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« plat ventre et marcher sur les genoux ; j'ai vu pous<< ser l'oubli de la décence au point de paraître sous <«< la simple enveloppe d'un taffetas de couleur de <<< chair, dessinant exactement le nu depuis les pieds jusqu'à la tête ; j'ai vu, sous le nom des personnages <«<les plus imposans de l'antiquité, de chétives filles << de journée pliées en deux, tapant du pied, se bat<< tant continuellement les flancs, s'appuyant sur les << hommes et s'en laissant toucher avec la familiarité a la plus révoltante: j'étais assourdie de piailleries, « de beuglemens; et pour m'achever, le parterre «< criait : Bravo!» (19 pluviose an 11.)

Mile GAUSSIN.

ON croit communément que mademoiselle Gaussin n'avait que quinze ans lorsqu'elle joua Zaïre. Née en 1711, elle avait vingt-un ans en 1732, époque de la représentation de Zaïre. Voltaire lui donna aussi le rôle de Tullie dans Brutus. La fameuse soubrette Dangeville l'avait joué de manière à faire tomber la pièce. Voltaire, écrivant à mademoiselle Gaussin pour lui donner quelques conseils sur ce rôle, l'appelle prodige; c'est le premier mot de la lettre. C'était en effet, si l'on en croit les anciens amateurs, un prodige de douceur, de tendresse et de grâce.

Elle n'eut une véritable réputation et n'obtint une gloire réelle que dans Zaïre. Mademoiselle Clairon, dans ses Mémoires, prétend que mademoiselle Gaussin ne fut jamais que Zaïre dans tous ses rôles; et lorsqu'il vint un temps où les convenances ne lui permettaient plus d'être Zaïre, elle ne fut rien. La nature avait presque tout fait pour elle : peu d'intelligence, peu d'instruction, peu d'art; mais une figure,

une voix céleste, un charme dont les vieillards mêmes avaient de la peine à se défendre! Qu'on juge de son succès, le parterre était plein de ses amans!

Mademoiselle Gaussin était bonne et fort humaine; on lui prête un mot qui prouve à quel point elle savait compatir aux maux de son prochain. Ce n'est pas de ce côté-là qu'il est difficile de lui ressembler; mais ce qui la rend presque inimitable, c'est qu'elle était désintéressée.

Le fameux Bouret, avant d'avoir fait fortune, lui donna, dans un transport amoureux, sa signature en blanc, n'ayant pas à lui donner, pour le moment, de meilleure lettre de change. Devenu ensuite fermiergénéral, et prodigieusement riche, il se souvint du billet blanc, et conçut quelque inquiétude sur la manière dont mademoiselle Gaussin le remplirait. L'actrice le lui rendit avec ces mots écrits de sa main audessus de la signature: Je promets d'aimer toujours Gaussin. Bouret aurait dû faire honneur à un tel billet, et se piquer d'être fidèle à cet engagement; il trouva plus commode de s'en débarrasser avec une écuelle d'or pleine de louis, qu'il donna à mademoiselle Gaussin, tant la délicatesse et la générosité réussissent peu auprès de certains hommes! ce qui rend ces vertus très-rares chez certaines femmes.

Le trait est héroïque: il honore mademoiselle Gaussin; il doit être écrit en lettres d'or dans les archives de Cythère.

LE KAIN.

Le jour de la mort de Baron fut celui de la naissance de Le Kain: la nature semblait vouloir rendre au théâtre ce qu'elle lui enlevait; faveur bien rare; les grands talens ne sont pas souvent remplacés, et Le

Kain lui-même n'a point laissé d'héritiers de sa gloire. Avant Baron, le théâtre était barbare; les acteurs, costumés d'une manière ridicule, chantaient au lieu de déclamer, s'épuisaient en gestes extravagans et burlesques; ils ressemblaient à des fous plus qu'à des comédiens: Baron ramena l'art sous les lois de la nature; il fut le créateur de la décence et de la noblesse théâtrale. Voltaire, qui l'avait vu, prétend qu'il ne s'éleva point au grand pathétique; mais Baron avait plus de soixante ans quand Voltaire a pu le juger; les pièces de Campistron, alors en possession de la scène, n'étaient pas susceptibles d'une expression bien forte : le témoignage de Voltaire ne suffit donc pas pour prouver que Baron n'a jamais été autre chose que noble et décent. Il n'est pas douteux qu'il n'ait eu de son art et de son talent une opinion exagérée. Un bon comédien, disait-il, devrait avoir été élevé sur les genoux des princesses. Il fut le plus grand fat comme le plus grand acteur de son temps; et quand il composa la comédie de l'Homme à bonnes fortunes, il avait chez lui le modèle, ou plutôt il peignait d'après nature. C'est lui qui disait au marquis de Biran: « Je vous demande justice, monsieur le « marquis, de l'impertinence de vos gens, qui ont «osé insulter les miens. » Le marquis fit d'abord semblant de ne pas entendre; mais le comédien insistant toujours sur l'affront fait à ses gens, il répondit enfin : « Eh! de quoi diable t'avises-tu, mon pauvre Baron, « d'avoir des gens? »>

