Obrazy na stronie
PDF
ePub

danseuse soient bannis de la ville. Ont-ils tout-à-fait tort? Horace, qui n'était pas un Caton, et qui n'avait point de femme à garder, a porté plainte au tribunal de la postérité contre les jeunes Romaines qui, même avant l'hymen, se faisaient initier avec ardeur aux mouvemens lascifs des danses ioniennes, qui étudiaient des attitudes voluptueuses, et, dès l'âge le plus tendre, méditaient de coupables amours:

Motus doceri gaudet Ionicos
Matura virgo; et fingitur artubus
Jam nunc, et incestos amores

De tenero meditatur ungui.

Ode VI, liv. III.

Il paraît que le fandango ionien produisait autant de désordre parmi les demoiselles de Rome, que le fandango espagnol parmi les dames de Saint-Jean-de-Luz.

La requête des maris est admise, et l'on ne peut manquer d'y faire droit, puisque les magistrats sont juges et parties. L'ex-président Clopineau est l'avocat des maris; un petit-maître, nommé Poupardin, est celui des femmes. Les plaidoyers sont conformes au caractère des orateurs, et tous les deux sont très-plaisans dans leur genre. Toute la raison est du côté de Clopineau, mais elle est ridicule dans sa bouche. Poupardin ne dit rien qui vaille; mais il couvre sa mauvaise cause d'un vernis de sensibilité: ses argumens sont des minauderies: sa péroraison est un chef-d'œuvre d'adresse et de subtilité. Il demande que le fandango ne soit pas condamné sans être entendu, ou plutôt sans être vu. Sur sa demande, le tribunal ordonne que le fandango soit exécuté en sa présence. Faut-il s'étonner que le fandango ait rendu folles les femmes de Saint-Jean-de-Luz, puisqu'il fait entrer en délire les magistrats, et fait tourner les

meilleures têtes du pays? L'influence du fandango leur cause une espèce de dansomanie: les voilà qui se lèvent de dessus leurs siéges, et s'agitent en cadence; ce qui forme un spectacle des plus bouffons. Le fandango ne saurait être plus coupable: changer en saltimbanques de graves magistrats, quel crime abominable! Ce crime est ce qui lui fait obtenir l'absolution : les juges, corrompus, prononcent en sa fa

veur.

Regnard nous a donné, dans des vers charmans, une peinture fidèle des effets du fandango sur les juges de Saint-Jean-de-Luz; il s'agit d'un musicien appelé pour égayer un paralytique :

Dès que j'eus mis en chant un petit rigaudon,
Trois graves médecins venus dans la maison,
La garde, le malade, un vieil apothicaire
Qui venait d'exercer son grave ministère,
Sans respect du métier, se prenant par la main,
Se mirent à danser jusques au lendemain.

La danse des juges a séduit le parterre: il en est résulté une indulgence plénière. La pièce a excité de grands applaudissemens, mêlés d'éclats de rire: rien n'est plus propre à étourdir la morale que la bouffonnerie. Les magistrats de Saint-Jean-de-Luz ont eu tort de danser et de maintenir le fandango; les auteurs du Vaudeville ont eu raison de faire rire le public, et ils ont gagné leur procès en faisant gagner le sien au fandango.

Seveste, qui joue M. Gavotino, joue fort bien, et danse mieux qu'il n'appartient à un acteur du Vaudeville. (11 mai 1809.)

LANTARA.

LANTARA, peintre paysagiste, doué d'un génie original et d'une incroyable facilité d'exécution, avait établi son atelier au cabaret ; et son dernier domicile ; fut l'hôpital. Cette alliance de la crapule avec le génie a quelque chose de triste et d'humiliant pour l'humanité; mais elle présente un côté théâtral et comique que les auteurs du vaudeville ont habilement saisi. La simplicité, la franchise, le désintéressement, la passion de la gloire, sont autant de traits qui ennoblissent le caractère de ce peintre ivrogne. On l'aime et on le plaint; son talent semble même briller et ressortir d'avantage au milieu de tous les objets faits pour le dégrader. Il travaille au cabaret; mais ce n'est point un peintre de taverne; c'est un grand artiste qui a le malheur de trop dédaigner les préjugés et les convenances. Il est bien plus intéressant que l'artiste ambitieux, intrigant, flatteur, qui, sous des dehors plus décens et plus honnêtes, n'est qu'un vil esclave de la fortune. Lantara, comme ce sage de la Grèce, porte avec lui tout son bien; son génie le suit au cabaret. Il peut impunément oublier sa bourse ; son crayon l'accompagne et paie son écot.

