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que des causes accidentelles, que son scepticisme lui dérobe la marche progressive des peuples à travers l'obscurité du moyen âge. L'humanité s'agite sous ses yeux et n'avance pas; les événements, que rien ne règle ni ne mène, ne lui montrent que des scélérats et des victimes; il s'indigne et raille tour à tour, et il ne soupçonne pas le mot de cette énigme confuse qui est sans doute l'affranchissement des hommes après leur rédemption. Bossuet voyait Dieu partout dans les temps qui ont précédé la venue du Christ, Voltaire ne le voit nulle part dans ceux qui l'ont suivie. Toutefois les sarcasmes de Voltaire expriment moins la cruauté de son esprit que l'émotion de son âme, c'est la fourberie et l'ignorance qu'il poursuit pour apprendre aux hommes à se débarrasser de ces ennemis de leur bonheur et de leur dignité. C'est le même esprit qui l'anime dans ce roman de Candide qu'on lui a tant reproché et dont la gaieté railleuse a paru diabolique quand elle n'est au fond qu'une invitation ironique à combattre courageusement les fléaux de la nature et de la société.

Soit que l'on s'indigne ou qu'on s'en réjouisse, il faut bien reconnaître que Voltaire a réellement régné sur son siècle; mais comme sa souveraineté était contestée, il a eu contre les dissidents les impatiences d'un chef de parti qui l'ont emporté jusqu'à la dérision et à l'injure, et d'autre part, comme il était puissant, il a eu des flatteurs qui encourageaient ses violences. On sait quelle fut son animosité contre J. B. Rousseau, autrefois son ami et presque son patron littéraire, et que ce souvenir aurait dû protéger. Il eut moins d'amertume contre un autre lyrique, ami fidèle de Rousseau, Lefranc de Pompignan; mais sa gaieté, qui fut contagieuse, n'en a été que plus cruelle. Pompignan n'est à dédaigner ni comme poëte ni comme prosateur ; comme homme et citoyen, il était digne de beaucoup d'estime. Cœur droit et généreux, il fit preuve de courage en portant jusqu'au trône les doléances du peuple; il n'en montra pas moins lorsqu'il jeta contre les abus de l'esprit philosophique ce cri d'alarme qui émut la bile de Vol

munique au lecteur les impressions de l'écrivain. Buffon est toujours noble, mais ce n'est pas à dire qu'il soit uniforme, et moins encore monotone; car il a la noblesse de tous les styles: s'il a la noblesse du sublime, il a aussi celle de la grâce et même de la simplicité; ses couleurs sont toujours pures, son dessin toujours correct, mais aussi combien de nuances et quelle souplesse de contours! Ne lui demandez pas d'être vulgaire et négligé, il s'y refuse: il a trop de respect pour sa pensée. Il n'a point cette variété que produisent les dissonances et les disparates, mais celle qui naît du rapport du langage au sujet qu'on traite, de la convenance des parties et de l'harmonie de l'ensemble. Buffon est un écrivain noble et soutenu, cela est vrai; mais il faut ajouter qu'il a sur sa palette toutes les couleurs et qu'il trouve tous les tons sur son clavier. Faudra-t-il lui imputer à crime de prendre tant de șoin pour parler aux yeux et pour plaire à l'oreille?

Ainsi la noblesse qui caractérise le style de Buffon se concilie avec toutes les qualités du langage pour les orner et les tempérer. Elle n'enlève rien à l'énergie du passage suivant : « Qu'on se figure un pays sans verdure et sans eau, un soleil brûlant, un ciel toujours sec, des plaines sablonneuses, des montagnes encore plus arides, sur lesquels l'œil s'étend et le regard se perd, sans pouvoir s'arrêter sur aucun objet vivant; une terre morte et pour ainsi dire écorchée par les vents, laquelle ne présente que des ossements, des cailloux jonchés, des rochers debout ou renversés. » Elle achève la grâce de celui-ci : « L'instant du péril passé, tout est oublié, et le moment d'après notre fauvette reprend sa gaieté, ses mouvements et son chant. C'est des rameaux les plus touffus qu'elle se fait entendre; elle s'y tient ordinairement couverte, ne se montre que par instants au bord des buissons et rentre vite à l'intérieur, surtout pendant la chaleur du jour. Le matin on la voit recueillir la rosée, et après ces courtes pluies qui tombent dans les jours d'été, courir sur les feuilles mouillées et se baigner dans les gouttes qu'elle secoue du feuillage. » Il n'y

