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de Dieu et de la vertu parfaite le motif du plaisir et de l'intérêt propre, Clément ne prétendait pas que cet amour désintéressé ne fût pas essentiellement une jouissance pour l'homme. Comme l'a remarqué Leibnitz, « l'amour d'au« trui ne peut être séparé de notre véritable bien, ni « l'amour de Dieu de notre félicité; mais il est également «< certain que la considération de notre bien particulier, distinguée du plaisir que nous goûtons à voir la félicité d'autrui, n'entre pas dans l'amour pur, quoiqu'on ne ⚫ doive ni exclure ni rejeter cette considération 1. »

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C'est en ce sens que Clément déclare que les vrais biens. sont les plus délectables et donnent d'eux-mêmes le fruit le plus désirable, c'est-à-dire la paix du cœur 2. La douceur de l'amour de Dieu est même, suivant lui, si vive, si profonde, que celui qui l'a une fois goûtée n'éprouve plus aucun attrait pour les misérables jouissances de cette terre 3.

Telle est la doctrine de Clément sur la charité, terme suprême des vertus et de la perfection gnostique. Nous pouvons maintenant apprécier dans son ensemble sa théorie morale et constater les différences profondes qui la distinguent essentiellement de la morale du Portique.

1 Leibnitz, cité par M. Gosselin. - Hist. litt. de Fénelon.-Controv. du Quiét., art. III, SIer, v.

Strom. IV, 23, p. 632. 3 Ibid. VI, 9, p. 777.

CHAPITRE IX

La Gnose et le Stoïcisme.--Conclusion.

L'analyse à laquelle nous venons de soumettre la gnose de Clément nous permet d'en comprendre la nature et de mettre en relief les traits essentiels qui la distinguent soit de la gnose hérétique, soit de la sagesse stoïcienne.

La première différence, la plus profonde, celle d'où dérivent toutes les autres, est le principe même de la perfection morale, ou si l'on veut, la nature du souverain bien et de la vertu. Bien que la définition qu'en donne Clément soit, dans les termes, semblable à la définition adoptée par le Portique et le Gnosticisme, il se cache, comme nous l'avons dit, sous cette apparente similitude des formules, une doctrine radicalement contraire.

Pour les stoïciens la fin de l'homme est la vertu et la vertu consiste à vivre selon la raison ou conformément à la nature. Quel est le sens de cette formule? Cela signifie d'abord, dans la théorie stoïcienne, que la nature et la raison se confondent dans notre âme; que la nature de l'homme, c'est sa raison. « La raison, dit Diogène Laërce,

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appartenant aux êtres les plus parfaits, vivre suivant la raison, c'est pour les stoïciens vivre suivant la nature. << Car la raison agit comme auteur de leur penchant '. »

Diog. Laer., VII, 86.

Mais qu'est-ce que la raison qui est la nature de l'homme, qui est l'homme tout entier. La raison de l'homme n'est autre chose que la raison absolue.

Pour les stoïciens le monde est Dieu. De même, dit Cornutus, le maître de Perse, que nous sommes gouvernés par notre âme, de même le monde a une àme qui l'embrasse tout entier. C'est elle qu'on appelle Jupiter; c'est elle qui vit dans toutes les parties du monde, et qui donne la vie à tous les êtres1. Jupiter, ditil ailleurs, est appelé le père des dieux et des hommes, parce que la nature du monde est la cause de leur sub* stance 2. »

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Or notre âme est un fragment, une émanation de l'âme du monde. Le monde des stoïciens est animé, dit Diogène Laërce; on le voit par notre âme, qui en est une portion. Sénèque dit à son tour: « L'âme du sage est un dieu, hôte d'un corps humain. - La raison n'est rien autre chose qu'une portion de l'esprit divin enseveli dans un corps d'homme ".-Notre raison est émanée de la raison divine; elle lui est identique 6. »

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L'on comprend maintenant le sens du principe stoïcien. Suivre sa raison, suivre sa propre nature, ou suivre la raison divine, c'est une seule et même chose. Nous sommes ainsi à nous-mêmes la règle du bien par notre raison qui est tout l'homme; et pour bien vivre, il s'agit uniquement de distinguer les penchants factices et étrangers à la raison, des inclinations que nous dicte la nature. Ainsi, tout en

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reconnaissant la nature divine du bien absolu, les stoïciens ne le considéraient pas pour cela comme une loi supérieure à l'homme, l'homme étant, à leur sens, une émanation de Dieu 1.

