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Colombine - Cassandre prédit les mauvaises tragédies dont le théâtre doit être inondé, les cabales des acteurs et des auteurs, les banqueroutes des directeurs. Madame Dorsan, chargée de ce rôle, a fait beaucoup rire en imitant la démarche, l'attitude, les mouvemens, les accens lugubres de madame Talma. Cette prophétesse est vraiment ridicule dans la tragédie d'Agamemnon, non pas parce qu'elle est grecque, mais parce qu'elle choque nos mœurs, notre goût, nos usages. Si Racine nous eût montré Achille reculant devant Clytemnestre qui lui tend la main, craignant d'offenser Agamemnon en touchant ce qu'il ne doit pas toucher, on eût sans doute éclaté de rire; et cependant Racine nous eût montré l'Achille gree, tel qu'il est dans Euripide. Dans ce portrait d'un militaire si rempli de pudeur, du moins il n'y a rien qui ne soit très - honnête et conforme aux bonnes mœurs; au lieu qu'une Cassandre aimée par Apollon, violée par Ajax, réduite en esclavage par Agamemnon, laquelle s'avise d'importuner tout le monde dans le palais d'Argos par des prédictions inutiles auxquelles personne ne peut ajouter foi, une telle Cassandre n'est qu'une folle et une impudente, qui sort de la modestie de son sexe sous le prétexte d'une inspiration qui ne peut être pour nous qu'une imposture. Les termes dont je me suis servi pour désigner la maladie des anciennes pythonisses ne paraî tront que justes, dans leur énergie, à ceux qui connaissent le charlatanisme du trépied on ne pouvait pas marquer plus faiblement l'impéritie d'un auteur qui vient offrir sur notre scène ces honteuses et plates momeries du paganisme. Quant à ceux qui admirent pieusement le grand tragique de cette extravagance, je serais bien fâché de leur plaire, et ce

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n'est pas d'eux que je recevrai des règles de style et de goût; je pourrais leur en donner, s'ils étaient capables de les entendre.

Le pédagogue Strophus est parfaitement caractérisé par le nom de Gilles-Probus : c'est un niais honnête homme qui glace toute la pièce par l'insipidité de son bavardage. Le tableau du dénouement est d'un comique original: on voit Cassandre arriver en petite camisole, le bâton levé, la tête entortillée d'un bonnet dont les pointes ressemblent aux attributs des époux malheureux, et tenant d'une main madame Trimestre effarée, tout en désordre, encore armée d'une lanterne sourde. La pièce est terminée par un joli vaudeville, dont le refrain très-ingénieux indique les motifs qui ont engagé les auteurs de la parodie à ne pas tuer Agamemnon. On a distingué ce couplet philanthropique :

Nous voudrions, et pour raison,
Voir vivre notre parodie;
Mais de tuer Agamemnon

Nous n'avons pas la folle envie.
Le Vaudeville est né mordant,
Et dans les couplets qu'il fredonne,
Il pince, il pique, et cependant
Il ne veut la mort de personne.

Il pousse l'humanité au point de ressusciter même les
pièces qui meurent de leur belle mort sur son théâ-
tre. On a fait répéter ce couplet, et le même hon-
neur a été accordé à un autre aussi aimable et d'une
morale non moins compatissante, au sujet des criti-
ques qu'ont essuyées deux actrices célèbres :

Quand deux actrices font plaisir,
Censeurs, quel débat est le vôtre?
Entre les deux pourquoi choisir,
Et sacrifier l'une à l'autre ?

Moi, j'aime à les voir chaque jour
Du goût disputer la couronne ;
Je les applaudis tour à tour,

Je ne veux la mort de personne (1).

