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donnée ; instrument des passions d'autrui, ils ne consultent point leur sentiment particulier, ou plutôt ils n'en ont point d'autre que celui d'un dévouement absolu au parti qui les emploie. Les honnêtes gens qui viennent au théâtre pour s'amuser, y sont toujours en majorité ; mais, naturellement doux et paisibles, ils se contentent de jouir sans manifester leur opinion, sans exercer leur droit; ils ne marquent point et n'osent énoncer leur vou. C'est toujours le petit nombre qui a la parole et fait la loi ; et c'est par un effort extraordinaire qu'ils se sont hasardés, quoique bien tard, à émettre leur vou, et à donner dans ce dernier le témoignage de leur estime pour un acteur aussi estimable, aussi digne d'être regretté.

Le suffrage unanime des connaisseurs délicats et de tous les bons juges du vrai mérite, consolera l'ombre de Dazincourt de l'indifférence d'un parterre trop souvent injuste et ingrat. Son talent se forma sous les yeux de Préville: ce grand acteur avait conçu pour lui une inclination particulière ; il lui donnait des leçons, et les fortifiait de l'exemple; il semblait le désigner pour son successeur. Ses soins paternels accréditèrent la fausse opinion que Dazincourt était son fils; Préville ne fut que son maître et son ami. Si Dazincourt ne put jamais atteindre toute la perfection d'un si excellent modèle, il en conserva du moins plusieurs traits. Il hérita de son goût, de sa manière et de ses principes: il n'égala jamais sa force comique et sa verve originale; mais, sans avoir son génie; il eut beaucoup de son esprit. Il se distingua par la finesse, la grâce, la légèreté, l'enjouement, surtout par 'une aménité et un bon ton qui faisaient le caractère de son jeu, et lui donnaient une physionomie particulière.

Son genre de talent était même devenu plus utile que celui de Préville, dans ces derniers temps où la décadence de l'ancien comique, amenée par le discrédit des vieilles idées et des anciennes mœurs, demandait moins de nerf et d'expression que de délicatesse et de raffinement. Le rôle de Figaro fit sa réputation. Préville était encore au théâtre avec tout son talent; mais la mémoire l'avait abandonné, et l'âge avait sensiblement altéré en lui l'organe de la parole: il fut même obligé de quitter promptement le rôle de Bridoison, dont il avait cru pouvoir se charger. Dazincourt joua Figaro de la manière la plus brillante; il y mit infiniment d'esprit et de vivacité : dès-lors il prit son rang parmi nos comiques; et son nom vivra dans les fastes de notre théâtre, et réveillera sans cesse l'idée d'un acteur aimable,. spirituel, délicat et fin, dont le comique s'est trouvé de niveau avec le goût et l'esprit de son temps.

Mais le talent théâtral de Dazincourt n'est encore que son moindre mérite : l'honnête homme, dans lui, est encore plus estimable que l'acteur; il se fit encore plus d'honneur dans la société qu'au théâtre. Jeté par les circonstances dans cette carrière, dont sa naissance et son éducation semblaient devoir l'écarter, il ne laissa point dégrader son caractère par les séductions de son état; mais il ennoblit son état par l'honnêteté de son caractère et par toutes les qualités sociales. Ami sûr et chaud, noble et franc dans ses procédés, humain, sensible et généreux, il ne se contenta pas de parler de bienfaisance au théâtre, il sut la mettre en pratique, et réaliser la morale de plusieurs de ses rôles. Les jeunes aspirans à la profession de comique trouvèrent en lui des conseils et de l'appui. Zélé pour les intérêts, et surtout pour

l'honneur de son corps, il ne fit jamais usage du crédit et de la confiance qu'il s'y était acquise, que pour maintenir les bons principes, les réglemens sages, les coutumes utiles, et surtout pour en éloigner toute mesure contraire à la dignité des véritables artistes.

y

Accueilli dans les meilleures sociétés, dont il faisait les délices par ses saillies plaisantes, et la vivacité de son humeur provençale, il y porta toujours les grâces et les manières d'un homme de bonne compagnie, jamais les turlupinades d'un vil bouffon. Partout il se fit remarquer par son urbanité et l'élégance de ses mœurs; parlant aux grands et aux magistrats avec décence et noblesse, toutes les fois qu'il était nécessaire de porter la parole pour le bien de la comédie. Il se fit estimer de ses supérieurs, aimer de ses camarades, et chérir du public, qui ne lui fit jamais sentir au théâtre que ses faveurs. Dans le monde, il faisait oublier qu'il était comédien; mais sur la scène, on eût été bien fâché qu'il ne le fût pas. On peut lui appliquer ce que dit autrefois l'orateur romain du célèbre acteur Roscius, dans la harangue qu'il composa en sa faveur : « C'était un si bon comé<«< dien, qu'il semblait que la nature ne l'eût pas des«< tiné à un autre état: c'était un si honnête homme, << qu'on eût dit qu'il n'était pas né pour être comédien.»

