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aujourd'hui; et, parmi les grands théâtres, on comptait la Comédie-Italienne, que Boileau appelait le grenier à sel. Mais ce n'était pas assurément du sel attique c'était du plus gros sel; et le recueil de Gherardi nous prouve que les scènes françaises, qui faisaient le seul mérite de ces pièces italiennes, étaient des farces d'un style extravagant, plus indécentes et plus grossières que celles qu'on a depuis données au boulevard. Ce théâtre, si contraire au bon goût, ne fut point fermé à cause de son indécence et de sa grossièreté, mais parce que dans une de ses farces, intitulée la Fausse Prude, madame de Maintenon avait paru trop clairement désignée.

Dans le fameux siècle d'Auguste, du temps d'Horace, dans le centre même du goût le plus pur et le plus fin, la bonne compagnie de Rome préférait le vain plaisir des farces à celui d'entendre de bons ouvrages; c'est Horace lui-même qui nous l'assure:

Verum equitis quoque jam migravit ab aure voluptas
Omnis ad incertos oculos et gaudia vana.

Je ne vois pas qu'Horace ait été accusé pour cela de décrier son siècle : son siècle n'en a pas moins été le siècle d'Auguste, quoique le public, et même la portion la plus noble de la société, aimât mieux voir sur la scène des marches, des évolutions, des combats, des cérémonies triomphales, et autres objets de curiosité, que d'assister à des tragédies ou à des comédies: la masse des spectateurs est à peu près la même dans tous les temps.

On ne va point aux pièces du boulevard parce que j'en parle; mais j'en parle parce qu'on y va, et je dois en parler comme chargé d'observer la marche de l'esprit humain relativement aux théâtres. Qnand on

se plaint que le succès des pièces du boulevard détruit le goût, ne confond-on pas l'effet avec la cause? La vogue des mélodrames, des pantomimes, des ballets, ne produit pas la décadence du goût; elle la suppose. Si ces spectacles étaient la véritable cause du mauvais goût, il suffirait donc de les supprimer pour ramener le bon goût; mais il y a bien d'autres causes de la décadence du goût, qu'il ne convient pas d'examiner ici.

LA JEUNESSE DE FRÉDÉRIC II.

FRÉDÉRIC Il n'est pas un de ces grands hommes qui ont à se plaindre de la manière dont on les a présentés sur nos théâtres; il y a toujours paru sous l'aspect le plus noble et le plus imposant; il a fait réussir toutes les pièces dont il a été le héros. Un monarque sévère et juste, occupé de ses devoirs, est un objet qui attache toujours fortement le peuple; mais ce n'est ni le guerrier ni le monarque qu'on nous présente dans le mélodrame nouveau : c'est Frédéric jeune, vif, étourdi, qui médite une équipée dont il ne sent pas les conséquences, et dont peu s'en faut qu'il ne soit la victime.

Dans les autres mélodrames on voit toujours un innocent opprimé par un tyran : ici il n'y a point de tyran, point d'innocent, à moins qu'on ne prenne pour le tyran un père dont le système d'éducation est d'une extrême rigueur; mais on ne peut pas regarder comme innocent un fils qui veut se soustraire à l'autorité paternelle.

Le gros roi Frédéric - Guillaume, père de Frédéric II, était un Vandale uniquement occupé du soin d'amasser de l'argent et d'entretenir une armée ;

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il avait levé un régiment de géans : les plus petits du premier rang de sa compagnie n'avaient pas moins de sept pieds. Son unique plaisir, sa seule dépense était de les passer en revue et de leur faire faire l'exercice; un méchant habit bleu, garni de boutons de cuivre doré, était sa plus grande parure; et quand il se donnait un habit neuf, il faisait servir les vieux boutons. Il avait mis une taxe sur les filles ou veuves qui faisaient des enfans il en coûta trente mille francs à une certaine comtesse pour avoir eu cette faiblesse-là. Quand il allait dans les rues de Berlin, s'il rencontrait une femme, il la renvoyait dans sa maison à coups de pied dans le ventre et à grands coups de canne, en criant: Va-t'en chez toi, gueuse; une honnéte femme doit être dans son ménage. Il régalait de la même manière les ministres du saint Évangile qui avaient la curiosité de voir la parade. Il vécut en soldat; et avec de telles moeurs, il amassa, en vingt-huit ans de règne, vingt millions d'écus. Un père si farouche et si barbare avait un fils aimant les arts et la musique, faisant des vers français, lié avec les gens de lettres les plus distingués de l'Europe, admirateur et ami de Voltaire. FrédéricGuillaume était alarmé de ces goûts frivoles dans un jeune prince destiné à lui succéder, et il accompagnait quelquefois ses remontrances de gestes peu convenables à la majesté royale.

