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Imprimerie Bonaventure et Ducessois, 55, quai des Grands-Augustins.

PRÉFACE.

Ces Leçons sur une partie de l'histoire littéraire du moyen âge furent un premier essai facile à surpasser, mais dont l'influence n'a pas été inutile au progrès des mêmes études aujourd'hui plus répandues. Pour la première fois, dans une chaire française, on entreprenait l'analyse comparée de plusieurs littératures modernes qui, sorties des mêmes sources, n'ont cessé de communiquer ensemble, et se sont mêlées à diverses époques. De là sans doute devait résulter un synchronisme d'idées non moins curieux que celui des événements, et qui, marqué d'abord dans le travail du langage, dans l'œuvre de l'esprit humain pour défaire et reconstruire un idiome, se retrouvait avec plus d'éclat dans les autres créations de l'intelligence. Une telle analyse, à la vérité, pour avoir tout l'intérêt qu'elle peut offrir, aurait besoin d'être complète; mais comment y parvenir? L'examen simultané des littératures de l'Europe chrétienne serait une tâche infinie; et cependant il y manquerait un grand côté du monde, l'Orient.

Limitée aux peuples, non de toute l'Europe chrétienne, mais seulement de l'Europe latine, la carrière est très-vaste encore; et je n'en ai parcouru que les points principaux. Toutefois, dans cet examen rapide, aux deux Frances du Midi et du Nord, à l'Italie et à l'Espagne, toutes contrées qu'a si profondément pénétrées la conquête de l'ancienne Rome et la religion de la

nouvelle, j'ai réuni l'Angleterre, dont l'idiome, greffé de branches romanes sur sa vieille souche teutonique, est mixte comme le génie anglais, unissant à la pompe poétique la précision et la rapidité.

En dehors du développement de chacun de ces idiomes, le latin, qui, comme langue morte, leur a donné naissance, les suit et les domine encore, comme langue `artificiellement contemporaine; mais, sous ce rapport, j'ai dû plutôt en retracer l'influence générale qu'en discuter les productions dégénérées. C'était, en effet, de la formation du génie moderne que je m'occupais; et ses traits véritables, sa croissance et sa physionomie n'apparaissent avec toute leur originalité que dans les idiomes nouveaux. J'ai donc rarement parlé des nombreux écrits composés en langue latine, avant la naissance ou pendant les longs bégayements de nos idiomes dérivés du latin.

En étudiant l'Histoire littéraire de France des Bénédictins, on est surpris d'y trouver, parmi nos anciens auteurs français, Cornelius Gallus et Germanicus. Mais, sans faire remonter aussi loin la généalogie de notre littérature, on n'en doit pas trouver moins ingénieuse et moins solide une étude qui s'attache à découvrir, sous le vêtement latin des premiers siècles du moyen âge, les linéaments et les indices de l'esprit français. En ce sens et sous cette forme, un très-précieux chapitre de notre histoire littéraire peut embrasser une époque dont les monuments primitifs ne renfermaient encore aucune trace du langage français. Tel est, en partie, l'objet de la belle Introduction publiée par M. Ampère, et si justement honorée d'une distinction récente. Mais, à part cette langue latine qui formait l'idiome savant de la chrétienté du moyen âge, et qui, sous ce rapport, mériterait d'être étudiée, non pas chez une nation isolée, mais chez plusieurs à la fois, les langues nouvelles offrent cet intérêt plus spécial et plus grand de caractériser la formation

des peuples nouveaux; car une langue est une civilisation. La langue latine du moyen âge représentait moins un peuple qu'une société supérieure et générale empruntée à tous les peuples, cette société que saint Bernard appelle quelque part omnis latinitas, et qui s'étendait, pour les choses religieuses, depuis la Scandinavie jusqu'à Rome. Mais les sociétés distinctes qu'on appelle des peuples se manifestaient surtout dans le développement et le progrès de la langue que chacune d'elles s'était faite; et ce résultat ne semble-t-il pas confirmé par le hasard qui fit naître le premier grand poëte des âges modernes chez la nation dont l'idiome, issu presque tout entier du latin, s'est trouvé le plus naturellement et le plus tôt formé, comme un arbre nouveau sortant du pied d'un autre arbre?

Depuis l'étude que j'avais essayée sur Dante, un de mes plus savants confrères, critique aussi varié que profond philologue, a éclairé la même question d'une bien autre lumière. Quelques-uns des points que j'avais touchés dans l'histoire de notre vieille littérature française, ont également donné lieu à des recherches plus curieuses ou plus précises. De nombreux matériaux, encore inédits il y a quelques années, ont été publiés; et cependant, loin qu'on puisse écrire déjà l'histoire complète de notre littérature au moyen âge, on n'en a pas encore dressé l'inventaire, qui s'accroît chaque jour. La langue même du xiro et du xe siècle, longtemps mal sue parce qu'on n'y supposait pas de règles fixes, n'a été ramenée à ces règles nécessaires que par des travaux tout récents. La première grammaire critique de notre vieille langue, ouvrage posthume d'un jeune et regrettable érudit, n'est publiée que depuis peu de temps, et n'a pas encore obtenu l'estime qu'elle mérite, en facilitant l'étude de cette poésie des Trouvères, trop vantée pour le génie, mais instructive pour l'histoire.

Beaucoup reste à faire encore dans chaque partie de l'histoire littéraire du moyen âge. Il y a tout à la fois des faits inconnus à découvrir, et des systèmes prématurés à détruire. L'objet de ce Cours était moins étendu; mais, en réunissant sous un point de vue comparé les premiers développements de l'esprit humain dans une partie de l'Europe au moyen âge, en montrant leur unité et leur diversité, un travail même incomplet devient utile par les études qu'il fait naître et la curiosité qu'il excite. C'est ainsi que ces Leçons, accueillies, il y a bien des années, par un nombreux auditoire, et plusieurs fois publiées en France et à l'étranger, ont atteint leur but, lors même qu'elles sont aujourd'hui dépassées. En les corrigeant avec soin, et en y ajoutant quelques recherches nouvelles, j'ai tâché seulement de rester fidèle à l'amour de la vérité et de l'art qui les avait d'abord inspirées.

Août 1840.

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