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philosophie, les Pères avouent que Pythagore et Platon ont singulièrement altéré et mutilé le dogme de la résurrection qu'ils avaient trouvé dans les traditions du genre humain1. Saint Augustin cite un passage de Varron où il est question de certains astrologues qui prétendaient que les hommes renaissent après 440 ans et reprennent le même corps qu'auparavant 2. Mais il reconnaît que ces sortes d'assertions, traitées de rêveries et d'impostures, n'ont jamais été ni émises sérieusement ni discutées. Platon admet un jugement individuel après la mort, mais nulle part il ne fait mention d'un appel général du genre humain au tribunal de Dieu. Sénèque, nous l'avons vu, ne croyait pas même à ce jugement qui attend l'âme au sortir du corps; comment donc peut-on trouver dans ses écrits quelque allusion au jugement dernier et général? Lactance cite de lui une phrase détachée d'un ouvrage disparu où il dit en parlant de la mort prématurée: « Ne comprends-tu pas l'autorité et la majesté de ton juge, maître de la terre et du ciel, Dieu des dieux, cause unique d'où dépendent ces divinités que nous adorons comme éternelles3? » Mais que peut-on inférer d'un fragment que rien n'explique, dont le vrai sens n'est déterminé par rien, et que Lactance cite dans toute autre intention que de prouver la croyance de Sénèque au jugement dernier? En le prenant dans le sens le plus chrétien, on ne pourrait y voir

'Minucius Felix, Oct. 34.

2 De civ. Dei, 1. XXII, ch. xxvIII.

3

<< Annæus quoque Seneca, qui ex Romanis vel acerrimus stoïcus fuit, quam sæpe summum Deum merita laude prosequitur ! Nam cum de immatura morte dissereret, « Nonne intelligis, inquit, auctoritatem ac majes tatem judicis tui, rectoris orbis terrarum cœlique, et deorum omnium Dei, a quo ista numina, quæ singula adoramus et colimus, suspensa sunt? » Div. Inst. 1, 5.

qu'une sorte d'opinion platonicienne sur le jugement individuel. Mais nous repoussons même cette interprétation qui est condamnée par la doctrine de Sénèque et par tous ses écrits. On ne soutiendra pas, je pense, qu'un fragment isolé et d'une signification douteuse prouve seul contre plusieurs volumes;

Si l'on veut savoir comment la philosophie a parlé du jugement particulier, lorsqu'elle se rapproche le plus du christianisme, on peut relire cette page du Gorgias où l'âme humaine est représentée devant son juge, sans appuis, sans défenseurs, dépouillée de toute vaine pompe, et de tous les voiles de la dissimulation : elle porte la marque de ses penchants vicieux, la souillure de ses crimes; elle est cicatrisée de mensonges, de fraudes, d'injustices; elle a les monstruosités de l'orgueil, de la cruauté, de la débauche; en cet état, elle apparaît sous un regard sévère et inquisiteur, et entend la sentence qui la condamne à une expiation éternelle ou temporaire1. On relira encore les dernières 'paroles du même dialogue; Socrate y exhorte ses amis à penser à leurs fins dernières : « J'ajoute, Calliclès, une foi entière à ces discours, et je m'étudie à paraître devant le Juge avec une âme irréprochable. Je méprise ce que la plupart des hommes estiment ; je ne vise qu'à la vérité, et tâcherai de vivre et de mourir, lorsque le temps en sera venu, aussi vertueux que je pourrai. J'invite tous les autres hommes, et je t'invite toi-même à embrasser ce genre de vie, et à t'exercer à ce combat, le meilleur, à mon avis, de tous ceux d'ici-bas; et je te reproche que tu ne seras point en état de te défendre lorsqu'il faudra comparaître et subir le jugement dont je te parle... Vous trois qui êtes les plus sages Grecs d'aujourd'hui,

'P. 407, éd. de M. Cousin.

vous ne sauriez prouver qu'on doive mener une autre vie que celle qui nous sera utile quand nous serons làbas. Au contraire, de tant d'opinions que nous avons discutées, toutes les autres ont été réfutées; et la seule qui demeure inébranlable est celle-ci, qu'on doit plutôt prendre garde de faire une injustice que d'en recevoir... que si quelqu'un devient méchant en quelque point, il faut le châtier, et qu'après être juste, le second bien est de le devenir, et de subir la punition qu'on a méritée..... Rends-toi donc à mes raisons, et suis-moi dans la route qui te conduira au bonheur, et pendant ta vie et après ta mort. Souffre qu'on te méprise comme un insensé, qu'on t'insulte, si l'on veut, et même laisse-toi frapper volontiers de cette manière qui te paraît si outrageante. Car il ne t'en arrivera aucun mal, si tu es solidement homme de bien et dévoué à la culture de la vertu1. » Pulcherrime dicta, et capiunt me recitantem2!

