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elle-même un péril réel, où enfin cette action ne pourrait être intentée qu'en blessant les personnes que le fait a déjà blessées 1. Il est naturel, en effet, que le droit de l'État soit suspendu quand il doit résulter de son exercice un préjudice, soit social, soit privé; il ne faut pas, pour réparer un dommage, en produire un autre qui pourrait être irréparable; la répression serait souvent trop chèrement achetée au prix de l'union et du repos d'une famille. La difficulté consiste à apprécier, à côté du mal du délit, le mal même de la poursuite.

C'est là la seule considération qui doive déterminer l'exception. Si l'action publique doit briser des liens sacrés, comme en matière d'adultère, flétrir la victime même de l'attentat, comme en matière de rapt, entacher la réputation des personnes, comme en matière de diffamation, elle doit attendre la provocation des parties lésées. Le mal que peut produire la poursuite dans chacune de ces trois hypothèses est évident : elle dévoile les secrets de la famille, elle compromet son avenir, elle se fait complice de la diffamation, elle devient un obstacle à la réparation que la victime a le droit d'attendre. Ne serait-il pas déplorable de n'atteindre le coupable qu'à travers ces tristes conséquences? Ne serait-il pas trop rigoureux de contraindre la partie offensée à subir une seconde fois l'offense par sa publicité? L'État, d'ailleurs, a d'autres intérêts que l'intérêt de la répression: la paix des mariages, l'union des fa

Mittermaier, Strafverfahren, I, p. 138.

milles, l'honneur des citoyens sont les trésors où il puise sa force; il ne doit y toucher qu'avec réserve. Sans doute, s'il s'agissait d'un délit grave, la justice devrait passer outre, car l'intérêt de la répression deviendrait l'intérêt principal, et d'ailleurs la vie des familles n'est pas distincte de la vie de l'État. Mais lorsque le délit est secondaire, lorsqu'il n'attaque pas les fondements de l'ordre, lorsque son impunité n'apporte pas un péril sérieux à la cité, la justice doit attendre la plainte, car la plainte seule témoigne qu'elle peut agir sans blesser les parties 1.

Il suit de là que si, dans notre législation, la suspension de l'action publique jusqu'à la plainte nous semble parfaitement justifiée en ce qui concerne l'adultère, le rapt et les diffamations, il n'en est point ainsi en ce qui concerne les autres délits qui ont été précédemment énumérés. Les délits de chasse, de pêche et de contrefaçon ne motivaient aucune exception. Pourquoi, en effet, cette réserve, lorsque toutes les autres atteintes à la propriété, quelque minimes qu'elles soient, sont ouvertes à l'action publique ? Est-ce qu'il s'agit ici de délits exclusivement privés ? Il n'en existe pas; dès que la loi inflige une peine, elle dénonce l'intérêt général de la société à punir le fait qui en est l'objet. Craint-on que l'action publique ne se fourvoie dans des poursuites multipliées et onéreuses à l'État? Mais est-ce que le même inconvénient n'existe pas à l'égard de la classe si nom

Mittermaier, Strafverfahren, I, p. 138; Neues Archiv, des crim. Rechts, X, 269.

breuse des petits délits? est-ce que la sagesse du ministère public ne sait pas l'éviter? L'exception est dangereuse parce qu'elle enlève au ministère public une surveillance qui peut être efficace, parce qu'elle crée au milieu des délits d'une même nature une catégorie à part; elle est inutile parce que l'action publique ne les saisirait jamais d'office, à moins qu'elle n'y fût provoquée ou que quelque circonstance ne rendit son intervention nécessaire.

A l'égard des délits des fournisseurs et des crimes commis à l'étranger, la condition de la plainte a d'autres inconvénients. S'il ne fallait pas que la justice pût apprécier les fraudes des fournisseurs sans une autorisation du gouvernement, il était facile d'assimiler ces agents aux fonctionnaires dont la mise en jugement est délibérée par le conseil d'État. Mais n'est-ce pas une anomalie étrange dans la législation que la condition de cette dénonciation administrative qui couvre, non les agents, mais le délit, qui protége, non les personnes, mais les faits eux-mêmes? Aussi, dans ce cas spécial, la plainte n'a plus le même but : elle n'est plus réservée à la partie lésée comme un moyen d'éviter un procès nuisible; elle est attribuée à l'administration comme un moyen d'apprécier la gravité des fraudes et l'utilité de leur répression avant de les livrer aux tribunaux. Mais pourquoi cette dénonciation, puisque les tribunaux n'ont aucun moyen d'investigation sur les fournisseurs de l'armée? pourquoi cette condition, puisqu'ils n'auraient pu faire aucun acte de poursuite, puis

qu'ils n'auraient eu même aucune connaissance du délit sans le concours de l'administration? Cette disposition est donc inutile; elle sort sans motifs des règles du droit commun, elle crée une exception dans l'exception.

Les crimes commis à l'étranger devraient également être libres de la même restriction 1. De même que dans le cas qui précède, il ne s'agit point ici d'un de ces délits qui semblent n'intéresser que la personne qui les poursuit, il s'agit d'un crime commun dont la répression intéresse la société entière. Pourquoi faire dépendre cette répression de la plainte de la partie lésée ? Une seule raison a été alléguée : sans le concours de cette partie, la poursuite n'aurait aucun moyen d'action; ce n'est qu'à l'aide des documents et des indices qu'elle a recueillis en pays étranger qu'il est possible de la diriger. Cette raison a cessé d'être exacte depuis que les communications avec les pays étrangers se sont multipliées, depuis qu'un échange journalier de renseignements utiles s'est formé entre les magistrats des contrées voisines, depuis que tous les gouvernements, comprenant qu'ils étaient liés par l'intérêt commun de la répression des crimes, n'ont plus dénié le principe d'une solidarité commune. Le ministère public a les moyens de recueillir les traces d'un crime en pays étranger, lors même qu'il est privé de l'impulsion intéressée et de l'appui des parties. Et comment admettre que l'ordre moral soit privé de la réparation Voy. notre tome II, p. 624.

qui lui est due, que la justice soit enchaînée, lorsqu'il s'agit d'une grave atteinte portée à cet ordre, d'une lésion supérieure à la lésion privée ? Comment concevoir que cette réparation soit subordonnée à une plainte qu'une transaction peut étouffer, que la contrainte et les menaces peuvent suspendre, que l'inertie peut paralyser? Après tout, si le ministère public n'a que de vagues indices, s'il n'a pu recueillir les graves présomptions et les preuves qui doivent commander une instruction, il s'abstiendra; mais du moins son action ne sera pas liée entre ses mains, et le coupable ne trouvera pas un asile assuré dans ses foyers par cela seul que sa victime craint sa vengeance ou qu'elle n'a pas laissé de parents pour la venger elle-même.

Telles sont les observations que notre législation peut suggérer sur ce point. Il nous paraît, en résumé, que la règle exceptionnelle qui subordonne l'exercice de l'action publique à la plainte doit être circonscrite aux seuls délits dont la poursuite porterait atteinte, soit à l'union de la famille, soit à l'honneur des citoyens, et dont la répression n'intéresse que secondairement l'ordre social. Tels sont dans notre législation l'adultère, le rapt et la diffamation. C'est par une extension abusive que cette règle a été appliquée, tantôt à des délits contre la propriété, tantôt à des fraudes contre le gouvernement, tantôt aux crimes commis en pays étranger. La poursuite de ces infractions doit être libre du frein de la plainte, soit parce que cette exception n'a plus alors au

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