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LE LUNDI DES ROGATIONS.

UJOURD'HUI Commence une série de trois jours consacrés à la pénitence. Cet incident inattendu paraît au premier abord une sorte d'anomalie dans le Temps pascal; et néanmoins, quand on y réfléchit, on arrive à reconnaître que cette institution n'est pas sans une relation intime avec les jours auxquels elle se rapporte. Il est vrai que le Sauveur disait avant sa Passion que « durant le séjour de l'Epoux au milieu de nous, il ne serait pas temps de jeûner '; » mais ces dernières heures qui précèdent son départ pour le ciel n'ont-elles pas quelque chose de mélancolique? et n'étions-nous pas portés tout naturellement hier à penser à la tristesse résignée et contenue qui oppresse le cœur de la divine Mère et celui des disciples, à la veille de perdre celui dont la présence était pour eux l'avant-goût des joies célestes?

Il nous faut maintenant raconter comment et à quelle occasion le Cycle liturgique s'est complété, dans cette saison, par l'introduction de ces trois jours durant lesquels la sainte Eglise, toute radieuse qu'elle était des splendeurs de la Résurrection, semble vouloir tout à coup rétrograder jusqu'au deuil quadragésimal. L'Esprit-Saint,

1. Luc. v, 34

qui la dirige en toutes choses, a voulu qu'une simple Eglise des Gaules, un peu après le milieu du ve siècle, vît commencer dans son sein ce rite imposant qui s'étendit rapidement à toute la catholicité, dont il fut reçu comme un complément de la liturgie pascale.

L'Eglise de Vienne, l'une des plus illustres et des plus anciennes de la Gaule méridionale, avait alors saint Mamert pour évêque. Des calamités de tout genre étaient venues désoler cette province récemment conquise par les Burgundes. Des tremblements de terre, des incendies, des phénomènes effrayants agitaient les populations, comme autant de signes de la colère divine. Le saint évêque, désirant relever le courage de son peuple, en le portant à s'adresser à Dieu dont la justice avait besoin d'être apaisée, prescrivit trois jours d'expiation durant lesquels les fidèles se livreraient aux œuvres de la pénitence, et marcheraient en procession en chantant des psaumes. Les trois jours qui précèdent l'Ascension furent choisis pour l'accomplissement de cette pieuse résolution. Sans s'en douter, le saint évêque de Vienne jetait ainsi les fondements d'une institution que l'Eglise entière allait adopter.

Les Gaules commencèrent, comme il était juste. Saint Alcime Avit, qui succéda presque immédiatement à saint Mamert sur le siège de Vienne, atteste que la pratique des Rogations était déjà consolidée dans cette Eglise 1. Saint Césaire d'Arles, au commencement du vie siècle, en parle comme d'une coutume sacrée déjà répandue au loin, désignant au moins par ces paroles toute la portion des Gaules qui se trouvait alors sous le

1. Homil. de Rogationibus.

joug des Visigoths. On voit clairement que la Gaule tout entière ne tarda pas d'adopter ce pieux usage, en lisant les canons portés à ce sujet dans le premier concile d'Orléans tenu en 511, et réuni de toutes les provinces qui reconnaissaient l'autorité de Clovis. Les règlements du concile au sujet des Rogations donnent une haute idée de l'importance que l'on attachait déjà à cette institution. Non seulement l'abstinence de chair est prescrite pendant les trois jours, mais le jeûne est de précepte. On ordonne également de dispenser de leur travail les gens de service, afin qu'ils puissent prendre part aux longues fonctions par lesquelles ces trois jours étaient pour ainsi dire remplis. En 567, le concile de Tours sanctionnait pareillement l'obligation du jeûne dans les Rogations 3; et quant à l'obligation de férier durant ces trois jours, on la trouve reconnue encore dans les Capitulaires de Charlemagne et de Charles le Chauve.

