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puissamment les intelligences et les cœurs contre tous les sophismes qui pervertissent la raison et les mœurs. Les bons livres ne nous manquent pas, mais la connaissance approfondie de ce que nos devanciers ont écrit sainement et judicieusement.

Après avoir payé, bien incomplétement sans doute, notre dette de reconnaissance à ces maîtres habiles et vertueux qui ont formé Racine et inspiré Rollin, nous pouvons revenir à Pascal. La nouvelle œuvre religieuse conçue par ce grand homme avait surtout pour but de faire passer la foi qui l'animait dans le cœur des incrédules et des sceptiques; il ne s'adressait pas aux chrétiens qu'il aurait troublés plutôt qu'édifiés. Il ne faut pas oublier que Pascal avait rencontré dans le monde quelques-uns de ces athées alors si nombreux dont parle le père Mersenne; il avait conversé avec les Miton, les Desbarreaux, qui se targuaient de leur incrédulité. Combien il en avait souffert, on le voit par cette plainte ironique : « Prétendent-ils nous avoir bien réjouis, de nous dire qu'ils tiennent que notre âme n'est qu'un peu de vent et de fumée, et encore de nous le dire d'un ton de voix fier et content? Est-ce donc une chose à dire gaiement? Et n'est-ce pas une chose à dire tristement, au contraire, comme la chose du monde la plus triste? » Dans ces entretiens qui le blessaient si profondément, il avait remarqué qu'il n'avait point de prise par le raisonnement contres ces esprits frivoles et superbes, contre ces cœurs endurcis ou nonchalants. «Je ne trouve pas, disait-il, dans la raison d'arguments assez forts pour convaincre un athée; » il n'en avait pas non plus pour réveiller les indifférents. Il comprit que pour faire brèche il fallait frapper ailleurs. Il s'adresse donc à l'imagination; il lui donne le vertige en lui découvrant le double abîme de l'infini et du néant; il s'épouvante lui-même de la terreur qu'il veut produire, et c'est seulement lorsqu'il a confondu et humilié l'orgueil de la raison par la puissance du mystère, qu'il entreprend de la relever et de la consoler en lui montrant derrière ces nuages et ces fantômes l'éternelle vérité.

Pascal veut avant tout émouvoir et troubler ceux qu'il combat et qu'il prétend réduire. Comment en douter lorsqu'il écrit: « En voyant l'aveuglement et la misère de l'homme, en regardant tout l'univers muet, et l'homme sans lumière, abandonné à lui-même et comme égaré dans ce recoin de l'univers, sans savoir qui l'y a mis, ce qu'il y est venu faire, ce qu'il deviendra en mourant, incapable de toute connaissance, j'entre en effroi comme un homme qu'on aurait porté endormi dans une île déserte et effroyable, et qui s'éveillerait sans connaître où il est, et sans moyen d'en sortir. Et sur cela, j'admire comment on n'entre point en désespoir d'un si misérable état. Je vois d'autres personnes auprès de moi, d'une semblable nature: je leur demande s'ils sont mieux instruits que moi ils me disent que non; et sur cela, ces misérables égarés ayant regardé autour d'eux et ayant vu quelques objets plaisants, s'y sont donnés et s'y sont attachés. Pour moi, je n'ai pu y prendre d'attache en considérant combien il y a plus d'apparence qu'il y a autre chose que ce que je vois : j'ai recherché si ce Dieu n'a pas laissé quelques marques de soi. » Évidemment cette terrible image qui pénètre dans l'âme, et qui l'oppresse comme du poids d'un cauchemar dont elle voudra se délivrer, est destinée à donner prise sur l'intelligence à la faveur du trouble de l'imagination.

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Voici maintenant une étonnante page que nul ne peut lire sans vertige. Après avoir représenté à l'homme l'infini de grandeur dans l'immensité, et acculé, pour ainsi parler, l'existence finie de l'homme à l'extrême limite où le néant commence, Pascal, sur le bord de l'abîme, saisit tout à coup et presque convulsivement l'atome, l'atome imperceptible aux sens, il s'en empare, il le brise, et, par un effort imprévu, il en fait sortir l'infini : « Mais pour présenter à l'homme un autre prodige aussi étonnant, qu'il recherche dans ce qu'il connaît les choses les plus délicates. Qu'un ciron lui offre dans la petitesse de son corps des parties incomparablement plus petites, des jambes avec des jointures, des veines dans ces jambes. du sang dans ces

veines, des humeurs dans ce sang, des gouttes dans ces humeurs, des vapeurs dans ces gouttes; que divisant encore ces dernières choses, il épuise ses forces en ces conceptions, et que le dernier objet où il peut arriver soit maintenant celui de notre discours, il pensera peut-être que c'est là l'extrême petitesse de la nature. Je veux lui faire voir là dedans un abime nouveau. Je lui veux peindre non-seulement l'univers visible, mais l'immensité qu'on peut concevoir de la nature, dans l'enceinte de ce raccourci d'atome. Qu'il y voie une infinité d'univers dont chacun a son firmament, ses planètes, sa terre, en la même proportion que le monde visible; dans cette terre, des animaux, et enfin des cirons dans lesquels il retrouvera ce que les premiers ont donné; et trouvant encore dans les autres la même chose sans fin et sans repos, qu'il se perde dans ces merveilles aussi étonnantes dans leur petitesse que les autres par leur étendue. » Il est vrai, la tête se perd, le regard s'éblouit, la raison se trouble dans cette conception étrange, disons plus, dans cette vision, où Pascal, mêlant le monde de la matière et celui des idées, transporte dans l'ordre physique une propriété des nombrés qui peuvent en effet se multiplier indéfiniment par la pensée, en deçà de l'unité comme au delà; mais qu'on y prenne garde, le croyant sincère a frappé l'imagination de l'incrédule, et étourdi le rebelle qu'il veut soumettre.

