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CHAPITRE III

Origine de la philosophie grecque et des connaissances humaines.

Pour expliquer l'origine des vérités contenues dans la philosophie grecque, Clément a recours à deux opinions qu'il emprunte, l'une à l'école juive d'Alexandrie, l'autre à saint Justin et à quelques autres Pères, ses prédécesseurs.

Le Juif Aristobule, qui vivait au 1° siècle avant l'ère chrétienne, avait, dans un but de prosélytisme, cherché à établir la supériorité de la religion des Juifs sur la philosophie des Grecs, en montrant que ces derniers avaient emprunté aux livres saints leurs enseignements les plus vrais, leurs plus belles pensées, et que Platon et Pythagore, en particulier, avaient largement puisé à cette source sacrée. Clément nous a conservé un fragment d'un traité d'Aristobule, dédié à Ptolémée Philométor, où cette opinion est clairement professée. « Platon lui-même, y est-il dit, s'est approprié les principes de notre législation, et il est évident qu'il en étudia sérieusement et avec le plus grand soin tous les articles. Avant Démétrius de Phalère et la version des Septante, avant la domination des Perses et la conquête d'Alexandre, un autre interprète avait déjà traduit de nos saints livres les passages qui traitent, soit de la sortie d'Égypte, soit de tous les événements remarquables dont nos ancêtres ont été les témoins ou les acteurs, soit de la conquête de la terre promise, soit de

l'exposition de notre législation entière. En sorte qu'il est évident que Platon a puisé largement à cette source, car il avait beaucoup d'érudition. Pythagore fit aussi entrer dans sa philosophie un grand nombre de vérités empruntées à nos livres '.

Cette opinion d'Aristobule fut universellement adoptée, tant par les juifs que par les chrétiens. Parmi ceux qui cherchèrent à l'établir et à la faire prévaloir, Clément cite Philon le Juif, qu'il appelle pythagoricien 2, Mégasthène. qui fleurit sous Séleucus Nicator 3, Numénius, selon qui Platon était un Moïse parlant grec 4. Il ajoute qu'il pourrait en citer un grand nombre d'autres, dont il n'omet les noms que pour plus de brièveté. Eupolème, dit-il ailleurs, dans son ouvrage sur les rois juifs, déclare que Moïse fut le premier sage, et que le premier il enseigna aux Juifs la science de la grammaire, que les Juifs transmirent cet art aux Phéniciens et ceux-ci aux Grecs.

Clément n'hésite pas à adopter pour son propre compte cette croyance commune à tous les Pères, ses prédécesseurs et ses contemporains 6. Il applique aux philosophes le texte de saint Jean (X, 8): «Tous ceux qui sont venus avant moi et se sont donné la mission d'enseigner la vérité aux hommes sont des voleurs et des larrons. Les philosophes, aussi bien que les faux prophètes, ont été des voleurs, parce qu'ils se sont approprié des vérités qu'ils avaient puisées ailleurs que dans leur propre fonds, et les

1 Strom. I, 22, p. 410.

2 Ibid.

3 Ibid.

15, p. 360,-Cf. Phil., De Vita Mosis, lib. II.
p. 360.

* Τί γάρ ἐστι Πλάτων ή Μωτής αττικίζων;— Strom. I, 22, p. 411.
5 Strom. 1, 23.

Cf. S. Just., Cohort. ad gentes, 15. — Tatian, Adv. Græc., passim.-Tertull., Apolog, 47, et De Anima, 2.-Les Gnostiques eux-mêmes refusaient aux Grecs le mérite de l'invention de la philosophie et de la découverte des vérités qu'elle contient.-Strom. VI, 6, p. 767.

ont dénaturées d'une manière sophistique, afin de s'en faire croire les inventeurs.» Ce n'est pas cependant qu'il leur ait été impossible de rien trouver par eux-mêmes; car ils ont pu, eux aussi, recevoir de Dieu l'esprit d'intelligence. S'appuyant sur l'autorité de Tatien, de Cassien le gnostique, et sur les aveux d'Appien, si connu par la haine qu'il portait aux Juifs, il établit longuement par la chronologie que la doctrine contenue dans les livres sacrés des Juifs est bien antérieure à l'existence des sectes philosophiques les plus anciennes. Il consacre à cette discussion chronologique une grande partie du livre premier des Stromates 2. Là il se plaît à démontrer longuement aux Grecs, si fiers de leur civilisation et de leur culture intellectuelle, que leur sagesse n'était pas autochthone; que leurs premiers instituteurs et la plupart de leurs sages étaient d'origine barbare, que leurs plus illustres philosophes, avant de se faire un nom, commencèrent par s'instruire chez les nations barbares, recueillirent leurs traditions, et se firent initier aux doctrines les plus mystérieuses des sanctuaires. Platon, cet ami de la vérité, en fait l'aveu pour lui-même, et ne craint pas de déclarer qu'il est allé s'instruire en Égypte. « La Grèce est grande,

Cébès! dit-il dans le Phédon, et elle renferme des hommes doués de mille qualités; mais les peuples barbares sont nombreux aussi. » Dans le Timée, il nous montre le sage Solon recevant des leçons d'un barbare, qui lui dit : Solon, Solon, vous autres Grecs, vous n'êtes que des enfants; il n'y a pas un vieillard parmi vous, car vous n'avez pas de doctrine vénérable, ni blanchie par le temps 3. »

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Strom. I, 17, p. 363.-Cf. V, 1, p. 650; I, 20, p. 377.

