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corrigent l'invraisemblance qu'en sacrifiant la logique. Voici cette forme mitigée et rajeunie, compatible avec la science et susceptible de discussion :

Sénèque a connu saint Paul à Rome; il lui a parlé, lui a écrit, en a reçu des lettres; il a lu ses Epîtres, l'Ancien et le Nouveau Testament; il a estimé le christianisme sans y croire, a plaint ses adeptes sans oser les louer ni les défendre : indécis entre la terre et le ciel, entre l'Evangile et la philosophie, craignant le courroux de l'empereur plus que la perte de son âme, et plus jaloux de sa réputation parmi les hommes que de son salut éternel, il est mort incrédule, se contentant de copier dans ses écrits les maximes des chrétiens sans y conformer sa conduite.

Telle est l'expression la plus récente et la plus ingénieusement calculée de l'ancienne légende; c'est le résumé le plus complet des thèses nombreuses dont elle a été l'objet, aux xvio, xvir et xvIIe siècles, dans le monde chrétien et érudit. Notre dessein est de suivre cette opinion dans tous ses détails, sans rien affaiblir ni rien omettre, et d'en examiner avec scrupule les vraisemblances historiques et les preuves littéraires. S'il est superflu d'insister sur l'authenticité des lettres qui nous sont parvenues et que nul n'ose défendre, nous essaierons du moins d'en fixer l'époque, par l'étude des Pères et des premiers auteurs chrétiens. De ce travail et de cette discussion il résultera, si notre espoir n'est pas vain :

1° Que Sénèque n'a jamais connu personnellement ni saint Paul ni aucun apôtre;

2° Qu'il n'a lu ni les Epîtres de saint Paul, ni aucun livre de l'Ancien et du Nouveau Testament;

3o Que les lettres apocryphes qu'on a conservées, sous le nom de Sénèque et de saint Paul, sont bien

celles qui se lisaient au temps de saint Jérôme et de saint Augustin;

4° Que Sénèque doit les principes de sa philosophie et les maximes de sa morale à lui-même, à ses devanciers, et à l'esprit nouveau qui, en dehors du christianisme, commençait à se répandre dans la société et à préparer l'avénement de la religion chrétienne.

PREMIERE PARTIE.

EXAMEN DES TÉMOIGNAGES HISTORIQUES.

CHAPITRE PREMIER.

La tradition des rapports de Sénèque avec saint Paul est un point particu-lier d'une question générale. Des prétendus emprunts faits aux livres

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saints par la philosophie ancienne.

:

S'il en faut croire une certaine classe de critiques, ingénieux à démêler des ressemblances et à soupçonner des larcins, Sénèque n'est pas le seul philosophe qui soit redevable à l'Ecriture sainte la sagesse ancienne n'a pas un principe assuré en morale et en métaphysique, pas une idée juste sur Dieu, sur la création et le gouvernement de l'univers, sur la nature et les destinées de l'âme qui ne lui soit venue de la Bible et des Juifs; ses plus solides docteurs ne sont que des écoliers vaniteux et ingrats qui s'accordent à mépriser et à taire le nom de leurs maîtres. C'est une sorte de piraterie exercée par l'esprit grec sur les abords de la science orientale; il a enlevé ce qui était à sa convenance et à sa portée, sans pénétrer bien avant, et déguisant ses emprunts, il a montré autant de discrétion que d'adresse dans ce pillage. Ainsi, on nous rappelle que Thalès était originaire de la Phénicie, d'un pays voisin de la Judée et qui envoyait des ouvriers à Salomon pour édifier le temple; on fait voyager Pythagore et Démocrite, jusqu'à un âge fort avancé, en Egypte où le souvenir des Hébreux vivait encore, en Chaldée, à Jérusalem, à Babylone et aux Indes; Aristote, passant en Asie à la suite d'Alexandre, converse avec un Juif de distinc

tion qui lui révèle une doctrine inconnue à l'Académie. Quant à Platon, des livres entiers suffisent à peine à étaler ses plagiats, tant il est vrai que chez les Grecs, penseurs légers, autant que discoureurs habiles, le plus riche est celui qui a le mieux rançonné l'étranger. Saint Clément d'Alexandrie va jusqu'à prétendre que le bouclier d'Achille, décrit par Homère, est une imitation de la Genèse, que plusieurs pensées d'Isaïe se retrouvent dans l'Iliade, et que Miltiade gagna la bataille de Marathon pour s'être formé à l'école stratégique du peuple de Dieu. Cette thèse, agréable aux Juifs, était, si bizarre qu'elle paraisse, un système d'attaque bien entendu et une arme de guerre très-offensive, dans le feu de la dispute et dans la nécessité du combat, lorsque la loi suprême est de faire le plus de mal possible à un pressant adversaire. Il n'est pas étonnant qu'Aristobule, Philon, et, après eux, saint Clément, Origène, saint Justin, Eusèbe, qui avaient à essuyer tout l'effort de la dialectique grecque et tous les sarcasmes de l'ironie philosophique, aient répondu avec passion, avec audace, par des raisons spécieuses et capables d'éblouir solidaires du même passé et poursuivis des mêmes censures, ils usèrent des ressources que l'usage et le péril autorisaient. De là, l'éclat de cette opinion et sa longue fortune. Ce n'est pas ici le lieu de traiter cette question compliquée, et nous n'y toucherons qu'incidemment; notre but était d'en montrer la liaison nécessaire avec le sujet qui nous occupe. Il y a, comme on le voit, parfaite analogie dans l'un et l'autre cas : Thalès, Pythagore, Aristote et Platon, contemporains

'S. Clément, Strom. I. I, ch. xxiv, et l.V, ch. xiv: « Miltiade, général des Athéniens et vainqueur des Perses à Marathon, qui avait étudié la tactique de Moïse, l'imita de la manière suivante : il fit marcher de nuit ses troupes par des chemins impraticables, etc..... »

des grands et des petits prophètes, ont connu leurs doctrines; de même Sénèque, contemporain des apôtres, s'est inspiré du Nouveau Testament. Ainsi se trouve démontrée cette thèse générale, que la philosophie profane doit aux saintes Écritures tous les principes qu'elle peut avouer, toutes les opinions dont elle se glorifie. C'est ce que nous examinerons spécialement en ce qui concerne Sénèque 1.

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'Sur la question générale des emprunts faits aux livres saints par les philosophes grecs, voy. Eusèbe, Préparat. évang., I. X, ch. 1 et iv. L. X, Iv. — L. IX, v.— —L. VIII, XVI. — - S. Clément (Strom.), 1. V, ch. XIV et les vi premiers livres. — Josèphe contre Apion, 1. I, ch. vin. Les Pères latins repoussent ce sentiment ou le défendent avec froideur. - V. Lact., Inst. div., 1. IV, ch. 1. S. Aug., De civ. Dei, I. VIII, ch. xi.

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