Les amateurs du théâtre ne peuvent se défendre d'un sentiment de douleur et de crainte, en voyant ainsi s'ébranler et tomber successivement les antiques colonnes qui faisaient l'ornement et l'appui de la scène française ; et ce qui ne contribue pas à les rassurer, c'est qu'ils n'aperçoivent pas les moyens de réparer tant de ruines. En comparant ce que la comédie perd avec ce qu'elle gagne, ce que le temps lui enlève avec ce que le temps lui donne, il s'en faut

bien qu'on puisse établir une équation entre les acquisitions et les pertes. (30 mars 1809.)

Mile CONTAT.

LORSQUE mademoiselle Contat parut au théâtre, elle y apporta pour tout talent une charmante figure, un rire très-agréable; mais alors cela ne suffisait pas. Le public fut très-content de la personne, et fort peu. satisfait de l'actrice : les grâces de mademoiselle Contat ne purent désarmer sa sévérité, et les marques de son mécontentement firent pleurer plus d'une fois celle la nature semblait n'avoir faite que pour rire.

que

Ce noviciat ne la rebuta point; elle sut tirer parti d'une éducation si rude: elle avait de l'esprit et le germe du talent; au lieu de bouder, elle travailla : comme une autre, elle eût pu cabaler, acheter des suffrages, et rester actrice médiocre ; elle aima mieux étudier son art, et mettre son talent au niveau de sa figure.

Bientôt elle recueillit le fruit de son courage et de ses études: le Mariage de Figaro fut l'époque de ses triomphes; elle enleva tous les suffrages dans le rôle de Suzanne; ce qui prouve qu'elle eût été une excellente soubrette, si le hasard ne l'eût jetée dans les amoureuses: elle a surtout brillé dans les coquettes; c'était son vrai talent, talent naturel, perfectionné par la pratique. Aucune femme n'a mieux exercé au théâtre l'art de charmer les hommes en se moquant d'eux, ce qui est le sublime de la coquetterie: finesse, enjouement, vivacité, minauderies de sentiment, elle avait tout, excepté la noblesse.

Lorsque le temps impitoyable est venu porter ses

mains pesantes sur ces grâces légères, le talent de mademoiselle Contat est resté jeune, mais il s'est trouvé quelquefois en contradiction avec sa personne: d'abord, semblable à ces femmes qui se jettent dans le sentiment quand le plaisir les quitte, elle a pris des rôles pathétiques; elle n'y a point réussi, parce qu'elle luttait contre son naturel; elle avait mauvaise grâce à pleurer: ses lèvres, habitées par le doux sourire; ses yeux fins et brillans, animés d'une joie maligne, se prêtaient mal aux complaintes et aux doléances dans les tirades touchantes, elle avait la voix dans la tête; le cœur ne se mêlait de rien; elle criait comme de l'effort qu'elle était obligée de faire.

Madame Évrard a été le triomphe de son moyen âge, parce que madame Évrard est une gouvernante coquette et rusée, qui séduit un vieil imbécile : elle a porté ce goût de coquetterie, cette finesse, ces manières, ces petites grâces dans presque tous les rôles de mères ou de veuves où ils étaient le plus hors de saison. Dans l'Araminte des Fausses Confidences, elle semblait se moquer de l'embarras de son amant ; dans la Philaminte des Femmes savantes, elle avait l'air de persiffler Trissotin: jamais, au théâtre, elle n'a pu oublier qu'elle était mademoiselle Contat; et le souvenir des rôles qu'elle avait joués autrefois, nuisait à ceux qu'elle était alors contrainte de jouer. Mais beaucoup de fraîcheur et une très-belle tête demandaient grâce pour les contre-sens.

Mademoiselle Contat avait encore des rôles où elle enchantait, où elle ne sera point remplacée. En prenant un peu sur elle-même, en forçant son naturel de céder à son art, elle aurait pu remplir encore longtemps, avec beaucoup de succès, les rôles de mères

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