Pascal a des griefs sérieux contre les témérités de la raison, mais il n'a pas de haine contre la raison elle-même. Sans doute il a jeté sur le papier d'éloquentes invectives : << Connaissez donc, superbe, quel paradoxe vous êtes à vousmême. Humiliez-vous, raison impuissante; taisez-vous, nature imbécile; apprenez que l'homme passe infiniment l'homme, et entendez de votre maître votre condition véritable que vous ignorez. » Il est encore bien ému et bien véhément lorsqu'il s'écrie : « Quelle chimère est-ce donc que l'homme? quelle nouveauté, quel chaos, quel sujet de contradiction! Juge de toutes choses, imbécile ver de terre, dépositaire du vrai, cloaque d'incertitude et d'erreur, gloire

et rebut de l'univers; s'il se vante, je l'abaisse; s'il s'abaisse, je le vante et le contredis toujours, jusqu'à ce qu'il comprenne qu'il est un monstre incompréhensible. » Pascal a dit tout cela; et puisqu'il le disait, il l'a pensé ; mais ne sent-on pas jusque sous ces mots frémissants je ne sais quelle tendresse fraternelle pour cette créature jugée de si haut et d'un ton si fier? Aussi ne s'étonne-t-on pas d'entendre sortir de la même bouche d'autres paroles qui proclament, non sans orgueil, la grandeur de l'homme : « L'homme n'est qu'un roseau le plus faible de la nature, mais c'est un roseau pensant. Il ne faut pas que l'univers entier s'arme pour l'écraser. Une vapeur, une goutte d'eau, suffit pour le tuer. Mais quand l'univers l'écraserait, l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu'il sait qu'il meurt; et l'avantage que l'univers a sur lui, l'univers n'en sait rien. »> D'ailleurs cette raison qu'il rudoie, Pascal la prend pour juge sur elle-même : « La raison, dit-il, ne se soumettrait jamais si elle ne jugeait qu'il y a des occasions où elle doit se soumettre. Il est donc juste qu'elle se soumette quand elle juge qu'elle doit se soumettre, et qu'elle ne se soumette pas quand elle juge qu'elle ne doit pas le faire. Il n'y a rien de si conforme à la raison que le désaveu de la raison dans les choses qui sont de foi ; et rien de si contraire à la raison que le désaveu de la raison dans les choses qui ne sont pas de foi. Ce sont deux excès également dangereux d'exclure la raison, de n'admettre que la raison. » Ainsi les détracteurs systématiques de la raison n'ont pas à compter sur Pascal; et comme sa foi ne l'aveugle pas, de même la sévérité de ses principes ne le jette pas dans les rangs de ces tourmenteurs de conscience qui appellent la force en aide à la prédication. Ce n'était pas un persécuteur, celui qui écrivait ces lignes qu'on attribuerait volontiers à Fénelon : « La conduite de Dieu, qui dispose de toutes choses avec douceur, est de mettre la religion dans l'esprit par les raisons, et dans le cœur par la grâce; mais de vouloir la mettre ⚫ dans le cœur et dans l'esprit par la force et par les menaces, ce n'est pas y mettre la religion, mais la terreur. »

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La régence d'Anne d'Autriche.- Le ministère de Mazarin.-Invasion du mauvais goût. Romans historiques. - La Calprenède. Mademoi

selle de Scuderi. Tentatives d'épopées. - Chapelain. - George Scuderi. Desmaretz.-Saint-Amant. - La Fronde. - Scarron.

La publication des Provinciales fut le seul grand événement littéraire de la période placée entre la mort de Richelieu et le règne personnel de Louis XIV: encore n'y a-t-il pas moyen de le rapporter à l'esprit dominant de l'époque. C'est de l'austère solitude de Port-Royal et de la conscience indignée d'un chrétien séparé du monde que jaillit, à l'improviste, cet accident de génie. L'Espagnole Anne d'Autriche et le Sicilien Mazarin n'étaient ni disposés à encourager les écrivains, ni capables de les inspirer. Le relâchement s'introduisit de toutes parts; l'enflure castillane, l'affectation italienne, tous les caprices du mauvais goût, purent se donner carrière. Le génie de Corneille, qui avait produit sous Richelieu, en quelques années de sublime fécondité, sans reprendre haleine, le Cid, Horace, Cinna, Polyeucte et le Menteur, subit alors une première éclipse dans Théodore, se relève avec effort par Rodogune et par Héraclius, pour descendre bientôt jusqu'à Pertharite. Seulement, le sort de Condé pendant la Fronde l'avait animé à la composition de Nicomède, et raisonnablement on ne peut en savoir gré ni à la régente ni à son ministre. Ce qui appartient en propre à cette époque, et ce qui la caractérise, c'est la production et la vogue des grandes compositions romanesques où l'histoire et la passion sont également faussées; c'est l'importance des cabales littéraires où s'agitent et le silencieux Conrart et le galant Ménage, où règne, sous le nom de Sapho, Me de Scuderi; c'est la manie des sonnets, des madrigaux et des bouts-rimés, toujours aiguisés en pointes ; c'est encore le débordement du burlesque, et, pour combler la mesure, les formidables avortements de l'épopée.

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