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l'aperçoive; ce scélérat se trouve alors le second, et à la place de la victime qu'il a désignée lui-même; le brigand, qui est en embuscade, s'élance contre lui, d'après sa consigne, et lui enfonce le poignard dans

le cœur.

Le généreux caporal, qui, par son heureuse adresse, sauve ainsi son maître, est un des meilleurs rôles de la pièce : il tient un peu de la farce, sans cependant donner dans le bas ; il égaie la scène, attristée par les gémissemens de la comtesse, les déclamations de son vieux père aveugle, et l'épouvante qu'inspirent les deux bandits: M. Corse joue ce personnage d'une manière très-comique. On peut regarder comme des rôles inutiles ceux du fils et du père de la comtesse ils ne sont même vraisemblables ni l'un ni l'autre. M. Tautin ne manque pas de noblesse dans le personnage du bon mari; mais il a peu de chaleur, et son organe est fort ingrat. Le mauvais mari n'est pas mauvais acteur, et son rôle n'est pas difficile à jouer : son camarade a un physique peu avantageux; mais il possède quelques lazzi de voleur et d'assassin qui font frémir.

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Si cette pièce était traduite en style tragique, si on ennoblissait les personnages, et qu'on leur donnât la couleur philosophique et sentimentale, elle serait beaucoup plus digne du Théâtre - Français que la plupart des nouveautés qu'on y essaie : il faudrait, pour cela, faire du mauvais mari, non pas un vil scélérat, mais un homme jaloux et passionné, qui éprouve des remords, et qui sent se réveiller son amour pour la femme qu'il a outragée ; il deviendrait intéressant tout en commettant les mêmes crimes: la trahison, l'assassinat ne sont rien dès qu'on est

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COURS DE LITTÉRATURE DRAMATIQUE. bien amoureux et qu'on se venge d'un rival: c'est la première loi du code dramatique moderne, dont l'objet est de réformer les mœurs et d'inspirer la vertu (1). (27 nivose an 11.)

(1) Le Corneille des boulevards n'a jamais mieux fait depuis.

(Note de l'Éditeur.)

LA NAISSANCE D'ARLEQUIN,

OU

ARLEQUIN DANS UN OEUF.

L'OEUF d'Arlequin amuse depuis deux mois la capitale de la raison, des lumières et du goût, au centre même de la philosophie: c'est qu'il n'y a vraiment rien de plus philosophique que de s'amuser, et les livres des philosophes sont à cet égard très-inférieurs à l'œuf d'Arlequin.

La littérature est un commerce où l'on ne fait quelque bénéfice que sur le grand nombre de chalans; or, l'esprit et la raison sont des denrées d'un faible débit: le Misanthrope, les Femmes savantes, l'Avare, l'École des Femmes, ne font point gagner d'argent aux comédiens : le Joueur, Turcaret, la Métromanie, le Méchant, le Glorieux, se représentent dans le désert; on n'en comprend même plus les plaisanteries ni les finesses; on ne sait ce que tout cela veut dire mais on se porte en foule à des folies, à des parades du boulevard; on en saisit parfaitement tout le sel : une pareille littérature est à la portée du grand nombre.

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Cette décadence se faisait sentir long-temps avant la révolution : les Janot, les Pointu, les Barogos étaient les délices de la bonne compagnie. En tout temps et en tout pays, le Fagotier doit plaire à la

multitude plus que le Misanthrope; après cela, jeunes auteurs, soyez fiers des succès du théâtre; dites: Ma pièce est bonne, car on y va: elle est bonne sans doute, mais c'est pour le directeur et pour vous.

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Les lumières du siècle pénètrent bien peu dans la masse des citoyens tout ce que le peuple peut recueillir de la moderne philosophie, se réduit à quelques aphorismes plus propres à le corrompre qu'à l'éclairer il lui revient, par exemple, que les gens d'esprit ont découvert qu'il n'y a de Dieu que l'argent; que la religion est pour les sots et les dupes, autrement dit, pour le peuple ; qu'on n'est heureux et considéré qu'autant qu'on est riche, et qu'il faut tout faire pour le devenir. Sur cet article, le peuple est philosophe autant qu'un ci-devant académicien; mais ces grands principes ne lui forment pas le goût, et toute sa philosophie n'empêche pas qu'il ne s'amuse de niaiseries et de sottises.

Les fables de la mythologie ancienne, qu'on a grand soin d'apprendre aux jeunes demoiselles, ne sont pas beaucoup plus raisonnables que nos féeries; mais elles ont été embellies par de grands poëtes. On y trouve que les deux jumeaux de la fable, Castor et Pollux, sont nés d'un ceuf, qui n'était pas plus gros que celui dont sort Arlequin. Leur naissance était moins extraordinaire, puisque leur père était un cygne mais Arlequin n'a ni père ni mère ; on ne sait d'où vient cet oeuf ni qui l'a pondu. Celui qu'Arlequin appelle son petit papa, est un grand magicien, unique créateur de l'oeuf sans aucun secours étranger; c'est un Jupiter qui n'a point de Léda.

Cet œuf est à peu près tout ce qu'il y a de neuf dans la pièce; c'est l'œuf qui fait le succès. Dans les an

ciennes pantomimes de Nicolet, on ne voit autre chose qu'un Arlequin avec un petit chapeau de Fortunatus et une batte enchantée, qui enlève une fille par la vertu magique, et sait échapper à toutes les poursuites de l'amant et du père. Il y a même dans ces vieilles pantomimes beaucoup plus d'incidens, de merveilleux et de comique que dans le nouveau mélodrame; mais il n'y a point d'œuf.

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Le premier acte de la Naissance d'Arlequin est employé tout entier aux préparatifs de cette naissance mystérieuse : les fées, les génies, les esprits bons et mauvais se rassemblent. Il y a beaucoup de marches, beaucoup de choeurs et de fracas; le magicien est fort long-temps à accoucher; mais aussi, lorsque Arlequin sort de la coquille, il est déjà grand et fort une bonne fée lui donne pour ses étrennes un chapeau qui le rend beau comme le jour, un anneau enchanté avec lequel il peut se transporter où il veut ; et son papa le magicien lui fait présent de tablettes où il pourra lire son devoir dans les cas douteux : ce qui suppose que le nouveau né sait déjà lire. Muni de ce précieux équipage, Arlequin part pour la conquête des états d'Alfregonde, méchante fée dont le destin lui a réservé la punition.

Le jeune conquérant n'a point de talisman contre les charmes de l'amour. Alfregonde, sorcière consommée dans son art, le fait aborder dans une île remplie de jolies filles qui dorment: Arlequin ne peut pas même les réveiller par ses caresses. Alfregonde se présente à ses yeux après lui avoir ravi ses tablettes qu'il a oubliées dans sa voiture : elle lui fait accroire qu'il est roi, et qu'il a droit de choisir une reine. Elle voudrait bien être choisie, mais Arlequin n'achète point chat en poche; il invoque les lumières de son

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