2 Ibid.

3 Ibid.

1, 21, 22, p. 378-411.

I, 15, p. 855-356.

Après cela, Clément croit pouvoir regarder Platon comme un philosophe hébreu '. Ce philosophe, dit-il, a appris la géométrie des Égyptiens, l'astronomie des Babyloniens: les Assyriens lui ont fourni beaucoup d'autres connaissances, et les Hébreux ce qu'il a écrit de vrai sur Dieu et sur les lois; car il consulta les livres de l'Ancien Testament traduits par le prêtre Esdras, vers le temps d'Artaxerce, roi des Perses 2. Clément ajoute que les philosophes grecs, non-seulement n'ont pas craint de ravir le bien d'autrui et de s'enrichir des doctrines barbares et étrangères, mais encore qu'ils se sont pris mutuellement leurs propres pensées; c'est donc à juste titre qu'on peut leur appliquer la parole de l'Évangile. Ils furent en toutes choses d'insignes plagiaires (zhéntai másnę ypaṣñs), et c'est bien à tort qu'ils prétendent au mérite de l'invention et de l'originalité en toutes choses 3.

La critique moderne semble peu favorable, pour ne pas dire tout à fait contraire à l'opinion adoptée et défendue ici par Clément d'Alexandrie avec un grand luxe d'érudition.

Le plan et le dessein de ce travail ne nous permettent pas de discuter à fond et de trancher cette importante et difficile question d'histoire. Nous croyons cependant que les monuments les plus authentiques nous autorisent à dire que, si la thèse de Clément n'est pas entièrement admissible, il n'y a pas moins d'exagération à revendiquer. comme on l'a fait souvent, pour la philosophie grecque une originalité complète. Sans doute, toutes les pensées développées par notre saint docteur, toutes les preuves

10 Eбpaior pikócopos. Strom. I, 1, p. 321.

Coh. ad Græc., p. 60.

3 Strom. VI, 4, p. 759.

4 « La tradition et l'autorité, dit M. Franck, ne jouent, dans les syste ines de la philosophie grecque qu'un rôle tout à fait secondaire, quand,

qu'il invoque en faveur de son opinion ne sont pas incontestables; sans doute, les rapprochements qu'il a voulu établir entre la doctrine des livres saints et la philosophie grecque sont souvent peu fondés. Il a eu le tort d'accepter avec trop de confiance, sur ce point, le témoignage suspect de l'école juive. Pour ce qui concerne Platon en particulier, il en fait trop facilement un philosophe chrétien, et lui prête, notamment sur la création et la Trinité, des doctrines qu'il n'a pas professées. Nous croyons enfin qu'il serait difficile d'établir d'une manière invincible, comme le prétend Clément après Aristobule, que Platon et Pythagore, et les autres philosophes grecs, ont eu entre les mains les livres de Moïse et des prophètes, et qu'il a existé une traduction de ces livres avant celle des Septante 1.

« Ces réserves faites, dirons-nous avec un estimable écrivain 2, la propagation dans le monde ancien des traditions et des doctrines hébraïques, le passage des philosophes grecs dans les contrées où elles étaient répandues, leur contact avec les Juifs et avec ces doctrines, l'influence de ces dernières sur leurs idées et sur certains détails de leurs systèmes nous paraissent indubitables..... A ce point de vue, nous admettons la comparaison de

par hasard, elles y jouent un rôle ; c'est au nom de la raison que ces philosophes s'adressent à leurs semblables,... et, loin de s'abriter ou de s'effacer derrière quelque tradition séculaire, ils se font gloire de leur génie, ils mettent leur orgueil dans la nouveauté et dans la hardiesse de leurs doctrines... Cependant, cette originalité, cette fécondité dont nous parlons ont été vivement contestées à la philosophie grecque. On a prétendu que ses systèmes les plus célèbres, que ses doctrines les plus admirées par leur singularité ou leur élévation ne sont que des importations de l'Orient, déguisées avec plus ou moins d'adresse sous une forme nouvelle... Cette assertion n'a pour appui aucun fait positif, aucun témoignage contemporain des philosophes qu'elle dépouille de leur génie. (Dictionn. des sciences philosophiques, V. Philos. gr., t. IV, p. 588-590.) 1 Cf. Glaire: Introduction historique et critique aux livres de l'Âncien et du Nouveau Testament, t. I, p. 212-214.

2 M. l'abbé Hébert-Duperron. Essai sur la polémique et la philosophie de Clément d'Alexandrie,

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