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parer à celle que primitivement, et avec le sens qu'il eut au premier jour, il a exercée sur la formation et la constitution même du christianisme. Ceci est un point qui nous paraît n'avoir jamais été, jusqu'ici, suffisamment mis en lumière: qu'on nous permette donc quelques explications, nécessaires pour bien faire comprendre notre pensée.

A l'époque de la prédication de Jésus, la Judée, depuis déjà quelques années, était devenue une annexe de la province romaine de Syrie, et le peuple juif un tributaire de Rome. Fallait-il définitivement accepter cette condition, ou bien fallait-il s'y soustraire à quelque prix que ce fût? En d'autres termes, et en prenant la question à son point de yue le plus élevé, la loi nationale, la loi de Moïse, la loi de Dieu, devaitelle régner exclusivement sur Israël, et par suite, un jour, sur l'universalité des peuples? ou bien un partage était-il possible, et la loi de Moïse pouvait-elle, en quelque mesure, se concilier avec la loi étrangère? Le texte même de la Loi semblait repousser toute transaction: défense expresse était faite aux Israélites de prendre pour roi un étranger. Cependant une partie des Juifs, les plus riches, ceux qui avaient le plus besoin d'ordre et de tranquillité, étaient disposés à la soumission. Par contre, la secte bigote, mais patriote, des pharisiens, et les masses fanatiques, voulaient à tout prix l'indépendance. Récemment, après l'annexion prononcée et le premier dénombrement ordonné, on avait vu Judas de Galilée, en compagnie d'un pharisien, appeler le pays aux armes et provoquer une vaste insurrection. Il avait succombé, mais en laissant après

lui une secte redoutable, les zélateurs, qui pendant longtemps encore devaient disputer la Judée aux Romains, et ne disparaitre qu'ensevelis sous les ruines de Jérusalem1.

Tels étaient l'état des choses et la disposition des esprits, lorsque Jésus, en lutte avec les pharisiens, fut invité par eux à s'expliquer devant le peuple sur la question du tribut à payer à César. On connaît la réponse de Jésus. Se faisant montrer la pièce de monnaie, que l'on donne pour le tribut: « De qui, dit-il, sont cette image et cette inscription? - De César? Eh bien, rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ! »

En l'attirant sur ce terrain brûlant les ennemis de Jésus avaient espéré le perdre, le perdre vis-à-vis de César, ou visà-vis du peuple. Par la forme évasive de sa réponse, Jésus leur échappait; mais la forme seule était évasive; au fond la réponse était péremptoire. Toutes réserves faites au sujet de la loi nationale, c'était bien la soumission à César que Jésus recommandait, et l'argument symbolique à l'aide duquel il justifiait sa pensée nous en fait comprendre, mieux que n'aurait pu faire le plus long discours, toute la force et la portée. Invoquer la légende et l'effigie gravées sur le denier, c'était. en effet, rappeler aux Juifs, de la manière la plus saisissante, les raisons de fait qui leur commandaient la soumission à César d'une part, les leçons de leur histoire; leur indépendance détruite, il y avait déjà six siècles, par le conquérant

:

1. Joseph. De Bell. Jud., L. II, vi, 1, 6.

2. Matthieu, XXII, 15-21.

chaldéen, et ne se relevant un moment depuis cette époque, au temps des Macchabées, que pour retomber bientôt après, ruinée bien plus encore par l'anarchie domestique que par les armes de Rome; d'une autre part, le caractère du nouveau maître qui s'offrait à eux, pouvant, s'ils résistaient, armer contre eux la plus grande partie du monde connu, leur donnant, s'ils se soumettaient, au dedans l'ordre et la paix, au dehors la libre et pacifique communication avec tous les peuples; aspirant d'ailleurs, par les armes et la législation, comme Israël par la foi, à l'empire universel, et dès lors nécessairement prédestiné au culte du Dieu UN; dès maintenant d'ailleurs justifiant par sa tolérance, envers Israël comme envers tous, sa prétention à l'universalité.