Fatigué de ce zèle pour son éducation, qui lui paraissait trop ou trop peu paternel, le jeune prince conçut l'idée de voyager dans l'Europe pour étudier les mœurs des peuples et les intérêts des princes: son projet fut découvert. Le roi son père le traita de désertion, fit trancher la tête à ses complices, et le fit enfermer lui-même dans la citadelle de Custrin,

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en attendant le même sort il eut la cruauté de lui faire tenir par deux grenadiers la tête à la fenêtre, pendant qu'on exécutait sous ses yeux son favori Katt. Il fallut que l'empereur d'Allemagne et les principaux souverains de l'Europe sollicitassent ce nouveau Brutus, ou plutôt ce nouveau Manlius, pour l'empêcher de couper le cou à son fils. Tel est le fond que l'histoire a fourni à l'auteur du mélodrame qui attire aujourd'hui la foule.

L'ouvrage a cela de particulier, qu'il n'est point souillé de bouffonneries grossières et n'offre point de niais mêlés parmi les héros ; il se soutient par la seule force de l'intérêt et des situations: le sort d'un jeune prince, que son père veut faire périr pour une étourderie, est assez attachant par lui-même.

Les fictions ajoutées aux détails historiques sont très - théâtrales. Les passages de l'espérance à la crainte sont rapides. On remarque surtout l'incident singulier du prince caché sous une table, tandis que le roi son père, sur cette même table, écrit sa sentence de mort. Le caractère de Frédéric-Guillaume est très - singulier; et quoiqu'il ne rie jamais, c'est le plaisant de la pièce. Ce rôle est fort bien joué par M. Tautin. Le chancelier et l'ambassadeur sont deux personnages très-graves: on les écoute avec attention, lors même qu'ils s'entretiennent d'objets diplomatiques au-dessus de la portée du vulgaire. Le spectacle est noble et brillant, les costumes magnifiques. Il y a un ballet de guerriers et d'amazones très-digne d'une cour toute militaire, très - digne du compositeur M. Hullin, qui sait tirer un heureux parti de tous les sujets. Le dénouement suppose dans Frédéric - Guillaume plus de sensibilité qu'il n'en avait réellement : ce n'est pas un défaut dans un mélodrame.

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On remarque dans ce mélodrame une scène fort singulière où Frédéric-Guillaume reproche à son fils la frivolité de ses goûts, le mauvais choix de ses amusemens et de ses lectures; mais ce qui est étrange, extraordinaire, incroyable, merveilleux, c'est un passage sur M. de Voltaire, où il entre plus de critique que d'éloges. Jusqu'ici on n'avait proféré sur la scène le nom de M. de Voltaire qu'avec des transports de fanatisme et d'idolâtrie tout-à-fait dégoûtans pour tout homme équitable et sensé, qui veut qu'on rende à chacun ce qui lui appartient. Quel est l'extravagant qui ne rend pas justice à l'esprit et aux talens de cet auteur fameux? La question n'a jamais été de savoir si Voltaire a fait de beaux vers et de belle prose, mais s'il n'a pas trop souvent abusé de ses vers et de sa prose pour corrompre ses lecteurs.

Le gros bon sens du gros roi Frédéric-Guillaume lui fait aisément sentir ce que tant de beaux-esprits affectent de méconnaître, savoir, qu'un homme n'est point estimable par les talens dont il abuse pour le malheur du genre humain. J.-J. Rousseau, qui disait de grosses vérités aussi crument que le roi de Prusse, ne ménage point les termes, et assure très-positivement que l'homme qui abuse de ses talens ne mérite que haine et que mépris. Cela est bien fort: haine et mépris ! J'invite nos voltairiens à méditer sur ces deux mots énergiques, qui en disent plus qu'ils ne sont gros ils les trouveront dans la Lettre du philosophe génevois sur les spectacles.

Mais voyons comment le Vandale Frédéric-Guillaume parle de Voltaire: Vous êtes en correspondance réglée avec un Français qu'on nomme Voltaire. Un Français qu'on nomme Voltaire ! Quelle sécheresse, ou plutôt quelle irrévérence, en parlant

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