Le principal rite des Eglises des Gaules durant ces trois jours consista, dès l'origine, dans ces marches solennelles accompagnées de cantiques de supplication, et que l'on a appelées Processions, parce que l'on se rend d'un lieu dans un autre. Saint Césaire d'Arles nous apprend que celles qui avaient lieu dans les Rogations duraient six heures entières; en sorte que le clergé se sentant fatigué par la longueur des chants, les femmes chantaient en choeur à leur tour, afin de laisser aux ministres de l'Eglise le temps de respirer. Ce détail emprunté aux mœurs des Eglises des

1. Serm. CLXXII, parmi les Sermons de saint Augustin. 2. Canon XXVII. - - 3. Canon XVII. 4. Serm. CLXXIV. HERBERTUS TURRITANUS, Miracul. lib. 1, c. 21.

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Gaules à cette époque primitive, peut nous aider à apprécier l'indiscrétion de ceux qui, en nos temps modernes, ont poussé à l'abolition de certaines processions qui prenaient une partie notable de la journée, et cela dans l'idée que cette longueur devait être en elle-même considérée comme un abus.

Le départ de la Procession des Rogations était précédé de l'imposition des cendres sur la tête de ceux qui allaient y prendre part, et c'était le peuple tout entier. L'aspersion de l'eau bénite avait lieu ensuite; après quoi le pieux cortège se mettait en marche. La Procession était formée du clergé et du peuple de plusieurs églises d'un rang secondaire, qui marchaient sous la croix d'une église principale dont le clergé présidait la fonction. Tout le monde, clercs et laïques, marchait nupieds. On chantait la Litanie, des Psaumes, des Antiennes, et l'on se rendait à quelque basilique désignée pour la Station, où l'on célébrait le saint Sacrifice. Sur la route on visitait les églises qui se rencontraient, et l'on y chantait une Antienne à la louange du mystère ou du saint, sous le titre duquel elles avaient été consacrées.

Tels étaient à l'origine, et tels ont été longtemps les rites observés dans les Rogations. Le Moine de Saint-Gall, qui nous a laissé de si précieux mémoires sur Charlemagne, nous apprend que le grand empereur, en ces jours, quittait sa chaussure comme les plus simples fidèles, et marchait nu-pieds à la suite de la croix, depuis son palais jusqu'à l'église de la Station 1. Au XIII° siècle, sainte Elisabeth de Hongrie donnait encore le même exemple; son bonheur était, durant les

I. De rebus bellicis Caroli Magni, cap. xvI.

Rogations, de se confondre avec les plus pauvres femmes du peuple, marchant aussi nu-pieds, et couverte d'un grossier vêtement de laine 1. Saint Charles Borromée, qui renouvela dans son Eglise de Milan tant d'usages précieux de l'antiquité, n'eut garde de négliger les Rogations. Par ses soins et par ses exemples, il ranima dans son peuple l'ancien zèle pour une pratique si sainte. Il exigea de ses diocésains le jeûne pendant ces trois jours, et il l'accomplissait lui-même au pain et à l'eau. La Procession, à laquelle tout le clergé de la ville était tenu d'assister, et qui commençait par l'imposition des cendres, partait du Dôme au point du jour, et ne rentrait qu'à trois ou quatre heures après midi, ayant visité le lundi treize églises, neuf le mardi, et onze le mercredi. Le saint Archevêque célébrait le saint Sacrifice dans une de ces églises, et adressait la parole à son peuple 2.

Si l'on compare le zèle de nos pères pour la sanctification de ces trois journées avec l'insouciance qui accompagne aujourd'hui, surtout dans les villes, la célébration des Rogations, on ne saurait manquer de reconnaître ici encore une des marques de l'affaiblissement du sens chrétien dans la société actuelle. Combien cependant sont importantes les fins que se propose la sainte Eglise dans ces Processions auxquelles devraient prendre part tant de fidèles qui ont des loisirs pieux, et qui, au lieu de les consacrer à servir Dieu par œuvres de la vraie piété catholique, les consument dans des exercices privés qui ne sauraient ni attirer sur eux les mêmes grâces, ni apporter à la communauté chrétienne les mêmes secours d'édification!

les

1. SURIUS, ad diem xix Novembris. - 2. GIUSSANO, Vie de saint Charles Borromée.

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