Nous avons établi que la morale du Gnosticisme hérétique reposait sur le même principe de l'émanatisme, ce qui faisait dire à saint Jérôme dans son Epitre à Ctesiphon: «Y a-t-il une témérité comparable à la prétention de s'arroger, je ne dis pas la ressemblance, mais l'égalité avec Dieu, et de concentrer ainsi dans une seule proposition «<le venin de toutes les hérésies qui ont leur source dans les systèmes des philosophes, principalement de Pytha"gore et de Zénon 2?»

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L'on sait combien Clément était opposé à cet excès d'impiété, comme il dit lui-même, et avec quelle force il établit la différence essentielle de nature entre Dieu et l'âme humaine. La formule qu'il emprunte aux stoïciens afin de traduire l'enseignement des saints livres, dans une langue connue des philosophes, a donc dans sa bouche et sous sa plume un sens tout différent. Pour lui, vivre conformément à la raison, c'est vivre conformément à la raison divine, au Verbe incarné. Sans doute, c'est vivre aussi conformément à la raison humaine, mais à la raison humaine éclairée par la raison divine, dont elle est l'image et à laquelle elle emprunte avec sa lumière la règle de ses jugements. Ainsi, d'après Clément, nous ne sommes pas à nous-mêmes la règle du bien. Le bien absolu est une loi réellement supérieure à l'homme, c'est la nature de Dieu : cette loi nous est notifiée naturellement par le Verbe créateur, se manifestant à notre raison comme auteur de notre

'Cf. Félix Robiou, De l'Influence du stoïcisme, etc., p. 46-50. Hieron., Init, epist. ad Ctes, adv. Pel.

nature et surnaturellement par le Verbe réparateur, se révélant et se communiquant à nous comme auteur de la gràce.

A cette première et fondamentale différence, se rattachent des conséquences non moins opposées dans le développement des deux théories.

L'homme, selon les stoïciens, étant tout entier dans sa raison, il s'ensuit, comme nous l'avons remarqué, que l'intelligence se confond avec la volonté, et que, pour vouloir le bien, il suffit absolument et toujours de le connaître. Cette doctrine, que nous retrouvons dans le Gnosticisme hérétique, tient aux entrailles du système stoïcien. Aussi se rencontre-t-elle dans les philosophes les plus raisonnables et les plus modérés du Portique. Nous n'ajouterons, pour établir ce point, qu'un nouveau témoignage à ceux que nous avons produits. Dans sa cinquième Tusculane, Cicéron, parlant en disciple de Zénon, dit entre autres choses : « L'esprit humain, fragment de l'àme divine (decerptus ex mente divina), ne peut être comparé qu'à Dieu, si toutefois cela est permis; si donc notre

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esprit est assez cultivé, si sa vue est assez forte pour

n'être point obscurcie par des erreurs, il devient une

« âme parfaite, c'est-à-dire cette raison complète qui est la même chose que la vertu'. »

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Ainsi, selon les stoïciens, comme le remarque M. Ravaisson 2, la vertu ne procède que de la raison et ne tient rien d'aucune autre chose inférieure ou supérieure. Et comme elle n'est qu'une science, elle ne se perd plus une fois qu'elle est acquise.

Tusc. V, 13.-Virtus, dit Sénèque (Ep. 68), virtus non aliud quam recta ratio est. Et encore (Ep. 31): Quid ergo est bonum? Rerum scientia. Quid malum est? Rerum imperitia.

Essai sur la Métaph, d'Aristote, t. II, p. 198-199.

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