Les auteurs ont d'abord eu quelque scrupule d'établir leur scène au cabaret ; ils ont voulu tranquilliser leur conscience par ce couplet d'annonce :

Sans doute vous serez surpris
Qu'au cabaret on vous invite:
C'est un de ces lieux qu'à Paris
La bonne compagnie évite;
Mais puisque enfin le pas est fait,
Gardez que la critique en gronde :

Songez qu'on est au cabaret

Ami de tout le monde.

Cela n'est pas bien sûr. Combien de querelles naissent au cabaret! Ce n'est pas au cabaret quand il boit, c'est dans la rue quand il a peur, que Sosie se dit ami de tout le monde.

Le cabaret fut long-temps fréquenté par les plus honnêtes gens; l'ivrognerie était à la mode sous Louis XIV, et au commencement du règne de Louis XV. Le bel- esprit Chapelle, homme de bonne compagnie, était habituellement ivre ; les jeunes seigneurs, plus débauchés que galans, préféraient Bacchus à l'Amour. Aux cabarets ont succédé les cafés : nous sommes devenus plus sobres sans devenir meilleurs; et la nature humaine est si peu faite pour la perfection, qu'elle ne quitte un vice que pour en prendre un autre. Ne soyons donc pas scandalisés de voir la scène du Vaudeville au cabaret: c'est d'ailleurs un cabaret fort honnête; c'est chez le suisse du Jardin des Plantes, espèce de restaurateur, que l'action se passe. Le peintre Lantara y vient pour parler plus commodément d'affaires avec M. Jacob, marchand de tableaux ; un homme tel que Lantara a cela de commun avec les anciens Germains, qu'il ne traite d'affaires qu'à table et le verre à la main.

L'affaire dont il s'agit n'est pas seulement un marché de tableau ; la négociation est plus importante. Lantara veut marier sa fille Thérèse avec Victor, fils de M. Jacob: il ne songe seulement pas à la différence des fortunes, et croit l'amour suffit pour faire un mariage; mais M. Jacob ne pense pas ainsi. Ce riche marchand de tableaux rejette fièrement l'alliance d'un peintre gueux; il ne daigne pas même

que

déjeûner avec lui: il va manger une matelote à l'Arcen-Ciel, en bien meilleure compagnie, avec quelques brocanteurs aussi fripons que lui. Lantara, malgré son insouciance, est irrité et affligé de l'orgueil brutal de M. Jacob : c'est un bon père qui veut le bonheur de sa fille; il ne connaît pas d'autre moyen que de l'unir à son amant.

Cependant sa colère et sa douleur ne l'empêchent pas de déjeûner. Il commence par boire un coup à la santé du genre humain, n'ayant personne avec qui trinquer. L'homme qui lui sert de modèle pour peindre Bélisaire, arrive fort à propos. Cet homme a une superbe barbe, et s'appelle Belle-Tête. Lantara le fait d'abord poser à table, et déjeûne avec lui. Ici les auteurs ont bien marqué, dans la même action, la différence d'un artiste et d'un homme du peuple. Lantara est sérieux et rêveur; Belle - Tête est un affamé qui boit et mange d'un air grossier et glouton. M. Fribourg, le suisse qui tient le restaurant, a fort mauvaise opinion de son hôte, et craint de n'être pas payé. L'hôte, qui n'a pas le sou, demande hardiment les meilleurs mets, les meilleurs vins : le suisse, déjà tremblant sur les premières avances qu'il a faites, refuse de servir une poularde qu'on lui commande de surcroît ; il veut de l'argent. Lantara se fait apporter du papier, crayonne sur son genou une esquisse; et Belle-Tête, le verre à la main, lui sert de modèle. Il envoie l'esquisse à Jacob, qui déjeûne à l'Arc-en-Ciel, et en fixe le prix à un louis. Jacob n'en offre que douze francs, et renvoie l'esquisse. Lantara la déchire fièrement, et se remet à boire sur nouveaux frais.

Enfin, quand il s'agit de compter définitivement avec le suisse, le peintre fait à la hâte un nouveau

« PoprzedniaDalej »