L'examen de la métaphysique et de la théologie, dites chrétiennes, de Sénèque est terminé. Deux mots le résument: 1° Sénèque, dans toutes les questions examinées, est un interprète fidèle du stoïcisme, acerrimus stoïcorum, comme dit Lactance. 2° Sur tous les points, sans exception, Platon est beaucoup plus près du christianisme que Sénèque. La raison en est simple: Sénèque suit ouvertement la doctrine du panthéisme, et ses opinions particulières dérivent de ce principe.

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CHAPITRE XI.

De la morale chrétienne de Sénèque.- Rapprochements dont la fausseté ou la frivolité est évidente. Maximes banales sur la vertu, la conscience, la mort, les richesses, les passions.

Commençons par quelques rapprochements évidemment faux, et par des citations sans valeur et sans portée, sur lesquelles il est superflu d'insister. Cet examen préalable dégagera les points essentiels de la comparaison 1.

1. Rapprochements de mots. Comparaisons, métaphores, etc.-Saint Paul, dans l'Epître aux Ephésiens, parle en ces termes de la vertu divine, c'est-à-dire de la puissance de Dieu qui a ressuscité Jésus-Christ d'entre les morts et l'a fait asseoir dans le ciel au-dessus des Principautés et des Dominations : « Ut sciatis, quæ >> sit supereminens magnitudo virtutis ejus (τò útépбaλ» λον μέγεθος τῆς δυνάμεως αὐτοῦ εἰς ἡμᾶς), in nos qui >> credidimus... quam operatus est in Christo, suscitans » illum a mortuis, et constituens ad dexteram suam in >> Cœlestibus, supra omnem Principatum, et Potesta» tem, et Virtutem, et Dominationem, et omne noSénèque définit quelque part la vertu, en l'opposant à la volupté : « Altum quiddam est virtus, excelsum, regale, invictum, infatigabile: voluptas, humile, servile, imbecillum, caducum... nihil virtute præstantius 3... » Quel rapport peut-on aperce

>> men

2

...

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1 On trouvera les rapprochements essayés entre Sénèque et saint Paul dans Scholl (Litt. rom. n), M. Durozoir (Sénèque Panckoucke) t. vi; M. Greppo (trois Mémoires), Th. Morell (Epit. à Lucil, trad. en anglais), et dans M. Fleury, t. I, p. 23-125.

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voir entre ces attributs de la sagesse stoïcienne, et la puissance de Dieu, ou la majesté de son Fils? Il n'y a pas l'ombre de ressemblance, ni pour le fond, ni pour la forme. Il eût été facile, ce semble, de trouver matière à quelque comparaison plus ingénieuse dans les nombreux éloges de la vertu, que renferment les livres sacrés et les livres profanes; il est vrai que l'abondance des textes et la facilité des rapprochements en détruit l'intérêt pour ce qui est des définitions philosophiques de la vertu, on peut consulter Stobée (Sermo 1), et le recueil des pensées de Cicéron. Nous citerons particulièrement, comme se rapprochant assez des expressions de Sénèque, ces vers d'Horace:

:

Virtus, repulsæ nescia sordidæ
Intaminatis fulget honoribus;
Nec sumit aut ponit secures
Arbitrio popularis auræ.

Virtus recludens immeritis mori
Cœlum, negata tentat iter via ;

Cœtusque vulgares, et udam

Spernit humum fugiente penna. (Od. 2, I. III.)

et ces vers de Ménandre : « Dans la vie, il n'est rien de supérieur à la sagesse... celui qui la possède est magistrat, général, chef du peuple, tribun : le sage est maître de tout:

Οὐκ ἔστιν οὐδέν... ἐν ἀνθρώπου φύσει
μεῖζον λογισμοῦ· τῷ διαθέσθαι πράγματα,
ἕκαστός ἐστι...

ἄρχων, στρατηγός, ἡγεμὼν δήμου, πάλιν

σύμβουλος · ὁ διαφέρων λογισμῷ πάντ' ἔχει '.

Quant à la pensée de saint Paul, on n'en trouvera l'équivalent dans aucun auteur profane.

Parmi les éloges décernés à la vertu, il en est un

1 Fragments de Ménandre, éd. Didot, p. 25.

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