Cette parodie mérite de vivre. On n'a pas saisi à la première représentation toute la finesse des plaisanteries, parce que ce sont de bonnes critiques et non des jeux de mots; mais la seconde fois on les entendra mieux et on les goûtera davantage. Ce qui a le plus frappé, c'est la caricature des acteurs et actrices du Théâtre-Français, parce qu'elle est plus du ressort des sens que de l'esprit. L'arlequin Laporte a rendu avec une étonnante vérité les gestes, les tons et toute la pantomime de Talma. Mademoiselle Delille a très-habilement contrefait plusieurs des attitudes de la Clytemnestre du Théâtre - Français : du reste, elle n'avait besoin que de son talent pour jouer d'une manière piquante et vraiment comique le rôle de madame Trimestre. Chapelle, qui est un fort bon Cassandre, s'est surpassé dans Cassandre-Agamemnon; son défaut même de mémoire semblait rentrer dans le caractère du rôle. On a demandé vivement les auteurs, et l'on a nommé les princes du Vaudeville, les Barré, les Radet, les Desfontaines, les Armand Gouffé; redoutables chansonniers qui ont fait le diable à quatre contre le vainqueur de Troie, et qui pourraient bien l'avoir tué à coups d'épigrammes, malgré leur intention bien prononcée de ne tuer personne. ( 14 frimaire an 12.)

(1) Ces deux actrices étaient mesdemoiselles Georges et Duchesnois. ( Note de l'Éditeur.)

LES TEMPLIERS (1).

LES Templiers au Vaudeville! c'est leur véritable place, si l'on en croit Piron, qui s'obstine à ne pas voir dans ces moines des héros et des saints. Le lieu promettait une parodie; mais l'auteur n'a pas osé concevoir l'idée d'une telle profanation : les dévots et les dévotes auraient crié au sacrilége. Cependant les meilleures tragédies de Voltaire ont été parodiées ; on n'a pas même respecté Zaïre, vierge et martyre. Les Templiers sont bien aussi des martyrs; mais du moins ils ne sont pas vierges. Pourquoi les respecterait-on davantage?

Si la pièce n'est pas une parodie, qu'est-elle donc ? Ce n'est rien, dit l'auteur dans son couplet d'annonce. L'auteur est trop modeste : conserver un peu de raison parmi des fous, c'est quelque chose, et la pièce offre sur les Templiers des idées raisonnables, des plaisanteries justes et fines. Pour se moquer impunément des Templiers au Vaudeville, il a fallu avoir recours aux mêmes précautions que les philosophes les plus déliés mirent autrefois en œuvre pour se moquer de la religion, dans le temps où il y en avait encore beaucoup en France. Qui l'eût cru que dans un siècle de lumières on se ferait une religion d'une tragédie médiocre faite sur un mauvais sujet ? ce qui prouve bien qu'il faut une religion aux hommes : quand on a quitté la sienne, on s'en fait une presque toujours honteuse et ridicule.

(1) Parodie des Templiers de M. Raynouard, secrétaire perpétuel de l'Académie-Française.

(Note de l'Éditeur.)

Le cadre, quoique faible et peu théâtral, est adroit et ingénieux. Du Belloi, auteur du Siége de Calais, se trouve dans la détresse au milieu de sa gloire et de ses lauriers. Son libraire vient lui proposer un moyen de fortune c'est un sujet de tragédie nationale, et ce sujet est celui des Templiers. Du Belloi goûte assez la proposition de son libraire. Le succès du Siége de Calais suffit pour l'inviter à choisir ses sujets dans l'histoire de France. Cependant il consulte Piron, son intime ami, qui trouve que les Templiers, en leur qualité très - connue d'intrépides buveurs, ne sont bons qu'à mettre en vaudeville. Ce blasphême de Piron n'a point excité de scandale; on l'a pris pour une plaisanterie : c'en est une, à la vérité, mais qui cache, sous le voile du badinage, une grande vérité; c'est qu'on ne pouvait pas faire une tragédie intéressante et nationale sur les Templiers.

Si l'on allègue contre Piron le succès de la tragédie des Templiers, j'admets le fait, je nie la conséquence : les Templiers n'ont que l'intérêt d'un drame ou même d'un mélodrame. Il n'est pas permis aux poëtes tragiques d'intéresser par toutes sortes de moyens, et d'abuser de l'ignorance du vulgaire pour forger, en dépit du bon sens, des héros extravagans et chimériques. La déclamation, l'emphase, le charlatanisme peuvent bien séduire les sots dont le nombre est infini suivant l'oracle de la sagesse, mais ne constituent pas une bonne tragédie. D'ailleurs rien n'est moins national qu'un pareil sujet : un roi de France présenté comme un tyran aussi imbécile que cruel, qui fait brûler des moines séditieux au lieu de les chasser de ses états et de les renvoyer en Palestine comme il en a le droit et le pouvoir; un roi de France assez fou et assez lâche pour imputer des crimes d'im

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