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LE MISANTHROPE.-Mademoiselle Mars a justifié les transports qui l'ont accueillie à son entrée par la manière dont elle a joué Célimène. Aimable et imposante tout à la fois, elle joint à beaucoup d'aisance et de grâce une tenue pleine de dignité. Elle emploie tour à tour, et suivant l'occasion, la hauteur et la fierté, la tendresse et le sentiment, l'enjouement et la finesse, l'ironie et la satire, la décence et la raison; tout cela est soutenu de l'action de deux yeux vifs et brillans qui ne s'arrêtent jamais. Mademoiselle Mars est la véritable coquette peinte par Molière: la femme de ce grand peintre, qui avait servi de modèle à sou mari, ne joua pas mieux ce rôle, fait pour elle, que mademoiselle Mars l'ingénue, qu'on désespérait, il y a deux ans, de voir jamais sortir du cercle des Agnès et des petites innocentes.

Son triomphe est dans cette scène, l'écueil des autres actrices, où Célimène règne seule, tandis que ses quatre interlocuteurs ne sont là que pour lui donner les répliques. Quelle variété de tons et de nuances! quelle vigueur et quel éclat dans tous ces portraits ridicules qu'elle trace avec tant de vivacité et d'agrément, fixant toujours l'attention sans jamais la fatiguer, toujours maîtresse du théâtre dans cette longue conversation dont elle fait tous les frais! C'est ce qu'il y a de plus difficile dans le rôle, et c'est une épreuve pour le talent. (3 septembre 1812.)

TARTUFE. Mademoiselle Mars a joué pour la première fois le rôle d'Elmire dans cette pièce, et celui de Mélise dans la Feinte par amour. De pareils débuts ne sont pas des coups d'essai, mais des coups de maître. Ce ne sont pas des épreuves d'un talent déjà très-célèbre, ce sont des applications de ce talent à des rôles nouveaux. La Feinte par amour

est la seule pièce de Dorat que l'on joue aujourd'hui : elle est froide, pleine d'esprit et de madrigaux ; c'est un tissu de niaiseries sentimentales et de vers maniérés. Les comédiens aiment ces sortes de rôles où ils se regardent comme des conquérans et des hommes à bonnes fortunes. Les actrices s'imaginent briller dans ces pièces qui leur donnent lieu d'étaler tout le manége de la coquetterie, de sonder les plus profonds mystères de la tendresse et de l'amour. Mademoiselle Mars développe dans le rôle de Mélise une infinité de petites grâces, de petites finesses qui produisent de grands effets sur les amateurs de ce petit genre musqué (1). (13 septembre 1812.)

(1) Ces divers jugemens sur mademoiselle Mars sont encore confirmés par le public.

(Note de l'Éditeur.)

DÉBUTS

AU

THEATRE-FRANÇAIS.

M. LAFON.

Iphigénie en AulIDE.-L'art de la tragédie se perd au théâtre même qui devrait en être le dépôt le plus fidèle. Depuis que les comédiens veulent être des artistes, ils se croient sans doute dispensés d'être acteurs. Leurs talens semblent décroître à mesure qu'on accorde plus de considération à leur état. Baron et Le Kain, excommuniés pendant leur vie, sont, après leur mort, placés au nombre des grands hommes.

Larive, qui doubla Le Kain dans les beaux jours de la scène française; Larive, qui se fit applaudir dans plusieurs rôles, lors même que Le Kain semblait avoir épuisé l'admiration; Larive n'a point reparu lorsque le zèle d'un ministre, homme de lettres, a rassemblé avec effort les débris de la scène française. Le premier théâtre de la capitale, même après cette réunion, se trouve aussi pauvre en acteurs tragiques que la moindre troupe de province; et ce qui semble le prouver, c'est que le jeune débutant arrivant de province se trouve tout à coup supérieur aux premiers sujets de la scène française. La nature ne lui a pas cependant prodigué ses dons. Sa taille n'est pas sans reproche; son

organe est lourd et peu sonore; sa déclamation est quelquefois guindée et emphatique ; il y a de l'apprêt et de la prétention dans ses gestes; il lui échappe des tons familiers qui ne décèlent pas une intelligence parfaite; mais il a du feu, de la sensibilité, de la noblesse, et ce début annonce un germe de talent que la réflexion et le travail peuvent mûrir. Il doit regarder comme des encouragemens utiles les applaudissemens que le public lui a prodigués. Ce n'est pas qu'il n'en ait été digne en plusieurs endroits, et spécialement dans la belle scène avec Agamemnon; il a surtout rendu d'une manière parfaite ce vers :

Ma foi lui promit tout, et rien à Ménélas.

Mais il a pris la liberté, très-condamnable, de transposer un vers dans cette tirade. Racine fait dire à Achille :

Tant qu'un reste de sang coulera dans mes veines,

Vous deviez à son sort unir tous mes momens ;

Je défendrai mes droits fondés sur vos sermens.

L'acteur, de son autorité, a fait du second vers le troisième, et du troisième le second.

On peut lui reprocher aussi d'avoir donné au fier Achille, dans les scènes d'amour, un ton trop langoureux et trop fade. C'est bien assez que le goût du siècle ait forcé Racine à rendre Achille amoureux. L'acteur doit plutôt affaiblir qu'aggraver ce défaut. (20 floréal an 8.)

TANCREDE. On avait vu avec surprise le sieur Lafon débuter par le rôle d'Achille, regardé comme un des plus difficiles qu'il y ait au théâtre. Cette hardiesse, couronnée par le succès, avait jeté un éclat prodigieux sur la réputation du débutant; la salle n'était pas assez grande pour contenir la foule des spectateurs em

pressés de voir ce phénomène dramatique qui apparaissait sur notre horizon. Dès qu'il a paru dans Tancrède, le fracas des applaudissemens a ébranlé la voûte; un acteur consommé dans son art n'eût pas excité plus d'enthousiasme. Ainsi le public, toujours injuste, toujours extrême dans sa faveur comme dans ses dédains, nuit lui-même à ses plaisirs, et par une excessive indulgence étouffe le germe du talent qui voulait éclore.

Rien n'était plus imposant que l'entrée de Le Kain dans Tancrède; il se promenait quelque temps autour de ces colonnes chargées des écussons des chevaliers de Syracuse; on lisait sur son visage et dans ses yeux toutes les passions dont son âme était agitée, et avant d'avoir parlé, il avait déjà produit un grand effet. Il serait injuste de comparer un jeune débutant avec l'acteur le plus parfait qui jamais ait paru dans la tragédie. Heureusement pour le sieur Lafon, il n'y avait peut-être pas dans le parterre dix spectateurs qui eussent vu Le Kain. Il faut lui rendre toute la justice qui lui est due : sans s'élever à cette hauteur que son âge et son peu d'expérience ne lui permettent pas encore d'atteindre, il a mis de la noblesse, de la sensibilité, de la grâce dans son jeu, au troisième acte. La scène avec Argire n'a pas été mal rendue; celle avec Orbassan l'a été beaucoup mieux, parce que c'est une scène de bravade; il ne lui manquait que ce degré de force et d'énergie qui fait passer les sentimens du personnage dans l'âme du spectateur. Mais dans le quatrième acte, il a été complétement froid et insipide; il a pris son rôle à contre-sens ; il s'est imaginé qu'il fallait être pleureur et lamentable, tandis que sa situation exige au contraire beaucoup de fierté et d'ardeur, couverte d'une teinte de tristesse. Enfin

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