même main une atteinte qui ne l'a pas blessé profondément. Gresset se fait toujours lire en dépit des épigrammes de Voltaire, et cela les émousse. Celui-ci avait été charmé de le voir quitter l'ordre des jésuites pour rimer en liberté, et il avait dit : « Un poëte de plus et un jésuite de moins, c'est un grand bien dans le monde; » mais lorsque Gresset fit ses adieux au monde par une lettre contre la comédie, Voltaire atténua ses éloges et prétendit malignement que Gresset n'était pas aussi coupable qu'il le disait, et qu'il s'accusait à tort d'avoir fait une comédie. N'en déplaise à Voltaire, le Méchant est bien une comédie; la seule peutêtre que Gresset pût faire, car il n'était pas en fonds pour tenter d'autres entreprises du même genre, mais il a réussi dans celle-là, comme Piron pour la Métromanie. Piron est encore un ennemi de Voltaire, mais il a lancé plus d'épigrammes qu'il n'en a reçu. Ce joyeux Bourguignon avait la repartie vive et il n'était pas prudent d'engager avec lui un duel de bons mots. Le métromane Damis est le poëte luimême qui, sentant ce qu'il y avait de noble et de comique dans la fougue qui emportait son âme au delà du monde réel, tout en y laissant son corps, a fait de cette nécessité de vivre là où, il lui était impossible de se régler au train ordinaire des choses, le pivot d'une action vraisemblable et divertissante. Il y a mis tout le feu de son âme, tout le piquant de son esprit, toute la chaleur d'une verve étincelante, et par une bonne fortune unique dans sa vie, il a fait un chef-d'œuvre. La Métromanie et le Méchant sont au théâtre les seuls titres de Piron et de Gresset, quoiqu'ils aient fait d'autres pièces et même des tragédies. N'en disons rien, puisqu'elles sont oubliées. Gresset eut d'autres succès encore. Son petit poëme de Ver-Vert est un badinage où la coquetterie du style se concilie avec le naturel et la grâce, et on admirera toujours la merveilleuse aisance de ses vers dans la Chartreuse et quelques autres pièces spirituelles, élégantes et surtout harmonieuses. Gresset a eu toute la fraicheur de l'adolescence dans ses premières poésies, et ce charme ne s'est pas effacé; sa maturité a été courte, mais

change, tout rentre sous la main de la nature; elle reprend ses droits, efface les ouvrages de l'homme, couvre de poussière et de mousse les plus fastueux monuments, les détruit avec le temps, et ne lui laisse que le regret d'avoir perdu par sa faute ce que ses ancêtres avaient conquis par leurs travaux. » Grande et terrible leçon, qui s'étend de l'ordre matériel à l'ordre moral, qui s'applique aux individus comme aux nations, sanction manifeste de cette loi de la Providence qui met la conquête de tous les biens, de toutes les vertus, et leur durée, au prix du courage et de la persévérance.

On avait ose soupçonner et dire que Buffon, tout entier à la science, absorbé dans l'étude des forces de la nature et des ressources du génie de l'homme, ne s'était pas élevé jusqu'à la source suprême de cette double grandeur. Buffon, qui avait toujours dédaigné de repousser les attaques de ses détracteurs, confondit enfin ces soupçons injurieux lorsque, protégé par sa vieillesse et par sa gloire, il pouvait à son choix continuer de se taire ou s'expliquer. Il rendit hommage à Dieu par cette prière, qui est aussi pour l'humanité un acte d'espérance: « Dieu de bonté, auteur de tous les êtres, vos regards paternels embrassent tous les objets de la création; mais l'homme est votre être de choix; vous avez éclairé son âme d'un rayon de votre lumière immortelle ; comblez vos bienfaits en pénétrant son cœur d'un trait de votre amour le sentiment divin, se répandant partout, réunira les nations ennemies; l'homme ne craindra plus l'aspect de l'homme, le fer homicide n'armera plus sa main; le feu dévorant de la guerre ne fera plus tarir la source des générations; l'espèce humaine, maintenant affaiblie, mutilée, moissonnée dans sa fleur, germera de nouveau et se multipliera sans nombre; la nature accablée sous le poids. des fléaux, stérile, abandonnée, reprendra bientôt avec une nouvelle vie son ancienne fécondité; et nous, Dieu bienfaiteur, nous la seconderons, nous la cultiverons, nous l'observerons sans cesse, pour vous offrir à chaque instant un nouveau tribut de reconnaissance et d'admiration. »

Jean-Jacques Rousseau.

CHAPITRE V.

Déclaration de guerre aux lettres et à la civilisation. La Nouvelle Héloïse. - Manon Lescaut.- Réforme de l'éducation. L'Émile. Réforme de l'État.

-Disciples de Rousseau. Bernardin de Saint-Pierre.

seurs de la révolution.

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- Le contrat social.

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Beaumarchais. Révolution.

La vie de Montesquieu touchait à son terme, Buffon était dans toute sa gloire, Voltaire avait produit ses plus belles œuvres, lorsqu'un homme de génie, longtemps entravé dans sa marche et trempé par les épreuves mêmes que la destinée lui avait fait subir, entra tardivement, mais avec éclat, dans la carrière littéraire par une double déclaration de guerre aux lettres et à la civilisation. C'est le génevois J. J. Rousseau, le plus éloquent des écrivains de son siècle : apôtre de la vertu, dont le sentiment s'était exalté dans son âme par le contact et la pratique du vice; de l'indépendance, pour avoir connu la gêne et la honte d'une position quelquefois servile, toujours précaire, il parla de la dignité de l'âme immatérielle et même de religion à des matérialistes et à des impies, du devoir de conquérir et de faire respecter ses droits de citoyen à des esclaves qui se contentaient de railler et de harceler leurs maîtres, de la simplicité et des vertus de la nature primitive à des sybarites fiers de leur luxe et infatués de leur corruption: il se fait écouter, parce qu'il étonne; il entraîne, parce qu'il émeut et qu'il commande impérieusement. Le secret de la force de Rousseau n'est pas tout entier dans son éloquence; il est surtout dans son ton d'oracle, dans la véhémence de ses reproches, dans l'assurance de son dogmatisme. Voltaire avait armé les esprits pour la destruction, mais le souffle de sa raillerie avait desséché les âmes; Rousseau les échauffa du feu de sa parole, il les gonfla, il les souleva de terre, il leur donna l'essor sans les diriger, il les vivifia sans les remplir, et il parut les avoir ennoblies.

Jean-Jacques Rousseau n'est pas une âme saine, mais c'est une âme puissante; ce n'est pas un esprit juste, mais

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