur les Mœurs des nations1. Deux noms surtout effrayoient ceux qui combattoient le christianisme, Pascal et Bossuet. Il falloit donc les attaquer, et tâcher de détruire indirectement leur autorité. De là l'édition de Pascal avec des notes, et l'Essai qu'on prétendoit opposer au Discours sur l'Histoire universelle. Mais jamais le parti anti-religieux, d'ailleurs trop habile, ne fit une telle faute et n'apprêta un plus grand triomphe au christianisme. Comment Voltaire, avec tant de goût et un esprit si juste, ne comprit-il pas le danger d'une lutte corps à corps avec Bossuet et Pascal? Il lui est arrivé en histoire ce qui lui arrive toujours en poésie : c'est qu'en déclamant contre la religion, ses plus belles pages sont des pages chrétiennes, témoin ce portrait de saint Louis :

« Louis IX, dit-il, paroissoit un prince destiné à réformer l'Europe, si elle avoit pu l'être, à rendre la France triomphante et policée, et à être en tout le modèle des hommes. Sa piété, qui étoit celle d'un anachorète, ne lui ôta aucune vertu du roi. Une sage économie ne déroba rien à sa libéralité. Il sut accorder une politique profonde avec une justice exacte, et peut-être est-il le seul souverain qui mérite cette louange. Prudent et ferme dans le conseil, intrépide dans les combats, sans être emporté, compatissant comme s'il n'avoit jamais été que mal

Un mot échappé à Voltaire, dans sa Correspondance, montre avec quelle vérité historique et dans quelle intention il écrivoit cet Essai: «J'ai pris les deux hémisphères en ridicule ; c'est un coup sûr. (An 1754, Corresp. gén., tom. v, pag. 94.)

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heureux, il n'est pas donné à l'homme de pousser plus loin la vertu... Attaqué de la peste devant Tunis... il se fit étendre sur la cendre, et expira à l'âge de cinquante-cinq ans, avec la piété d'un religieux et le courage d'un grand homme. »

Dans ce portrait, d'ailleurs si élégamment écrit, Voltaire, en parlant d'anachorète, a-t-il cherché à rabaisser son héros? On ne peut guère se le dissimuler; mais voyez quelle méprise! C'est précisément le contraste des vertus religieuses et des vertus guerrières, de l'humanité chrétienne et de la grandeur royale, qui fait ici le dramatique et la beauté du tableau.

Le christianisme rehausse nécessairement l'éclat des peintures historiques, en détachant pour ainsi dire les personnages de la toile et faisant trancher les couleurs vives des passions sur un fond calme et doux. Renoncer à sa morale tendre et triste, ce seroit renoncer au seul moyen nouveau d'éloquence que les anciens nous aient laissé. Nous ne doutons point que Voltaire, s'il avoit été religieux, n'eût excellé en histoire; il ne lui manque que de la gravité, et, malgré ses imperfections, c'est peut-être encore, après Bossuet, le premier historien de la France.

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