Tout cela est si manifeste, que Jésus ne craint point de traiter d'hypocrites ceux qui affectent d'en douter: «< Нуроcrites, pourquoi me tentez-vous ? »

D'ailleurs, cette soumission que Jésus récommande envers César n'est point absolue; elle a ses réserves, sa limite. De même qu'il faut rendre à César ce qui est à César, il faut aussi rendre à Dieu ce qui est à Dieu, au Dieu d'Israël, bien entendu, au Dieu de la Loi, à CELUI QUI EST, à YAHVEH2. Jésus maintient ici ce qu'il a déclaré dans le Discours sur la montagne, qu'il est venu non point abolir, mais accomplir la Lor, la loi sociale et religieuse d'Israël. Mais de même qu'il a

1. Matth., XXII, 18.

2. Voyez ci-dessous, Introduction, p. 35, et la Note I, à la suite de l'Introduction. 3. Matthieu, V, 17-20.

voulu la Loi, non pas s'évanouissant en rites et en observances, mais vivifiée par la justice, par une justice plus abondante que celle des scribes et des pharisiens, de même aujourd'hui il la veut, non point exclusive et intolérante, mais conciliante, mais prête aux transactions, et acceptant de qui le donne ce qu'ellemème ne peut donner. C'est ainsi que d'un mot, que d'un geste, Jésus a vraiment fait naître cette société universelle des peuples, que dans leur appel aux Gentils les prophètes avaient dès longtemps prévue et annoncée, mais qui, dans les conditions posées par eux, ne pouvait se réaliser.

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En effet, sous l'apparence d'une universelle bienveillance, la parole des prophètes couvrait, à l'égard des Gentils, une souveraine injustice. Sans doute, elle leur ouvrait les portes du Temple, elle les appelait à l'alliance avec l'Éternel; mais c'était à la condition de s'abdiquer en quelque sorte euxmêmes, de renier leur histoire, de renoncer à toutes les conquêtes de leur propre civilisation. Tous, il est vrai, devaient participer à l'héritage d'Israël; mais d'eux, en retour, Israël n'avait rien à recevoir.

De là, chez les Israélites, ce dédain profond de tout ce qui n'est pas eux-mêmes, cet orgueil national, ces mœurs insociables, odieuses à l'étranger. Hors d'eux en effet tout n'est-il pas destiné à disparaître, du moins à se transformer à leur propre ressemblance, et, pour ainsi dire, en eux-mêmes? De là aussi, chez les Gentils, cette haine implacable contre un peuple qui repousse tout ce qui n'est pas lui, tout ce qui fait l'orgueil et la joie de ses voisins. La parole de Jésus met fin à ce long

antagonisme. Entre Israël et l'ensemble des peuples que représente César, au nom d'une mutuelle justice et d'une utilité réciproque, Jésus scelle le pacte d'alliance, ou du moins il en pose les bases. Après lui, saint Paul, l'Église, l'action des siècles, feront le reste.

Ces nations d'ailleurs auxquelles Jésus vient maintenant associer Israël, ce ne sont plus simplement des Gentils, ce sont des Romains, ce sont des Grecs, ce sont des peuples, à des degrés divers, déjà tout empreints du génie grec et romain, déjà modifiés par les arts et la parole de la Grèce, par les lois et l'administration de Rome. Trois grandes civilisations, celle d'Israël, celle de la Grèce, celle de Rome, dans l'ordre de la religion, de la pensée, de l'action, sont venues, sur les bords de la Méditerranée, poser les bases de la civilisation définitive de l'humanité1. Moïse, Alexandre, Pompée, les ont successivement toutes trois implantées sur le sol de la Palestine, où maintenant elle s'entremêlent, s'attirent ou se combattent. En réglant la transaction entre Israël et César, Jésus a réuni ces trois grands éléments en une féconde unité, et de leur assemblage il a fait sortir le monde moderne, son monde à lui, à la fois hébraïque, grec et romain, avant tout cependant CHRÉTIEN,

1. Nous touchons ici à ce qui, pour nous, est le point de départ et la base même du christianisme, la mission des trois grands peuples méditerranéens, en tant qu'initiateurs du reste des peuples, en tant que fondateurs de la civilisation universelle. On comprend qu'un pareil sujet ne peut se traiter sous forme de simple incident. Ici nous devons nous borner à en donner en quelque sorte l'énoncé. Nous y reviendrons dans la seconde partie de ce travail et entrerons alors dans les développements nécessaires.

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