Le Kain n'était pas né avec les grâces de Baron mais il eut dans le caractère la noblesse que Baron avait dans les manières; il honora son état par une conduite décente, autant que par ses rares talens; l'impulsion du génie ne s'est jamais montrée plus sen

siblement dans aucun acteur. Fils d'un orfèvre, et lui-même exerçant avec succès ce genre d'industrie, le besoin de briller sur la scène le tourmentait dans son obscur laboratoire; pendant que ses mains étaient occupées à fabriquer des instrumens de chirurgie, son âme se nourrissait de toutes les passions des grands hommes. La nature lui avait refusé l'extérieur d'un héros, comme elle avait refusé à Démosthène les premiers dons de l'orateur; Le Kain était épais et lourd, comme Démosthène était bègue et timide : l'art dans tous les deux triompha de la nature.

Le plus heureux hasard rapprocha un acteur et un poëte qui semblent avoir été faits l'un pour l'autre : Le Kain était l'artiste le plus propre à mettre en œuvre les tragédies de Voltaire, Voltaire le poëte le plus capable de faire valoir tout le talent de l'artiste; avec cette différence, que si le poëte n'a pas toujours fourni à l'orfèvre de bon or, l'orfèvre a toujours donné un grand prix à la matière que lui fournissait le poëte. Voltaire déterra ce trésor à l'hôtel de Clermont-Tonnerre, où plusieurs jeunes gens des deux sexes s'étaient réunis pour former un théâtre de société : Le Kain jouait l'amoureux dans une comédie de Darnaud-Baculard, intitulée le Mauvais Riche. Frappé des heureuses dispositions de ce jeune homme, qui n'avait pas encore vingt ans, Voltaire s'en empare comme de son bien, le loge, le forme, lui obtient un ordre de début; et par tous ces services, le premier qu'il obligea, ce fut lui-même.

L'hommage que le fils de Le Kain vient de rendre à son père, est moins un ouvrage qu'un recueil de matériaux et de pièces originales, pour servir à l'histoire de cet illustre tragédien; on y reconnaît l'homme encore plus que l'acteur Le Kain était courageux,

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sévère, un peu frondeur; il s'indignait du despotisme des gentilshommes de la chambre, et osait leur faire entendre la vérité. M. de La Ferté, intendant des menus, avait demandé un mémoire sur les abus du Théâtre - Français; Le Kain fit voir que les gentilshommes de la chambre étaient les auteurs de tous les abus; chaque article du mémoire finissait ainsi : Ce n'est pas la faute des comédiens. L'intendant des menus fut scandalisé de cette éloquence républicaine; mais Le Kain répliqua : « La vérité est toujours bru<< tale; un mémoire sur la réforme des abus ne peut << avoir la fadeur d'une épître dédicatoire. >>

En 1759, il proposa, avec beaucoup de chaleur, l'établissement d'une école de déclamation; et dans un temps où le théâtre était encore très-florissant, il en déplorait la décadence. Nous ne sommes donc pas aujourd'hui si étrange lorsque, plus de quarante ans après, nous faisons les mêmes plaintes : « Le bon « goût s'altère de jour en jour; les artistes faits pour le soutenir en perdent les moyens; les bons mo<< dèles, qui en sont les dépositaires, vieillissent in<< sensiblement..... Il est fort à craindre que l'art de << représenter les pièces de théâtre ne tombe dans la

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barbarie.... Il y a tout lieu de présumer que dans << dix ou douze ans, la décadence sera au point de « n'y pouvoir porter remède. » Voilà ce que disait Le Kain: et que disons-nous autre chose? Il invoquait une école comme l'unique remède ; l'école a été formée et n'a remédié à rien : les professeurs de déclamation ont été admis à l'Institut national, et la déclamation ne vaut pas ce qu'elle valait du temps où les comédiens étaient exclus de l'Académie-Française.

Le Kain s'élevait surtout contre le préjugé qui

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